ONLY WATCH / SUITE ET FIN (accès libre)
Le pathétique lâchage d’Only Watch ne doit pas décourager la communauté horlogère. Au contraire !
Plusieurs lecteurs ayant considéré que c’était une « fake news », en dépit de notre publication du communiqué officiel, nous revenons avec quelques explications supplémentaires, en accès libre, sur l’extravagant abandon des ventes Only Watch par leur fondateur. Un Luc de perdu, dix de retrouvés ?
Le lien avec le communiqué officiel d’Only Watch fonctionnait correctement, mais beaucoup de lecteurs attentifs ont paru croire à une sorte de poisson d’avril, à un pastiche humoristique et à une information parodique mitonnée par nos soins (Business Montres du 6 novembre et Business Montres du 8 novembre) – l’esprit taquin de Business Montres en a vu bien d’autres ! Certains lecteurs ont même un instant pensé que c’était une fake news propagée on ne sait trop par qui, mais pourquoi pas (semblaient-ils penser) par la conjugaison occulte de ces forces obscures qui avaient contraint le malheureux Luc Pettavino à annuler sa vente de 2023 pour la reporter assez piteusement au printemps 2024 – ce qui était, bien entendu, de la faute de la méchante équipe de Business Montres. Et bien non ! Ce communiqué (à télécharger ici dans son intégralité) était on ne peut plus authentique, officiel, autorisé et proprement ahurissant si on en fait un premier décodage, que nous devons bien à nos lecteurs…
• Le bilan scientifique officiel : « Depuis sa création en 2001, l’association a organisé des rencontres déterminantes entre des chercheurs du monde entier autour des avancées de la science et de la médecine sur les myopathies, financé des programmes de recherche collaboratifs, de très nombreux projets portés par des scientifiques de tous horizons, en milieu hospitalier ou universitaire, ainsi que ses propres programmes de R&D au sein de startups. Aujourd’hui, un essai clinique “first in human” de phase 1/2A1 est mené par des scientifiques soutenus par l’AMM-Only Project sur une nouvelle molécule qui pourrait changer la donne pour de nombreux patients. » Au premier abord, cela peut sembler impressionnant, mais c’est toujours d’un flou inquiétant par rapport aux publications des associations charitables (par exemple, américaines) qui œuvrent pour la même cause, mais avec de bien plus amples résultats : rien qui puisse nous amener à modifier nos analyses précédentes sur l’incroyable stérilité [du moins, jusqu’ici] des dépenses engagées par Only Watch pour soutenir les recherches effectives contre les myopathies (voir nos chroniques précédentes). Était-ce vraiment pour la bonne cause et pour mieux soutenir les chercheurs que la moitié des 130 millions d’euros offerts par les horlogers à Luc Pettavino sont restés bloqués sur les comptes bancaires d’Only Watch, à l'abri de tout contrôle ?
• Le coup de bluff : « En deux décennies, l’Association Monégasque contre les Myopathies-Only Project est devenue l’un des “game changers” dans ce domaine ». C’est l’avis de Luc Pettavino et il a probablement raison de le partager, mais il est bien le seul : c’est très très très loin d’être l’opinion de la communauté scientifique, française et internationale à ce sujet. Un peu de lubrifiant monégasque pour mieux faire passer l’annonce : « Grâce à un maillage collaboratif unique, à un travail immense de toutes ses composantes, l’horlogerie et son écosystème irriguent aujourd’hui l’espoir de vie des patients atteints de myopathies et permettent à la recherche de progresser vers les thérapies ». On progresse, on progresse : exactement comme à l’Opéra, quand on marche sur place pour simuler le mouvement ! Risquons une remarque désagréable : si l’horlogerie a jusqu'ici permis cette progression, pourquoi enrayer cette belle dynamique en renonçant dès à présent aux ventes horlogères d'Only Watch ?
