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BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
À l'Assemblée nationale, le terrifiant « complexe de la Swatch » tétanise les députés français

Comme le temps passe... Il y a quinze ans, on ne parlait pas de la Rolex de Nicolas Sarkozy, ni des montres portées par les hommes politiques. « Business Montres Archives » vous propose un détour vers le futur, qui nous a permis d’exhumer cet article de Grégory Pons, publié en 2002 dans « Série limitée », le supplément luxe des « Echos » (France) – c'était du temps où les suppléments horlogers de la presse magazine n'étaient pas que de grossiers pièges à pub...


••• Chaque « tribu » professionnelle a ses propres codes horlogers. Revue de détail passée à l’Assemblée nationale, auprès de Mmes et MM. les députés... 

Demander à un député la marque de sa montre revient presque à lui demander son code confidentiel de carte bancaire. Pour avoir été trop soupçonnés, les élus se veulent désormais insoupçonnables et, interrogés par téléphone, ils n’affirment porter que des Swatch. C’est populaire et démocratique. Hélés dans la « salle des quatre colonnes » de l’Assemblée nationale (France), à l’entrée de l’hémicycle, ces mêmes députés trahissent des goûts moins hypocrites, quoique parfois décevants. 

On peut les classer en trois grandes familles : les amateurs, les indifférents et les navrants. Laissons tout de suite de côté les indifférents : quoique gens pressés par excellence, certains députés ne portent pas du tout de montre. Il est vrai que l’Assemblée regorge de pendules. Sans doute font-ils confiance aux cadrans de leurs assistantes, généralement fières de leurs petites montres tendance, qu’il s’agisse de griffes italiennes, de TAG Heuer sportives, de Rolex « cadeau-de-papa » ou de Cartier – vraies ou fausses –pour les plus frimeuses, qui ne sont pas toutes de droite... 

Les députés les plus « navrants » affichent un mauvais goût certain dans le choix de leur montre, objet qu’ils n’avaient pas regardé avant qu’on ne leur en parle. Vieux boîtiers déchromés, sentant bon le quartz digital et le design industriel de masse des années 1970. Marques de supermarchés, montres publicitaires offertes par des industriels de la circonscription (à des prix qui ne trahissent pas l’abus de biens sociaux), improbables objets de pacotille horlogère : ces élus de la nation n’ont sans doute pas de temps à perdre avec leur garde-temps. 

Les «amateurs » se pressentent au premier regard : costume bien coupé (le sur-mesures fait une percée chez les parlementaires), chaussures impeccables, brushing soigné et lunettes de prix. La manchette glisse harmonieusement sur le poignet pour dévoiler une montre de qualité : «Mais, personnellement, je ne tiens pas à être cité ». Etonnant quand on connaît leur avidité face au moindre micro ! Qu’ils soient caciques socialistes ou barons RPR, les députés qui ont du goût font un sans-faute. Cartier pour les uns, Rolex pour les autres, Longines ou Omega pour les provinciaux, Hamilton pour les jeunes, Hugo Boss pour les battants,au pire Michel Herbelin pour les députés franc-comtois : il faut bien soutenir l’industrie horlogère du Jura français. Les vétérans du gauchisme ont conservé une Lip du trésor de guerre des luttes de 1973. Ou alors, comme le député européen Daniel Cohn-Bendit, ils refusent de porter autre chose qu’une Swatch, qu’il oublie souvent de mettre... Peu ou pas de montres vraiment hors de prix, sauf quand il s’agit de grands amateurs comme Julien Dray, qui a patiemment monté une magnifique collection personnelle de Patek Philippe. Quelques Swatch bien décalées, qui collent au personnage : Alain Madelin les adore, tout comme François Bayrou, Hervé de Charrette ou les jeunes non-conformistes du RPR. Seul point commun à tous les amateurs quand ils parlent de leur montre : « C’est un cadeau de... » ! Ma femme, ma fille, mon père, ma grand-mère : rayez les mentions inutiles. À croire que les députés n'achètent leurs montres. Et pas de signes extérieurs de richesses, surtout devant les caméras parlementaires. 

Côté Elysée, la marque des montres des anciens présidents François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing doit manifestement relever du secret défense. Le général de Gaulle, on le sait, ne jurait que par Lip. On en sait un peu plus sur les montres du président Chirac [article écrit du temps de sa présidence : ndlr], amateur de chronos Bulgari et de montres aussi solides que son appétit (Pasha de Cartier, parfois Breitling, peut-être Breguet). Aux visiteurs étrangers, le président offre une montre commémorative de l’Elysée, plutôt bas de gamme, qui offre un second fuseau horaire. Quand on pense que les présidents de la IIIe République offraient des Leroy, on prend la mesure d’un certain recul. 

A Matignon comme rue de Solférino, au siège du Parti socialiste, le goût des belles montres est venu aux hiérarques avec celui des honneurs républicains et des 607 avec chauffeur. Les initiés ont formé les non-initiés. A la Reverso de Lionel Jospinr épondent les Patek, Rolex et autres grosses Cartier de son ami Strauss-Kahn. Pierre Moscovici ne jure que par Blancpain. Laurent Fabius préfère afficher le décalage bobo d’une Swatch, mais on sait qu’il est amateur de belle horlogerie, tout comme Hubert Védrine ou Jack Lang, naturellement porté vers le design e tles montres de créateurs. On sent la rupture avec Jean-Pierre Chevènement, qui considère qu’une question timide sur sa montre relève d’une offense à la morale laïque, républicaine et sociale. A droite, les valeurs sûres s’appellent Rolex (côté RPR) ou Cartier (côté UDF). Philippe Séguin passe pour être amateur de montres, qu’il consulte dès qu’un rendez-vous commence à l’ennuyer, c’est-à-dire souvent. Alain Juppé ne dédaigne pas les belles pièces (Rolex et Breitling notamment), mais Edouard Balladur s’en tient aux montres de famille, sans luxe ostentatoire. Plus à droite encore, Jean-Marie Le Pen, adepte des gros volumes, aime bien que ça brille et que ça se remarque...

•••• COMMENTAIRE 2017 

Aujourd’hui, on n’écrirait plus ce reportage horloger à l’Assemblée nationale comme ça. Surtout : un tel article serait impossible à réaliser tellement le sujet « Montre + politique » est devenu encore plus médiatiquement explosif qu’il ne l’était il y a quinze ans. La faute à qui ? À une certaine Rolex présidentielle [qui n’en était pas une la plupart du temps] et aux fausses polémiques lancées par la gauche à ce sujet. La faute à la dictature du politiquement correct dans les médias et à la surexposition personnelle des leaders de chaque camp. La faute aussi à la puissance d’Internet, qui érige le moindre blogueur en censeur vigilant de la « morale » républicaine. La faute, enfin, aux excès publicitaires des montres de luxe qui inondent les médias, additionnée à la fatigue d’une ère bling-bling finissante et aux derniers sursauts des insupportables « années-fric » qui s’achèvent...


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