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NITRO : Il faut avoir tout faux pour avoir tout juste (C3H5N3O9)

Demandez à n’importe quel petit génie du marketing fraîchement émoulu des grandes écoles de commerce : il vous listera très précisément tout ce qu’il ne faut jamais faire pour réussir le lancement d'un produit. Et il aura gagné le droit de devenir assistant chef de produit marketing d’une très grande marque : zéro défaut... mais aussi zéro génie ! ••• Une fois que le petit génie a répondu, demandez aux créateurs de C3H5N3O9 comment ils s’y sont pris pour lancer leur …


Demandez à n’importe quel petit génie du marketing fraîchement émoulu des grandes écoles de commerce : il vous listera très précisément tout ce qu’il ne faut jamais faire pour réussir le lancement d'un produit. Et il aura gagné le droit de devenir assistant chef de produit marketing d’une très grande marque : zéro défaut... mais aussi zéro génie !

••• Une fois que le petit génie a répondu, demandez aux créateurs de C3H5N3O9 comment ils s’y sont pris pour lancer leur marque : ils ont fait exactement tout ce qu’il ne faut jamais faire. Maxi-défauts. Maxi coup de génie... ••• Pour comprendre, on va commencer par le nom : C3H5N3O9 ! À vos souhaits  ! Avec ça, on se fait recaler dans n'importe quelle sous-école de commerce. Même Maximilian Büsser et Felix Baumgartner, deux des créateurs du concept, sont obligés de l'écrire dans le paume de leur main pour s'en souvenir au moment d'en parler. En fait, c'est la formule chimique de la nitroglycérine : personne ne s'en souviendra spontanément, mais on retiendra l'idée et les insiders prendront un malin plaisir à l'apprendre par coeur... ••• C3H5N3O9 : un nom à coucher dehors, mais qui veut pourtant dire ce qu'il veut dire, puisque tout dans cette nouvelle marque [référence # 47/Génération 2012 : mais est-ce vraiment une marque ?] annonce la disruption, l'explosion et le dynamitage des certitudes plus fondées, y compris dans les rangs de la nouvelle horlogerie. Souvenez-vous de la petite musique d'Il était une fois la révolution et de son professionnel de la nitroglycérine : pour vous rafraîchir les idées, voyez la bande-annonce ci-dessous en VO.. ••• Ensuite, la question du qui. Deux noms ont déjà été lâchés : Maximilian Büsser et Felix Baumgartner, fondateurs respectifs de MB&F et d'Urwerk. On leur ajoindra Martin Frei (pour Urwerk) et Serge Kriknoff (pour MB&F) : ce n'est plus un quatuor, mais une association de... malfaiteurs et d'empêcheurs de tourner. Imagineriez-vous Omega et TAG Heuer développper une montre ensemble, Stephen Urquhart et Jean-Christophe Babin rigolant ensemble de la bonne blague ? Non, et c'est normal : il faut être quatre fous pour oser une telle association, selon un modèle économique collaboratif totalement décalé. Donc, là encore, on a fait ce qu'il ne faut jamais faire : associer deux images au risque de les brouiller... ••• "Experiment ZR 012" : c'est le nom du produit. Une montre ou un produit chimique ? Allez savoir, avec ces quatre-là... Ça ressemble effectivement à une montre, et ça doit même donner l'heure, mais cette pièce commet l'erreur absolue, celle qui ne pardonne jamais : la confusion des identités stylistiques. S'agit-il d'une Urwerk ou d'une MB&F ? Les deux, bien sûr, même si chaque élément de la nouvelle Fraction armée horlogère a le sentiment que c'est surtout l'identité de l'autre qui saute aux yeux. Donc, nouvelle infraction majeure aux tabous du marketing élémentaire... ••• On continue avec le marketing même de l'opération : la règle élémentaire est de lancer le produit. C'est même devenu une spécialité de Maximilian Büsser, spécialiste et pionnier du buzz horloger, virtuose du grand effet de souffle avec une nano-bombe et dynamitero professionnel des codes empesés de la haute horlogerie. Là, pas de lancement, pas de buzz, pas de fuites stratégiquement organisées. On met en ligne et c'est tout, dans une logique "Fire and forget" qui doit beaucoup à Che Guevara : chacun vient y piocher librement de quoi composer sa propre annonce. Seule concession (faiblesse ?) aux canons de la beauté médiatique : il y a un communiqué en anglais. A la limite, on aurait pu s'en passer : les explications du site auraient. Résultat de l'épisode : zéro communication, zéro promotion, zéro marketing ! Ce qui fait beaucoup, mais on voit déjà se dessiner l'anti-tactique des cancres qui croquent les cracks dans la dernière ligne droite en ne faisant rien comme les autres... ••• Le produit  "Experiment ZR 012" est tout de même très particulier : très segmentant par son style [design : Eric Giroud, mais on y devine l'influence de Martin Frei], il ne l'est pas moins par son positionnement prix (110 000 CHF hors taxes : on joue dans la cour des grands !), par ses choix commerciaux (e-boutique du site, sinon rien : pour voir la pièce, réservez un EasyJet pour Genève) et par son contingentement (12 pièces en 2012, pas une de plus). On veut bien prendre les paris qu'il n'y en aura plus dans quelques heures. Soit parce qu'un audacieux pool de détaillants aura préempté la récolte, avec la liberté de pratiquer ensuite les prix de son choix. Soit parce que les collectionneurs, appâtés par la réputation des créateurs, miseront un billet à six chiffres sur les conséquences haussières de cette rareté initiale. Dans tous les cas, vous n'êtes pas prêts de voir la pièce au poignet de votre voisin. Une fois de plus, cette stratégie produits a tous les défauts de la terre, sauf celui de ressembler à tout ce que font les marques concurrentes – y compris celles de la nouvelle génération... ••• Pas de détaillants ? Eh non : quand on vend douze pièces, pourquoi s'embarrasser d'un réseau, dont la rémunération obligerait de toute façon à vendre la pièce deux fois plus cher ? Quand on a planifié douze autres pièces pour 2013, même raisonnement. Aux collectionneurs de réagir directement : ils connaisssent suffisamment bien les deux équipes associée dans le projet "Nitroglycérine" pour avoir confiance. Pour les questions de SAV, l'intendance suivra : inutile de passer la M.A.D. Gallery, on n'y trouvera ni la pièce, ni l'équipe chargée de manipuler cet explosif... ••• Ah, au fait, et la montre, ça donne quoi ? C'est à la fois très simple et très compliqué. Très simple à expliquer, puisqu'il s'agit d'une déclinaison horlogère du fameux "moteur rotatif" imaginé par le non moins fameux Doktor Felix Wankel, dont Wikipedia nous apprend que, "contrairement au moteur à piston au mouvement linéaire dans un cylindre, le moteur Wankel n'utilise pas le principe du système bielle-manivelle. Il n'engendre aucun mouvement alternatif, ce qui réduit les transformations de mouvement, les frottements, les vibrations et le bruit. L'ensemble comporte également un nombre de pièces réduit. Ces avantages en font une solution technique séduisante". Le plus compliqué est maintenant d'expliquer en quoi ce moteur rotatif peut avoir une interprétation horlogère. Surtout quand il y a DEUX de ces moteurs Wankel dans la montre... ••• Il s'agissait de loger dans un boîtier en zirconium à cornes articulées [toujours cet art de ne rien faire comme les autres] un affichage par rotors triangulaires. Techniquement, il est question de polygones triangulaires Releaux (on voit tout de suite la forme) et de rotors à course épitrochoïde (c'est-à-dire non linéaires). On y reviendra dès qu'on aura d'autres éléments mécaniques. Au cas où, les équations sont imparables : x = cos(w1*t) + (R/L)*cos[(w1+w2)*t] y = sin(w1*t) + (R/L)*sin[(w1+w2)*t]