• Les prévisions scientifiques officielles : « L’association a apporté des financements clés à des projets portant sur d’autres pistes thérapeutiques, permettant le développement des connaissances sur la maladie et la création d’outils visant à un meilleur diagnostic et à une amélioration de la prise en charge de cette pathologie. Dans les prochains mois, de nouveaux programmes seront lancés afin de continuer à développer la contribution à la science et la médecine au bénéfice des patients en attente de solutions partout dans le monde. » Toujours le même style « Demain, on rasera gratis », récurrent depuis une dizaine d’années au cours desquelles on n’a jamais cessé de nous annoncer non seulement le lancement de nouveaux programmes, mais aussi des avancées scientifiques « imminentes ». C’est précisément parce que rien ne venait après ces annonces que nous avons commencé à poser des questions précises, mais personnelles et discrètes, à la direction d’Only Watch, sans la moindre réponse évidemment, jusqu’à ce que nous décidions à faire état publiquement de nos doutes [c’était à l’automne 2023], en ouvrant le dossier et en demandant l’annulation de la vente jusqu’à de plus amples éclaircissements sur la transparence et la gouvernance du projet. Doutes qui n’étaient pas anodins et questions qui étaient celles que se posaient les marques qui participaient aux ventes d'Only Watch – ceci jusqu’à l’annulation de la vente prévue en novembre 2023, avec la promesse de présenter rapidement les résultats d’un audit capable de balayer ces doutes. Audit qui devait être initialement confié à une proche de Luc Pettavino, qui sera là aussi obligé de rétropédaler face aux objections de Business Montres : il finira par confier cet audit à un cabinet ami, moyennement compétent dans ce domaine et qui ne répondra que très partiellement aux questions posées. L’approche purement comptable de l'audit, sans la moindre critique stratégique des opérations financées, n’a satisfait personne à propos du projet Only Watch et n'a rien vu des fantastiques conflits d’intérêt constatés entre les allocations de fonds et les sociétés commerciales fondées avec l’argent d’Only Watch [au profit exclusif des fondateurs d’Only Watch, de leurs familles, de leurs obligés et de leur réseau]…
• La question cruciale de la gouvernance : « C’est dans cette dynamique que l’AMM-Only Project renforce son équipe et sa gouvernance, notamment via la création d’un Comité stratégique rejoint par des professionnels reconnus, dont des personnalités de l’industrie horlogère, ainsi que d’un Conseil scientifique composé de profils internationaux issus de la recherche médicale et scientifique ». Encore un effet d’annonce, encore des promesses ! Les noms des membres de ce conseil seront communiqués en janvier : pourquoi ne pas avoir attendu janvier 2025 pour en faire état ? En attendant de connaître l’identité des « personnalités de l’industrie horlogère » embarqués dans ce conseil scientifique, un constat : si ce sont, comme c’est prévisible, des amis personnels de Luc Pettavino, ils n’auront aucune raison de poser des questions qu’ils ont refusé de se poser auparavant. Nous serons alors revenus à la case départ [il est douteux que Luc Pettavino s’entoure d'autorités indépendantes venant de marques qui n’avaient pas voulu participer aux opérations Only Watch].
