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RECONVERSION : Comment rester sur les chemins du temps, même sans montre ?

Après seize années chez Ebel, Céline Bertin a quitté sa direction marketing pour développer un projet plus personnel dans le prêt-à-porter, mais toujours dans l'arc jurassien, avec une production européenne, des prestataires franco-suisses et des collections qui jouent aussi avec le temps, en lui donnant une autre saveur. Quand Feel At Ease parle d'aiguilles, c'est pour tricoter la maille... La boutique éphémère dans le XVIIe arrondissement (Paris) et Céline Bertin en cartouche...  ◀▶ FEEL AT EASELe cocooning …


Après seize années chez Ebel, Céline Bertin a quitté sa direction marketing pour développer un projet plus personnel dans le prêt-à-porter, mais toujours dans l'arc jurassien, avec une production européenne, des prestataires franco-suisses et des collections qui jouent aussi avec le temps, en lui donnant une autre saveur. Quand Feel At Ease parle d'aiguilles, c'est pour tricoter la maille...

La boutique éphémère dans le XVIIe arrondissement (Paris) et Céline Bertin en cartouche...
 
◀▶ FEEL AT EASE
Le cocooning des grands voyages intérieurs...
 
❍❍❍❍ Rien de moins indispensable qu'une montre dans un univers contemporain saturé de références horaires (écran de bureau, horloge de téléphone, panneau d'autoroute, etc.). Pourtant, on en vend sept ou huit centaines de millions par an à travers le monde. C'est qu'on vend du rêve, de la passion, du statut socio-économique, du désir, un récit auquel chacun est ou non capable de s'identifier. C'est qu'on travaille à pleine pâte la valeur symbolique. C'est qu'on surfe sur des courants archétypiques plus puissants que la rationalité quotidienne. Bravo, Messieurs les horlogers ! On en déduira que, quand on sait vendre des montres, on doit savoir vendre d'autres objets à première vue non indispensables...
 
❍❍❍❍ Le tout est justement de détecter ces gisements de valeur symbolique, si possible ceux qui ne sont pas exploités par les grosses "machines" qui verrouillent le marché, pour être capable de mettre en forme des nouvelles propositions capables de séduire les consommateurs, toujours en panne de belles histoires à se raconter. En quittant la direction marketing d'Ebel après seize années de maison, dans une ambiance qui tenait plus, à la fin, du parcours du combattant que de la lune de miel, Céline Bertin n'imaginait pas un retour aussi rapide dans les horizons du temps qui passe, ni surtout un retour par le biais du prêt-à-porter...
 
❍❍❍❍ Sa "valeur symbolique", c'est tout le courant du cocooning contemporain : on peut classer dans cette macro-tendance la sensibilité croissante au mieux-vivre, l'exigence de confort personnel, la déstructuration qui touche l'habillement aussi bien que les repas, la fracture générationnelle ou la consommation culturelle, la vogue des nouveaux loisirs (voyages, bien-être, spas, etc.), le nouveau culte de l'intimité douillette. On peut y ajouter un penchant réel pour la provocation, qu'elle s'exprime dans le choix des matières, les coupes du vêtement aussi bien que dans le maniement des couleurs – avec une audace avouée ici dans le montage du projet d'entreprise et le choix d'une production relocalisée en Europe, sans passer par la case chinoise. Pas de doute : le courant est ultra-porteur et il mobilise des affects très forts, poussés par l'évolution sociétale autant que par le renforcement séculaire de l'individualisme dans les sociétés occidentales. On reste là au coeur des nouveaux rapports au temps : un temps pensé autrement qu'avec la froide pression de l'heure ou des agendas, un temps consenti plus que subi, un temps ancré dans la slow attitude et dans le "bien mieux" plutôt que dans l'agression du "toujours plus". Décidément, il est difficile de s'arracher à la communauté du Temps, mais la montre mène à tout à condition d'en sortir au bon moment...
 
