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BERNARD LE BELGE : On ne joue pas impunément avec les affects du bon peuple

Exemple sublime d'effet pervers : bien "montée" et bien préparée à l'origine, l'opération double nationalité tourne à la catastrophe pour Bernard Arnault, qui s'est pris les pieds dans le tapis. Dans un pays qui a coupé la tête à son roi, à sa reine et à la moitié de son élite nobiliaire, les nerfs sont à fleur de peau et les émotions à vif : il suffit d'une étincelle pour créer une déflagration numérique de premier ordre...    ••• …


Exemple sublime d'effet pervers : bien "montée" et bien préparée à l'origine, l'opération double nationalité tourne à la catastrophe pour Bernard Arnault, qui s'est pris les pieds dans le tapis. Dans un pays qui a coupé la tête à son roi, à sa reine et à la moitié de son élite nobiliaire, les nerfs sont à fleur de peau et les émotions à vif : il suffit d'une étincelle pour créer une déflagration numérique de premier ordre...

 
 
••• Vicieuse et bien ficelée à l'origine, la manipulation médiatique – qui visait à créer un chantage par ricochet sur le président de la République et son Premier ministre (décodage Business Montres du 9 septembre) – s'est retournée contre ceux qui en tiraient les ficelles : le pavé dans la mare s'est mué en une machine infernale et auto-destructrice. Dans un premier temps, il s'agissait de mettre la pression sur le gouvernement socialiste, en laissant la presse s'interroger sur les conséquences et les motivations d'un possible départ de Bernard Arnault en Belgique à l'occasion de la taxe à 75 % sur les hauts revenus (la fameuse loi anti-Arnault, premier visé parce que premier salarié de France par son niveau de rémunération). Sur une fuite assez délibérément organisée en Belgique [qui peut imaginer un instant M. Arnault postant son dossier de naturalisation au guichet administratif de M. Tout le Monde ?], les médias ont embrayé comme un seul homme, piégeant dans la foulée l'opposition de droite. Il suffisait dès à Bernard Arnault de démentir mollement pour devenir l'innocente victime – rôle médiatiquement gratifiant – d'une vendetta anti-entrepreneurs. Aux socialistes de s'en débrouiller...
 
••• Sauf que les calculs tortueux des gourous de Bernard Arnault ont sous-estimé le nouveau poids de l'opinion publique, de moins en moins complaisante pour se faire manipuler par les médias et de plus en plus décidée à faire entendre sa voix par tous les canaux numériques disponibles – et ils ne manquent en société 2.0. Alors que l'établissement journaliste et les médias mainstream dissertaient doctement du cas Arnault, en parfaite connivence avec la classe politique, où chacun jouait poliment sa partition [la droite contre, la gauche pour], le bon peuple exprimait de façon peu amène son indignation, sinon son hystérie anti-pognon, anti-riches, anti-élites, disons pour résumer anti-autorités constituées. Ce qui a sans doute poussé Libération à cette Une provocatrice (ci-dessus), dont le populisme de gauche, pour être outrancier, n'est jamais que la reprise décalée d'une Une précédente de Charlie Hebdo (ci-dessous), dont on avait beaucoup moins parlé puisqu'il s'agissait de Nicolas Sarkozy...
 
••• Le déferlement de haine sociale qui s'est retourné contre Bernard Arnault en dit sur une nation à bout de nerfs, qui n'en peut plus de n'être pas entendue par ses gouvernants et par ses élites. En pleine crise économique, alors qu'une récession qui ne veut pas dire son nom [à quelles astuces comptables tiennent les 0,8 % de croissance annoncés par le gouvernement ?] frappe durement les classes moyennes et les classes populaires, la mise en avant d'un comportement spontanément considéré comme "contre-solidaire", sinon comme égoïste, a mis le feu aux poudres. Combien de millions de Français aimeraient pouvoir, eux aussi, se délocaliser vers des terres plus accueillantes. Loin de ce "système-social-français-que-le-monde-entier-nous-envie" mais dont on sait désormais qu'il plombe l'économie réelle en creusant les déficits. Loin de cet Etat-providence hyper-administré qui capte près de 60 % de la richesse nationale et de cette bureaucratie d'Etat qui a fini par accaparer près d'un emploi sur quatre. Loin de cette fiscalité qui décourage l'effort personnel en pesant trop lourdement sur ceux qui entreprennent...
 
