TÉMOIGNAGE PERSONNEL (accès libre)
Quand on me dit que ces Rolex et ces Patek Philippe sont introuvables, j’ai bien plus que des doutes…
Du moins, je me demande pour qui ces montres sont « introuvables » et pour quel genre de clients elles ne sont pas sur liste d’attente. Le témoignage ci-dessous n’engage que moi et, pour des raisons faciles à comprendre, je n’ai aucune autre preuve de ce que je rapporte que ma bonne foi et mes bonnes relations avec les protagonistes du récit, que je ne vais évidemment pas « balancer » – mais l’histoire gagne à être connue…
« Cet épisode insolite de l’horlogerie contemporaine a pour décor une des grandes métropoles européennes de la montre [impossible d’en dire plus pour ne pas griller mes sources]. Je me trouve chez un de ces marchands d’articles de luxe dont le métier est d’acheter et de revendre des foulards et des sacs Hermès, mais aussi des chaussures Chanel, des keep all et des valises Louis Vuitton, des tote bags Goyard, des tailleurs Gucci et des sneakers introuvables ailleurs, bref tout ce que recherchent les fashionistas du luxe. Faut-il appeler ça un « dépôt vente » ou une sorte de « mont de piété » ? À chacun d’en décider : en tout cas, la boutique ne paye pas de mine et elle n’expose aucune montre dans la vitrine – « trop dangereux », paraît-il ! Depuis quelques mois, ce vieux copain s’est mis à ouvrir un rayon de montres : Ebel, Alpina, TAG Heuer, Breitling ou Cartier pour commencer ; Rolex, Audemars Piguet et Patek Philippe plus récemment. Justement, ce week-end d’automne, comme je suis de passage dans sa rue, je vais lui faire un petit coucou, à l’heure de la fermeture de son point de vente, histoire de voir où il en est dans cette nouvelle extension du domaine de la lutte.
« Là, surprise ! Avec un grand sourire, comme il connaît ma passion pour les montres, il me sort de derrière son comptoir quelques écrins Rolex : pas de doute, ce sont bien des « professional » en acier, une « Pepsi » à bracelet jubilé, une « Batman » (ci-dessous), deux Daytona à lunette céramique, une Explorer et une Submariner « Hulk » (cadran vert lunette verte). Plus quelques Datejust. Les prix qu’il m’annonce sont ceux du négoce parallèle : 14 000 euros pour la « Hulk », 19 000 euros pour la « Pepsi », 24 000 euros pour les Daytona et ainsi de suite. Il en a vendu d’autres dans la matinée. Je le questionne : « Boîte papiers ? ». Bien sûr ! Garantie « open » ? Même pas ! Les montres sont neuves, évidemment, avec des cartes de garantie à son nom, datées de la semaine dernière : elles proviennent de la même boutique, un grand nom de la distribution horlogère en Europe. Je le presse de questions : il s’abrite derrière un gentil sourire et derrière ses « petits secrets de professionnel ». Comme il a bien fallu « graisser » quelques pattes pour dénicher et pour acheter autant de Rolex en acier en quelques jours, j’essaie de connaître le montant de l’enveloppe qui peut motiver un vendeur, qui me semble même avoir été le patron de la boutique : je n’en saurais pas plus, hélas !
« La conversation porte vite sur d’autres marques tout aussi prestigieuses . Apparaît vite sur le comptoir de la boutique une Nautilus de Patek Philippe et deux Nautilus, toujours « boîte, papiers et garantie très récente ». Avec ce commentaire : « J’ai un célèbre footballeur français qui veut la Nautilus pour 70 000 euros [prix boutique : 28 000 euros], mais je crois que je vais la garder pour moi ». Les Aquanaut ne valent pas tout-à-fait le double de leur prix public, mais elles ont chacun deux bracelets. La suite arrive très vite : deux Royal Oak et une Richard Mille quasiment pièce unique mais vendue exclusivement sur le marché américain, tout aussi neuves et « légalement » acquises chez un fameux distributeur de la place, pour être à présent revendues au prix généralement pratiqué sur le marché gris. Je vous épargne quelques Speedmaster en série limitée, elles aussi « introuvables » mais disponibles pour des clients japonais qui doivent passer les prendre la semaine prochaine. N’importe quel blogueur ferait 500 000 vues avec le matériel horloger qui déborde d’un comptoir de vente où s’empile les écrins des montres les plus recherchées du monde. Comme pour les Rolex, impossible de percer les « petits secrets de professionnel » de ce vendeur qui n’a aucun problème pour acheter et revendre ces raretés…
« C’est évidemment pour avoir assisté à cette scène, dont j’étais le seul témoin [c’est pour cette raison que je demande qu’on puisse me croire sur parole], que je commence à avoir des doutes sur toutes ces montres qu’on m’affirme « introuvables » et sur liste d’attente dans le monde entier : je ne doutais pas de leur existence et je savais – pour l’avoir expliqué à mes lecteurs – que les usines Rolex tournaient à plein régime et en « trois-huit » pour les produire, mais je n’imaginais pas que les vrais clients de la marque – ceux qui apprécieraient ces montres pour leur qualité, et non pour leurs performances spéculatives – en étaient privés par les manigances financières du réseau Rolex. Ce n’est pas que Rolex ne produise pas assez de ces montres : c’est juste que les boutiques préfèrent le bruit des enveloppes pleines de billets craquants au ronron des calculettes utiles aux « clients » normaux. On peut tenir le même raisonnement à propos de Patek Philippe et cette Nautilus, transformée en hochet de poignet pour m’as-tu-vu du football et du show-business : si elle est à ce point « introuvable », comment se fait-il que mon vieux copain opportuniste, qui est à présent un virtuose du parallèle de grand luxe et qui n’est en rien un collectionneur de la marque, ni même un bon client des boutiques Patek Philippe, ait pu trouver pour son footballeur, sans problème et en quelques jours, cette référence 5711 en acier cadran bleu qui n’est plus sur liste d’attente tellement les délais officiels de livraison sont démentiellement lointains. La vraie question serait de savoir combien ces montres ont été réellement payés pour quitter la boutique [en plus de leur prix public], mais vous aurez compris que je n’ai eu la réponse à cette lancinante question… »