 
❍❍❍❍ La provocation, c'est aussi de prendre à rebrousse-poil l'opinion commune. Le non-conformisme, c'est de penser autrement, ou de penser différemment [merci, Steve Jobs] des choses, des faits, des idées ou des objets que tout le monde pense panurgiquement. Depuis les gags de Popeck sur les "caleçons molletonnés", accent yiddish en prime, le molleton n'est pas vraiment le parangon du chic textile. Toute la planète du chic fashion s'étant moqué des joggings ramollos [ceux qu'on enfile le dimanche pour bricoler] qui transformeraient Adriana Karembeu en boudin de banlieue, impossible de se montrer avec, même en rabattant la capuche. Il fallait donc oser repenser cette matière autant que cette allure : gros défi pour Céline Bertin, qui savait pourtant qu'il y avait une demande pour un nouveau chic homewear – vite muté en loungewear tellement il serait dommage de cantonner ce chic au seul trajet lit-canapé domestique...
 
 
❍❍❍❍ Première bonne idée : pas un jogging deux pièces, pas un pyjama, pas un collant de danse, pas un de ces trucs innommables qui mettrait Karl Lagerfeld en pâmoison, mais une combinaison tendance baggy, c'est-à-dire volontairement informe, d'un casual qui distend les lignes pour uniformiser les corps en singularisant les comportements. Du coup, on y verrait bien Adriana et Karl, mais il est certain qu'ils en aimeraient la transgression au point d'en personnaliser l'allure. Rassurons tout de suite les garçons, et sans doute aussi les filles : ce côté baggy zippé, c'est encore le meilleur moyen de pouvoir se rendre aux toilettes sans se désharnacher : quand on est dans sa combinaison, on y reste. Avec une seule question pour troubler sa méditation béate sur fond de chocolat devant la cheminée : sortir ou ne pas sortir avec ce nouveau "vêtement de travail" pour les rudes poètes urbains du XXIe siècle ?
 
 
❍❍❍❍ C'est la deuxième bonne idée : coupes, couleurs, capuches [on peut les porter en double !] et matières sont tellement transgressives – sinon presque caricaturales – qu'on peur sortir avec ! Personne n'aura plus l'idée saugrenue de vous soupçonner d'avoir oublié d'enlever votre vieux jogging. Donc, intérieur et extérieur : Feel At Ease est la meilleure conquête du molleton depuis l'aube de l'humanité, sachant qu'on travaille ici une maille italienne 330 g (très serrée, rien à voir avec la maille américaine) et que la structure du vêtement est très travaillée (30 pièces – on allait écrire "composants" – et 6 zips par combinaison, avec 11 couleurs qu'on peut marier et 13 tailles). Un produit atypique, inclassable, ni d'été, ni d'hiver [donc désaisonnalisé et stockable sans risques], qui va donc permettre aux fashionistas ainsi ensachées [allitération non déposée, mais qui traduit bien cette idée de chaleur mollette] de sortir : de sa chambre d'hôtel pour aller au spa [c'est mieux que le peignoir : du coup, on attend les chaussons assortis à la combinaison] ou traîner dans le lounge, de se mettre à l'aise dans l'avion, d'aller acheter une baguette de pain et des cornichons pour la fondue en station de ski [encore plus chic avec des Moonboots] ou de ne pas se rhabiller tout de suite avec une partie de tennis quand on veut taper l'incruste au club-house. Bref, c'est le nouvel uniforme multi-générationnel du nouveau peuple de la coolitude cocoonante : la tribu des fatigués du dimanche matin remercie Feel At Ease et sa combinaison branchée, qui permettra aux ménagères de moins de cinquante de rester l'obscur objet du désir aux yeux de leur mari. Tout est dans le flou, on vous dit...
 
