FRANÇOIS-HENRI PINAULT : La sincérité d’un homme pas pressé
Il faut peut-être prendre au mot François-Henri Pinault, l’héritier du groupe PPR, quand il affirme « vouloir secouer les codes de la haute horlogerie suisse » : il en est capable, parce qu’il a les moyens et la volonté d’y arriver. Sincérité en prime, ce qui est un atout pour un homme qui a tout son temps tellement il aime les objets du temps… ••• Quand le patron d’un des plus grands groupes de luxe du monde …
Il faut peut-être prendre au mot François-Henri Pinault, l’héritier du groupe PPR, quand il affirme « vouloir secouer les codes de la haute horlogerie suisse » : il en est capable, parce qu’il a les moyens et la volonté d’y arriver. Sincérité en prime, ce qui est un atout pour un homme qui a tout son temps tellement il aime les objets du temps…
••• Quand le patron d’un des plus grands groupes de luxe du monde ne craint pas de se présenter sans cravate à ses invités parisiens, il est facile de comprendre qu’on a déjà commencé à changer de style et d’époque. Il n'en est que plus crédible pour prétendre secouer les codes de la haute horlogerie suisse". Quand on l’entend parler de montres et d’horlogerie, le timbre de la voix est révélateur, le choix des mots aussi : la sémantique est souvent le meilleur détecteur de mensonges pour les hommes publics. Ne me dis pas qui tu es, dis-moi seulement avec quels mots tu veux le dire… ••• La morphopsychologie confirme l’épaisseur du personnage. On travaille là en pleine pâte, avec un pilier au physique roman plutôt qu’en clé de voûte gothique, dans un registre charnu et viril qui s'attaque au couteau sur la toile, plutôt qu'au pastel délicat qui convient si bien aux évanescents petits marquis du luxe tricolore. C’est le Stade Rennais FC (Rennes) contre le Polo de Bagatelle pour ceux qui n’auraient pas décodé. ••• Alors, quand retentit ce verbe franc et direct, chaleureux, qui laisser percer une vraie tendresse de vrai collectionneur pour les horlogers autant que pour les beaux-arts de la montre, on se dit que l’industrie des montres n’est pas seulement un Eldorado pour les investisseurs capitalistes, mais aussi un champ d’émotions qui sait parfois les faire vibrer. ••• Il avait pourtant le choix, ce Pinault (François-Henri) qui semble préférer les montres aux installations d’art contemporain révérés par son père (François, le fondateur de l’empire). Pour étayer le pôle horloger qu’il a confié, voici un an, à Michele Sofisti, il aurait pu – certains diront qu’il aurait dû – s’offrir d’autres références que Girard-Perregaux et JeanRichard. Il est vrai qu'il était difficile de résister à l’empathie d’un Gino Macaluso. Il aurait pu (et il aurait même sans doute dû) s’offrir Ulysse Nardin, Corum ou même Richard Mille. Il a laissé filer le dossier Bvlgari entre les griffes de Bernard Arnault (LVMH), mais il pourrait (il devrait) prendre langue avec la famille Scheufele (Chopard), qui reste une belle saga digne d’être consolidée et pérennisée au sein d’un groupe de luxe. ••• Oui, mais… Ce n’est pas tout-à-fait comme ça que ça se passe avec FHP. À la tête du groupe PPR, le rationnel s’équilibre le plus souvent d’émotionnel. François-Henri Pinault n’est pas pressé : il sait qu’il ne faut pas acheter au son des violons, quand le vent gonfle les toiles, mais au son des canons, quand tout le monde replie les voiles. Il sait qu’il n’y a de richesses que d’hommes et il aime les belles histoires d’entrepreneurs. Il préfère au bling-bling de la quincaillerie marketing les beaux « bijoux de famille », pas forcément les plus spectaculaires, même s’ils sont un peu ternis et patinés, pourvu qu’ils soient authentiques et de bon aloi sur le trébuchet des valeurs fondamentales du luxe. C’était le cas pour l’ensemble Girard-Perregaux et JeanRichard. ••• On peut le vérifier avec l’exposition itinérante (ci-dessous) des 220 ans de la maison, terme plus exact que celui de marque, puisque