••• Pour la lecture de l'heure, ça va encore : on retrouve le segment linéaire dont nous sommes devenus familiers avec la collection Urwerk. Pour les minutes, c'est moins évident à première vue, mais l'affichage est finalement assez proche du principe des Urwerk. Réserve de marche de 39 heures (ci-dessous). Comptez 55 mm x 44 mm pour la taille : au poignet, ce n'est pas rien...

••• Alors, C3H5N3O9 "Experiment ZR 012", pourquoi faire ? Bonne question, merci de l'avoir posée, comme disent les politiciens en campagne. Disons que c'est fondamentalement un jeu pour créateurs de jouets de garçon. MB&F a sept ans : Maximilian Büsser et Serge Kriknof maîtrisent suffisamment leur outil pour avoir envie de changer de cour de récréation [du moins en attendant le lancement de leur prochaine "machine", à l'automne]. Même constat pour les deux créateurs d'Urwerk, qui n'ont plus rien à prouver à personne, sinon à eux-mêmes. D'où leur envie de s'amuser ensemble, avec les deux Urwerk à la technique et les deux MB&F au design et à la production. On peut imaginer que le non-marketing et la non-communication du non-produit d'une non-marque sont une coquetterie née dans le cerveau de Maximilian Büsser. ••• Qu'on se le dise, C3H5N3O9 n'est pas une marque : c'est une plateforme créative qui met en scène des montres "capsule" capables de séduire une nouvelle génération de collectionneurs, plus attachés à l'originalité et à l'exclusivité d'un objet (logique de l'art contemporain) qu'à la puissance de sa marque. La cible des early adopters est clairement visée, pour peu qu'ils aient un peu de culture horlogère et une certaine passion pour les belles mécaniques... ••• On résume donc la nouvelle offre : soit une marque qui n'en n'est pas une, un produit sans créateur phare, avec un positionnement faussement commercial, qu'on propose avec la pire des statégies marketing dans le domaine du luxe, à un prix extravagant, et on doit en oublier : normalement, avec tous ces handicaps, on devrait aller droit dans le mur. Sauf qu'on peut parier que ce mix radical va permettre à la montre de s'arracher : la nitroglycérine explosera en faisant de sévères dommages collatéraux. La déflagration va au moins sérieusement démoder les propositions des concurrents de la nouvelle génération... ••• Aux dernières nouvelles, cinq pièces seraient déjà prêtes à être livrées (on reconnaît là l'efficacité logistique d'un Serge Kriknoff aux heureux vainqueurs de la compétition qui ne manquera de s'établir entre collectionneurs pour rester dans les premiers à porter la pièce. Pour réserver, 33 000 CHF de dépôt feront l'affaire pour cette application de l'anti-marketing et de l'esprit "capsule" à l'offre horlogère, dans cette logique colalborative quasiment non-marchande qui est en train de devenir le nouveau signal de reconnaissance des années 2010... 

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