C'EST BALLOT (accès libre) ! Obsédées par leur conquête des milliardaires chinois, les marques suisses se sont trompées de dragons...
Le 17 / 05 / 2015 à 07:00 Par Le sniper de Business Montres - 1898 mots
Les dragons existaient vraiment il y a 68 millions d'années ! Les fossiles de tricératops (« tête à trois cornes ») sont aujourd'hui beaucoup plus recherchés par les nouveaux riches de la nouvelle Chine que les montres ornées de dragons que les marques suisses leur proposent. Hélas, pas de Jurassic Park chez les Jurassiens !
▶▶▶ CÉRATOPSIDÉS
1 800 000 dollars pour une pièce unique
Les dragons existaient vraiment il y a 68 millions d'années ! Les fossiles de tricératops (« tête à trois cornes ») sont aujourd'hui beaucoup plus recherchés par les nouveaux riches de la nouvelle Chine que les montres ornées de dragons que les marques suisses leur proposent. Hélas, pas de Jurassic Park chez les Jurassiens !
▶▶▶ CÉRATOPSIDÉS
1 800 000 dollars pour une pièce unique à forte valeur ajoutée symbolique,âgée de soixante-cinq millions d'années... ◉◉◉◉ DEPUIS QUE LA CHINE EST DEVENUE LE SEUL MOTEUR de la croissance horlogère [à peu près vers 2009, quand la bulle du crédit chinoise a libéré d'invraisemblables quantités de liquidités venus se déverser dans la poche des marques de montres], il est de bon ton de modeler les collections horlogères sur les codes culturels chinois : on voit donc régulièrement de vénérables marques suisses sculpter des chèvres ou des rats sur leurs montres [coup de chance : le zodiaque chinois compte douze figures symboliques], truffer leurs cadrans de dragons plus ou moins impériaux et plus ou moins chinois [tous les dragons asiatiques ne le sont pas] ou multiplier les clins d'oeil en forme de citations – supposées efficaces – des éléments du style chinois (le chiffre huit, la couleur rouge, etc.) quand ce ne sont pas des chiffres, des index ou des calendriers chinois. Sympathique, mais de moins en moins efficace. Pour endiguer cette érosion, la Suisse horlogère a ensuite tout misé sur les « métiers d'art », avec la répétition ad libitum de montres surdécorés et surchargées de carpes, de fleurs et de pagodes : heureusement pour les amateurs européens qu'ils ne voient pas tout ce qu'on trouve dans les vitrines des boutiques chinoises. On avait juste oublié que, pour ce qui est des « métiers d'art », les Chinois les pratiquent depuis quatre millénaires [quatre siècles pour la Suisse !] et qu'ils maîtrisent l'émaillage et la peinture miniature sur céramique mieux que personne au monde : quand l'horlogerie suisse s'appuie sur une poignée d'ateliers, la Chine mobilise des milliers d'artisans d'art spécialisés dans ces « métiers ». Dans toutes ces simagrées mimétiques, on perd son âme et son identité – celles de sa marque – sans y gagner le respect de ses clients... ◉◉◉◉ D'AUTANT QUE CES CLIENTS AIMENT MOINS LES MONTRES que les symboles dont les montres étaient porteuses, parce qu'elles rappelaient – y compris dans le choix des marques depuis longtemps implantées en Chine – le temps béni où les cours mandarinales écumaient les ateliers horlogers européens pour y dénicher des montres émaillées et des automates qui étaient autant de jouets de garçon : ils aiment plus les mécaniques qui tic-taquent – pour le plaisir des yeux ou des oreilles quand ça sonne – que la précision ou les belles finitions qui font craquer les amateurs européens... D'autant que ces clients chinois, du fait de leur pensée fondamentalement symbolique [c'est la structure mentale déterminante des cultures locales, formatée par l'usage d'une écriture en idéogrammes], préfèrent toujours les symboles parlants aux illusions d'un allusion « barbare » : maintenant qu'ils ne peuvent plus porter de montres de luxe et toujours portés par leur obsession statutaire, les néo-milliardaires locaux se cherchent de nouvelles expressions ostentatoires... ◉◉◉◉ DU COUP, ILS SONT RETOMBÉS SUR LES... DRAGONS ! Pas ceux des empereurs, avec leurs griffes et leurs écailles soigneusement décomptés. On parle ici des vrais dragons, ceux de la préhistoire, de cette famille des cératopsidés, comme ces tricératops du crétacé supérieur, qui vivaient il y 65 à 70 millions d'années. C'est un des plus spectaculaires « dragons » de la