• Une confirmation de cet entre-soi : « Les liens avec les femmes et les hommes de l’horlogerie restent, et s’amplifient même, par la création d’un comité stratégique dans lequel ils seront fortement représentés et pourront continuer à partager cet engagement commun de longue date vers les thérapies ». On a donc raison de considérer que les copains et les coquins resteront dans la place, et donc que le ver sera toujours dans le fruit. On se demande d’ailleurs en quoi les horlogers ainsi embedded pourront aider une recherche scientifique qui ne fera plus appel à la générosité des marques de montres. De toute façon, le népotisme restera de rigueur, puisque la nouvelle directrice du projet n’est autre, loin de toute common decency, que la propre fille de Luc Pettavino…
• Le poids des mots, le choc des égos : « Les 10 éditions de l’iconique vente aux enchères Only Watch, et ses plus de 440 montres pièces uniques créées et vendues pour l’occasion, ont également eu un impact très positif sur la haute horlogerie, lui offrant une visibilité internationale accrue et des records du monde sur tous les plans : celui de la valeur, mais également celui de l’empathie et de l’unité. C’est en effet tout un secteur qui s’est fédéré pour combattre une maladie infantile létale. » On l’aura compris sans grands efforts de décodage : c’est grâce à Luc Pettavino que la haute horlogerie a connu la fabuleuse « bulle » créative et commerciale qu’elle vient de vivre. C’est grâce aux 440 montres d’Only Watch qu’elle a battu tous ses records. C’est grâce aux recherches sur les myopathies que les montres suisses peuvent se vendre aussi cher. C’est grâce aux 130 millions d’euros offerts par les horlogers que l'horlogerie a pu se fédérer (!) – ah bon ? Bref, nous avions face à nous un génial deus ex machina et nous ne le savions pas ! Quelle pitié que d’avoir sous-estimé son rôle de primus inter pares et quel malheur de ne pas lui avoir fait confiance quand Luc Pettavino décidait d’être personnellement majoritaire dans les sociétés qu’il fondait avec l’argent des horlogers ! Merci, Luc, merci, Tess : la revente d’espoir au conditionnel et au futur postérieur est donc une tradition familiale chez les Pettavino…
• Cap sur l’agro-alimentaire : en tout cas, comme le pensent bon nombre d’horlogers choqués par le ton de ce communiqué qui tient à la fois de l’enfumage et de la forfanterie, « si « Lux » Pettavino ne fait pas fortune dans le med tech comme il semble en avoir maintenant l’ambition et les moyens techniques [offerts, rappelons-le, par les horlogers], il pourra toujours se reconvertir dans le commerce des melons ! Il en a visiblement un stock inépuisable ». C’est la fin d’une belle aventure, naufragée par l’impéritie des uns et la rapacité des autres, additionnée de la spectaculaire hypertrophie d’un égocentrisme moralisateur. On vous laisse réfléchir là-dessus.
Oui, mais, au fait, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Comme nous l’avons déjà écrit, si Only Watch n’existait pas, il faudrait non pas l’inventer (surtout pas en l'état !), mais vraiment le réinventer en changeant tout ce qui a fait dérailler un projet longtemps resté raisonnable et utile pour toute l’industrie des montres. Laquelle a un besoin impérieux de disposer d’une plateforme charitable qui soit un vrai terrain neutre et qui permette aux marques, non pas de se mesurer les « longueurs de quéquettes », mais de consolider leurs efforts pour démontrer qu’elles ont du cœur et de la créativité à revendre. Luc Pettavino avait – intuitivement plus que rationnellement – compris ce besoin et il y avait répondu, au prix de dysfonctionnements qui ont torpillé son initiative. Il faut donc mettre en place, sous une responsabilité neutre et dégagée de toute inféodation, un comité de travail multi-marques pour définir un cahier des charges caritatif et mettre sur orbite l’organisation régulière d’une vente aux enchères charitable, inscrite dans le calendrier horloger et ouverte à toutes les marques, de façon inclusive, sans considérations statutaires ni querelles territoriales : toutes les marques ont besoin de montrer leurs muscles créatifs et de battre des records ! Le tout sous contrôle horloger, le conseil de direction communautaire décidant l’allocation des fonds ainsi récoltés aux partenaires non lucratifs qui le méritent. Est-ce vraiment si compliqué de fédérer des opérations qui risquent d’aboutir, si elles ne sont pas cadrées et remises en perspective, à une floraison d’initiatives disparates [certains ont déjà commencé, comme le groupe Kering] ? On vous laisse à nouveau réfléchir là-dessus…
COORDINATION ÉDITORIALE : JACQUES PONS