 
❍❍❍❍ Troisième bonne idée : envoyer ses commandes par mail en Chine aurait été d'une atroce vulgarité. Feel At Ease – le nom de sa nouvelle griffe – est une injonction sémantique qui prend tout son sens dans le domaine choisi : l'équipe de Céline Bertin est à l'aise dans ses baskets pour revendiquer un enracinement salutaire. Pour la signature numérique : .fr et .ch à la fois (sites miroirs), parce que la société est immatriculée en Suisse (La Chaux-de-Fonds), mais qu'une partie de son âme est en France-Comté. Quasiment du Franco-Swiss Made ! Les fournisseurs ont été picorés dans toute l'Europe, jusqu'au Portugal, mais seulement en Europe. Les prestataires de services sont français et suisses [on ne se refait pas après 16 d'horlogerie à La Chaux-de-Fonds]. Le démarrage est régional (France et Suisse), avec un soupçon de chic parisien puisqu'une boutique éphémère (en haut de la page) a permis d'envoyer un signal aux hipsters de la capitale. Le reste suivra, dans les stations de sports d'hiver, dans les spas douillets des lointains palaces ou dans les lounges d'aéroport. Dès que Lady Gaga aura porté le sien sur Red Carpet, face Photocall, la demande va s'emballer. Pour l'instant, le F de Feel At Ease fanfaronne sur la fesse [encore une allitération pré-apocalyptique], mais quelle marque ne rêverait pas d'un bataillon d'hôtesses ainsi combinées et griffées à son logo pour râtisser les couloirs de Baselworld ? Pour Rolex, ce ne sera pas pour cette année, mais plusieurs agitateurs de la nouvelle génération sont sur les dents : on est une bande de copains, on a envie de rigoler et on ne se prend pas au sérieux dans le réseau de Céline Bertin...
 
 
❍❍❍❍ Quatrième bonne idée : la distribution, pour l'instant capillaire, mais franchement ciblée sur les sport shops indépendants, qui ont besoin d'articles de ce genre pour faire tourner leur boutique [à partir de 119 euros pour les juniors, avec un packaging amusant dans une taie d'oreiller]. Les marges laissées aux détaillants sont raisonnables [surtout pour du Made in Chez nous], mais elles permettent de réinvestir dans la communication et dans la créativité – Feel At Ease a recruté plusieurs "ambassadeurs" générationnels, notamment des sportifs décontractés. Céline Bertin mise également beaucoup sur les réseaux sociaux (voir sa page Facebook). On pourrait presque parler de... "produit anti-crise", amusant et accessible tout en restant innovant. Une telle combinaison peut se permettre de viser la cible adolescente aussi bien que la cible adulte, qui sera sensible à la qualité des finitions et à la relative durabilité du produit [un an de tests à outrance pour trouver la bonne matière, les bons patrons et les bons ateliers de confection]
 
 
❍❍❍❍ Cinquième bonne idée [après, on arrête pour aller cocooner en paix face à la neige qui tombe] : le non-style d'un non-vêtement qui trouve sa force dans une non-mode. La coupe baggy est délibérement exagérée : plus question de savoir si "ça va bien" à la personne qui se trouve dedans, puisque, par définition, ça ne peut ni aller bien, ni aller mal, l'idée n'étant plus de mettre en forme le corps, mais de donner une forme à l'âme mélancolique, sensible, nonchalant et langoureuse qui est logée dans ce corps. Ni masculin, ni féminin, plutôt transgenre, c'est le vêtement bien dans son temps, celui qui redonne le droit de perdre son temps : à porter à même la peau quand on est bien dans sa peau. Avec le maniement provocateur des couleurs et des contrastes, on pose d'emblée sa cool attitude – sans référence aux couleurs de la saison et en rupture avec la dictatures de rédactrices de mode. La fin du monde, c'est pour demain 21 décembre : ça tombe bien, cette combinaison va pouvoir partir à la conquête soft d'un nouveau monde...
 
 
 
 
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