préhistoire, avec ses trois cornes et son crâne blindé par une spectaculaire collerette osseuse. On est aujourd'hui à peu près certain que ces tricératops – à peu près gros comme un char d'assaut – étaient de paisibles herbivores, dont les excroissances osseuses avaient une fonction plus sexuelle que guerrière, un peu comme les bois de nos cerfs. Inutile d'expliquer ce régime végétarien à des Chinois qui sont en train de massacrer les derniers rhinocéros de la planète parce que leur corne est réputée aphrodisiaque ! ◉◉◉◉ ON IMAGINE L'ADDICTION DE CES RICHES ASIATIQUES à ces « dragons » préhistoriques, fascinants cadeaux fossiles légués aux hommes d'aujourd'hui par des dizaines de milliers de millénaires : non seulement ils sont spectaculaires, mais ils sont rarissimes et hors de prix. La plupart des squelettes ou de crânes de tricératops retrouvés à ce jour [deux ou centaines au mieux] sont consignés dans des collections scientifiques inaliénables. Très peu sont entre des mains privées. Seul exemple sur le marché d'un crâne de tricératops idéalement préservé : le Dragon King qui avait été retrouvé aux Etats-Unis, dans le Montana, en 1920. Il est en vente à Hong Kong, la transaction privée commençant à 1,8 million de dollars américains. Ce qui est relativement peu coûteux pour une pièce unique absolue [on a fermé la fabrique de ces tricératops !] absolument spectaculaire : 2,8 m de long, ça pose autant dans un salon que les Femmes d'Alger de Picasso, 100 fois plus chères, qui n'ont pas cette puissance symbolique et cette dimension mythique. C'est, à ce jour, le plus superbe crâne de tricératops connu et en bon état. « Lung Wong » [龙王 : le roi dragon] a changé plusieurs fois de mains depuis sa découverte, dans le Montana, en 1922. Pour un Asiatique, le dragon n'est pas une figure légendaire purement allégorique : c'est un marqueur culturel prépondérant, dont la présence physique est attestée par ce crâne de tricératops – mis aux enchères (privées) à la fois comme objet d'art contemporain, relique préhistorique et fétiche ostentatoire à forte valeur ajoutée statutaire [Lung Wong fera gagner beaucoup de face à son nouveau propriétaire]. Précision pour ceux (et celles) qui n'auraient pas compris : il en est des cornes de dragon comme des cornes de rhinocéros – elles sont supposées traduire une certaine idée de la virilité [avec le tricératops, on touche évidemment au nirvana]. Évidemment, personne n'ira expliquer au milliardaire enchérisseur final que son grigri préhistorique a toutes les chances de partir en poussière s'il n'est pas conservé dans des conditions précises de température et d'hygrométrie... ◉◉◉◉ LUNG WONG EST DEVENU UNE STAR SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : il a désormais son site Internet et son fan-club. Admirez comme on le met en scène (image ci-dessous). D'autant qu'il n'y a pas que le crâne (1,4 m de large) : il y aussi tout le squelette (et il y en a pour 3,5 tonnes au total), mais seul le crâne est aujourd'hui en vente. Les scientifiques rigolent doucement parce qu'ils considèrent que certains éléments de ce squelette pourraient ne pas être authentiques, mais l'industrie du faux est une maladie endémique en Chine. Triceratops Maximus et donc profits maximum : parions qu'on va voir fleurir, un peu partout dans le monde, des contrefacons ou des bidouillages de dinosaures fossiles – on sait que la Chine, pays-continent, regorge de ces vestiges. Rappelons qu'un squelette en mauvais état de Tyrannosaurus Rex s'était vendu 8,5 millions de dollars en 1997 : ça aiguise des appétits ! ◉◉◉◉ APRÈS ÇA, VOUS NE CHERCHEREZ PLUS À COMPRENDRE pourquoi les ventes de montres ont baissé de 40 % à Hong Kong, ni pourquoi cette déprime a des chances de durer : les milliardaires chinois ont trouvé des dragons plus rigolos que ceux des marques suisses [l'acheteur pourra même arguer de son investissement en l'offrant à une institution scientifique] et, surtout, beaucoup plus signifiants. Des vrais jouets de garçon, moins socialement stigmatisés que les montres. Celui qui avait tout compris, c'est Yvan Arpa (Artya), qui nous avait offert les premiers cadrans horlogers en coprolithe (caca fossilisé de dinosaure)... D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...