••• C'est à cette exaspération  collective anti-arrogance – exprimée brutalement sur tous les réseaux – qu'on mesure l'état réel de l'opinion et l'état d'esprit pré-révolutionnaire de la France gérée si benoîtement par François Hollande. Dans un pays qui ne parvenait plus à faire entendre les doléances de son tiers-état, on a autrefois coupé la tête du roi, de la reine, des évêques et de la moitié d'une élite nobiliaire au pouvoir depuis des siècles. Il existe en France – nation cimentée par la force d'un impérialisme centralisateur, et non par la culture d'une communauté de destin – une constante de guerre civile dont on trace les résurgences tout au long de l'histoire, des grandes jacqueries médiévales à la Libération (1945), en passant par la Saint-Barthélémy, les guerres de Vendée ou la Commune de Paris. On ne joue pas impunément avec les affects d'un peuple dont les nerfs sont à fleur de peau. Bernard Arnault, victime involontaire d'un fantastique rituel d'exécration sociale, vient d'en faire la terrible expérience. Son image aura du mal à s'en remettre : l'affaire laissera des traces durables...
 
••• Ce raidissement de l'opinion, bien perçu par le pouvoir, a eu pour l'instant un effet contraire au but recherché : il a obligé François Hollande a durcir sa position sur la taxe anti-Arnault à 75 %, désormais "sans exceptions" – la promesse qu'elle sera provisoire n'engage que ceux qui croient à la parole d'un élu : tous les précédents impôts "exceptionnels" ont été pérennisés ! Bernard Arnault, qui sent à présent le soufre, va vite comprendre que, dans une République élective régie par le suffrage universel, les politiques n'ont d'amis que "populaires". On tourne le dos aux "impopulaires" dès qu'ils sont victimes d'un décret d'ostracisme médiatique, ce qui est en train de se produire pour le président du groupe LVMH, déjà plus que timidement défendu par une presse de droite dont les publicités de son groupe étaient pourtant un des principaux vecteurs de financement...
 
••• On peut tirer de cette soudaine mobilisation anti-riches plusieurs enseignements qui intéressent directement l'activité horlogère. On passe vite de la colère contre les riches au coup de sang contre les "objets des riches" : les montres (et les marques) de l'empire Arnault sont parmi les symboles les plus visibles et les symboliques – donc les plus exposés – de la galaxie LVMH. Tout dépend comme l'affaire va évoluer, mais la violence des réactions populaires et le pourrissement du débat politique recommanderaient d'adopter un profil bas dans l'arrosage publicitaire horloger : les montres du "riche con" peuvent devenir les montres portées par les "riches cons". On fait mieux comme symbole statutaire et comme fétiche de représentation sociale. Triste époque : la fuite à Varennes se termine aujourd'hui à une arrêt TGV, quelque part entre la gare du Nord et la gare du Midi, à Bruxelles... 
 
••• Au-delà du cas horloger Arnault-LVMH, c'est toute l'horlogerie suisse qui s'installe insensiblement dans l'oeil du cyclone, du fait d'une image qui colle à la fois aux "riches" [désormais un gros mot en Europe occidentale], aux fortunes égoïstement gérées et aux nouveaux riches émergents qui éclaboussent de leurs fastueux shoppings les trottoirs des métropoles touristiques. Quand on se gargarise avec arrogance de son "luxe" en période de vaches grasses, on peut difficilement éviter la stigmatisation qui s'attache à ce luxe quand arrivent les temps de vaches maigres. L'affichage de certains prix peut désormais faire se lever une haie de fourches (pour l'instant virtuelles). La promotion sans vergogne de certaines soirées endiamantées jusqu'à la nausée a cessé de faire sourire : attention qu'elle ne fasse pas se révolter. Et ce n'est pas en évoquant ses montres dédiées à Che Guevara [comme l'a très maladroitement fait Nick Hayek dans sa mise en cause iranienne] qu'on se fera passer pour un néo-révolutionnaire pourfendeur de l'argent trop facilement gagné... 
 
••• Un souvenir pas si lointain : aussi ami qu'il ait été avec les élites des Lumières, Abraham Louis Breguet avait préfèré prendre du champ pendant le déferlement de la Terreur et mettre la frontière suisse entre ses amis révolutionnaires et son établi. Il perdait dans l'aventure ses principaux clients [la cour de Versailles et les cours européennes, qui étaient un peu les "Chinois" de l'époque], mais il n'avait pas encore gagné à ses montres les nouvelles élites impériales. Un dur moment à passer, mais son intelligence commerciale et son imagination technique lui avait permis de revenir très vite au premier plan. Comme quoi, sous l'orage, il vaut mieux s'abriter sans risquer un coup de foudre. Ses gourous auraient dû conseiller à Bernard Arnault de méditer sur l'histoire d'Abraham Louis Breguet...
 
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