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ARCHIVES # 37 (accès libre) : Dans la série « Il faut avoir le courage de ses convictions », reparlons de Romain Jerome...

La marque n'était encore que Romain Jerome, pas encore RJ. Elle sortait d'un premier crash et Yvan Arpa avait trouvé un « truc » pour monter un coup fumant : le naufrage du Titanic. Depuis, le marché a tranché : on ne fait pas de bonnes affaires avec des bons sentiments, mais avec des bons arguments...  ▶▶▶ RELECTURETrois bonnes raisons de réouvrir cette page... ◉◉◉◉ C'était il y a six ans, dans …


La marque n'était encore que Romain Jerome, pas encore RJ. Elle sortait d'un premier crash et Yvan Arpa avait trouvé un « truc » pour monter un coup fumant : le naufrage du Titanic. Depuis, le marché a tranché : on ne fait pas de bonnes affaires avec des bons sentiments, mais avec des bons arguments...

 
 RELECTURE
Trois bonnes raisons de réouvrir cette page...
 
◉◉ C'était il y a six ans, dans la newsletter (papier) Business Montres & Joaillerie : une vrai indignation contre ce qui nous paraissait être une injure faite aux disparus du Titanic. Yvan Arpa, qu'on avait croisé chez Sector et chez Hublot, avait imaginé un raccourci marketing pour faire ce qui ne s'appelait encore que du « bruit marketing » (et non du buzz). Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, on a eu l'occasion de quelques explications musclées [pas sur tatami, il est trop fort !] à ce sujet et Yvan Arpa a fini par devenir un ami. Donc, c'est sans états d'âme qu'on revient sur cette séquence dont on retire pas un mot, même si la sensation d'avoir affaire, quelque part, à une profanation de sépulture n'a pas pu s'effacer [même avec le traitement quasiment parodique dont la marque use désormais : en bas de la page]...
 
◉◉◉ L'intérêt de republier ce texte est double. Il marquait à l'époque une avancée spectaculaire dans le grand culot marketing, démultiplié depuis par quelques experts en rodomontades médiatiques. Il aurait été facile de démontrer que l'argument d'un alliage composé à partir de vrais morceaux du Titanic ne tenait pas – et pas seulement pour des questions de proportions infinitésimales : si on veut des boulons originaux du Titanic, il suffit d'aller se promener à Belfast, sur les quais du grand bassin où le géant des mers a été construit (ci-dessous). Sous une légère couche de terre herbeuse et souillée de suie [c'est aujourd'hui une friche industrielle], on trouve des centaines de ces boulons d'époque, dont l'expertise a d'ailleurs permis d'établir que leur médiocre qualité métallurgique – résultat de la rapacité des fournisseurs, qui avait rogné sur l'alliage utilisé – était largement responsable de leur fragilité lors de la collision avec l'iceberg et de la dislocation accélérée et inattendue de la coque...
 
 
◉◉ D'autre part, les objections éthiques faites aux « pilleurs de tombes » ont prouvé qu'on pouvait avoir moralement raison, mais commercialement tort. Dans tous les pays, même aux Etats-Unis et même en Chine [où les codes culturels condamneraient normalement une telle initiative], les consommateurs ont ratifié la proposition d'Yvan Arpa, qui en avait alors profité pour fonder l'identité de la marque Romain Jerome sur la « génétique légendaire ». C'est toujours le marché qui a raison, pas les commentateurs, ni les experts. C'est le flair du manager qui s'impose, pas la protestation au nom de principes aussi philosophiquement fondés que commercialement dérisoires : on ne fait pas de business avec des bons sentiments. Un round à zéro – un de plus ! – dans l'éternel match Machiavel contre les Bisounours...
 
◉◉ Ajoutons un troisième terme à l'intérêt de cette page d'archives : à l'époque, à part Business Montres, personne n'osait écrire ce genre d'article ! Il ne faisait pourtant que refléter l'opinion assez répandue dans les milieux horlogers, mais, disait-on, « ça ne se fait pas de dire les chose ainsi ». Depuis, la séculaire tradition suisse du compromis et de la connivence taiseuse a été sérieusement ébranlée et il arrive à quelques éditorialistes horlogers de se lâcher plus souvent et plus méchamment. Qui s'en plaindra ? 
 