Girard-Perregaux n’a pas encore atteint cette respectabilité horlogère qui court maintenant sur quatre siècles – de 1791 pour Jean-François Bautte à nos jours. La maison a toujours été une affaire familiale de créateurs, dont Gino Macaluso était l’héritier, indirect certes, mais néanmoins tout aussi « familial » au sens romain du terme. ••• C’est cette trajectoire plus « humaine » qu’industrielle, aux frontières du luxe sans tomber dans les pièges de la mode, toujours dans le prestige sans jamais verser dans l’outrance, qui a piqué la curiosité de François-Henri Pinault, avant de toucher sa sensibilité et de l’ouvrir à une générosité budgétaire qui permet aujourd’hui à Girard-Perregaux de revivre sur un pied digne de son passé. ••• Maitre-mot de cette renaissance annoncée : comme dans Dune, « le dormeur doit se réveiller ». Pour FHP, les groupes ont pour mission de permettre aux marques de réveiller leur potentiel endormi et de libérer leur énergie intérieure. Il se pense en « éveilleur » de dynamique », sinon en « éleveur » de légendes. C'est le tailleur de diamants qui révèle la gemme dans sa gangue de concrétions géologiques. C’est pour cette raison que PPR a donné à Girard-Perregaux les moyens de se montrer, d’exposer ses jeunes talents dans le monde entier [c’est tout le sens de l'actuelle Tournée des jeunes horlogers] et de démontrer leur savoir-faire dans des lieux qui ont du sens pour nos contemporains – donc pas forcément dans nos Watch valleys préférées… ••• C’est effectivement plutôt en montant un atelier éphémère à Time Square [à New York, on dit "pop up workshop"] qu’on sème les graines d’une future génération d’amateurs de beaux objets mécaniques. Et c’est probablement en soufflant du cor des Alpes devant la tour Eiffel [par bonheur, un des horlogers de la Tournée sait moduler son souffle dans le plusgrans instrument à vent du monde] qu’on attise une nouvelle curiosité générationnelle pour les machines du temps. Bien entendu, c'est coûteux et il faut les moyens d'un grand groupe pour de tels investissements sans retombées immédiates... ••• Quand François-Henri Pinault nous parle d'horlogerie, on a envie d’y croire. Quand il couve du regard ses horlogers, on se prend à le croire. On sait qu'il s'en offrira bientôt d'autres, avec d'autres marques : peu importe lesquels et lesquelles, il n'est pas pressé. Son « pôle horloger » prend forme, au-delà de Girard-Perregaux, avec le repositionnement intelligent de JeanRichard, sister brand dont on refera le petit frère volontiers chahuteur [un peu ce qu’est le prince Harryà son frère, William, prétendant au trône d'Angleterre] et la relance d’institutions comme Boucheron. ••• Il faut avouer que le groupe PPR revient de loin et qu’il a payé cher pour apprendre le métier. Tom Ford a failli lui torpiller ses marques horlogères (Yves Saint-Laurent au tapis, Gucci au plus mal, Boucheron au bord du gouffre). Un vrai génie, ce Tom Ford, comme on aimerait en voir plus souvent chez… ses concurrents ! Il aura fallu ensuite tout reconstruire, sur des bases saines et logiques, en commençant par le cœur du métier (la manufacture) et en redonnant confiance aux hommes et aux femmes qui font battre ce cœur (les équipes horlogères). C’est ce qu’on est en train de faire chez Girard-Perregaux (et chez JeanRichard) : la Tournée des jeunes talents et l’exposition parisienne – le tout devant bientôt repartir pour un tour du monde – en témoignent. C’est aussi ce qui est à l’œuvre chez Boucheron. ••• Collectionneur privé de belles pièces, FHP avait un jardin secret : l’horlogerie mécanique. Il vient de traverser le miroir pour devenir lui-même créateur, ou du moins accompagnateur, de grands créateurs comme Dominique Loiseau, qui a peut-être enfin trouvé le mécène capable de le comprendre. Bienvenue au club ! Le chemin sera long, mais on a déjà le sentiment qu’il peut s’avérer fécond. 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