 
 7 MARS 2007
J'irai cracher sur vos tombes ?
ROMAIN JÉRÔME PRÉSENTE UNE MONTRE QUI UTILISE L’ACIER DU « TITANIC »
◉◉ La montre Romain Jérôme Titanic-DNA – première pièce d’une collection qui se veut « DNA of Famous Legends » (ADN des grandes légendes) – entend créer un lien entre notre époque et le « Titanic », paquebot qui a coulé dans l’Atlantique nord en 1912... Argument de la marque : associer une montre de luxe, équipée d’un mouvement haut de gamme (Lajoux Perret, avec petite seconde à 9 h), à des matériaux récupérés sur l’épave du « Titanic ». La lunette en acier oxydée est un alliage qui fusionne l’acier du futur « Titanic II » (dont le lancement est prévu pour 2012, à Belfast, sur le chantier qui avait donné le jour au premier « Titanic ») et quelques parcelles de l’acier remonté de 3 840 m de fond. Le cadran lui-même associe des particules du charbon recueilli sur l’épave à une laque noire. Les aiguilles sont inspirée de l’ancre du « Titanic ». Le boîtier modulaire permet d’associer ces matériaux « DNA » à un boîtier en platine ou en or rose, avec des éléments en titane, en céramique et en matériaux composites (tirage limité à 2012 exemplaires, clin d’œil au lancement du futur « Titanic II »). Le fond de cette montre a été gravé par Kees Engelbarts et il est personnalisable.
 
BUSINESS MONTRES
L’effet d’annonce est certain. Et la déception évidente quand on s’aperçoit qu’il ne s’agit que d’infimes fragments refondus… Se pose tout de même une élémentaire question de morale.
D’une part, le lieu de naufrage du « Titanic » est un mausolée sous-marin, dont l’exploitation est interdite à la fois par la morale et par la loi internationale sur les sanctuaires maritimes. Je suis d'ailleurs surpris que des fragments, même infimes, de l'épave aient pu être recyclés dans un circuit marchand...
D’autre part, on peut s’interroger sur les ressorts éthiques de la démarche de Romain Jérôme : posture de charognard ou coup de génie marketing ? Peut-on imaginer des montres réalisées à partir de composants ramassés dans les cimetières de la Première Guerre mondiale ? Qui oserait sculpter ses boîtiers dans des carlingues d’avions abattus pendant la Seconde Guerre mondiale ? Pourquoi pas des aiguilles taillées dans les poutrelles métalliques de l'ex-World Trade Center de New York ? Ou une lunette récupérée sur la carcasse du Concorde qui s'est crashé à Gonesse ? Et un bracelet en requin pour rendre hommage aux naufragés du Titanic... L’idée serait peut-être intéressante (pas sûr du tout !), mais sa réalisation du plus parfait mauvais goût.
Dans ce cas précis, son exploitation témoigne, en tout cas, d'une absence d'éthique assez choquante et d'un manque de distance par rapport au luxe très surprenant pour une marque qui ne cesse de vanter son positionnement haut de gamme... Je ne serai d’ailleurs pas étonné, connaissant la sensibilité américaine pour tout ce qui touche au « Titanic », que la marque Romain Jérôme ne soit définitivement grillée aux Etats-Unis. Je doute également que les Japonais apprécient cette attitude de pilleur d'épave. Tout comme les Européens.
Je n'entrevois qu'un retrait un peu honteux de ce modèle avant les salons de ce printemps : l'équipe de Romain Jérôme aura-t-elle le cran de la présenter à Bâle ? Puisque cette marque entend « créer des objets qui ont une âme », cette montre – par ailleurs designée avec une certaine élégance, et plutôt réussie – a peut-être un âme, mais celle-ci n’est vraiment pas belle à voir… Et, tant qu'à faire du mauvais esprit, proposer une montre Titanic étanche à... 50 mètres, c'est assez minable, non ? Ou alors c'est le plus atroce des humours noirs...
(Business Montres du 7 mars 3007)
 
 
 
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