BYE BYE ARLETTE : "Je vais conjuguer tous les matins le mot Liberté"
Changement d'importance à la direction du Swatch Group, qui perd une femme de tête : Arlette Emch prend sa "retraite", après vingt ans passés aux premières loges d'un groupe qui aura connu un croissance explosive. Elle dirigeait les marques Swatch et CK Watches. Retraitée ? Elle n'a jamais eu autant d'énergie à revendre : dès qu'elle a aura pris les huit mois de vacances qu'elle n'a jamais pu prendre, ne comptez pas sur elle pour abandonner l'horlogerie ! Mme Emch, "Arlette" pour tout le monde, "Arlette-Elsa" pour les …
Changement d'importance à la direction du Swatch Group, qui perd une femme de tête : Arlette Emch prend sa "retraite", après vingt ans passés aux premières loges d'un groupe qui aura connu un croissance explosive. Elle dirigeait les marques Swatch et CK Watches. Retraitée ? Elle n'a jamais eu autant d'énergie à revendre : dès qu'elle a aura pris les huit mois de vacances qu'elle n'a jamais pu prendre, ne comptez pas sur elle pour abandonner l'horlogerie !
Mme Emch, "Arlette" pour tout le monde, "Arlette-Elsa" pour les documents officiels, et tout simplement "AEE" pour ses équipes : elle était une des légendes de la direction générale d'un groupe dont elle a accompagné, pendant vingt ans, la progression sur tous les marchés internationaux. Suissesse dans l'âme, jurassienne farouche [avec une délicieuse pointe d'accent], cette ancienne journaliste avait rejoint le groupe en 1992 pour y gérer la communication. Vite repérée par Nicolas Hayek, elle avait pris la présidence de CK Watches en 1997 : c'était une des premières femmes à s'imposer ainsi dans l'horlogerie, au premier plan, et on ne peut que saluer ici le courage et la prescience de l'ancien président du Swatch Group – dont la volonté de parité n'était pas évidente dans une profession particulièrement macho. ••• Arlette ne devait plus ensuite quitter le devant de la scène horlogère : entrée à la direction générale élargie en 1998, puis à la (grande) direction générale, elle s'imposait comme une des femmes les plus influentes de l'industrie des montres, prenant en charge des marchés asiatiques importants (Japon, Corée), avant de lancer Dress Your Body (bras armé du groupe dans la joaillerie) ou Léon Hatot (là, c'était mission impossible !), puis de reprendre en mains Swatch dès 2009, pour une relance qu'elle allait réussir après des années d'errance de la marque-phare du groupe... ••• Vingt années aux commandes, c'est, pour Arlette Emch, 200 jours par an dans les avions (statistiques personnelles pour 2011). C'est huit mois de vacances en retard ! C'est assez pour avoir envie de prendre une "retraite" administrative, qui ne saurait être en rien une "retraite" professionnelle, quand on se sent plus emplie que jamais d'une inusable énergie créative. D'ailleurs, que signifie le concept d'"âge de la retraite" – mentionné dans le communiqué officiel de départ – dans un groupe dont la majorité des marques sont pilotées par des hommes qui ont dépassé cet "âge de la retraite" ? ••• 1992-2012 : c'est aussi le temps des bilans. CK Watches reste une jolie cash machine pour le groupe : c'est une des seules marques Swiss Made dans le domaine des licences horlogères fashion, avec un indice très élevé de créativité, pratiquement sans essoufflement depuis deux décennies. Swatch : le redressement de la marque a réclamé beaucoup d'énergie, mais on a le sentiment que la locomotive a été remise sur les rails et que Swatch ressemble à nouveau à Swatch. Carton plein pour Arlette dans les deux cas : bravo, Madame, et merci ! Au chapitre des regrets, on affichera l'échec de la diversification joaillière du groupe : Nicolas Hayek autant qu'Arlette Emch voulaient ajouter un pilier joaillier à un groupe très industriel. Dans la foulée du rachat de Breguet, un raid sur Chaumet avait été manqué. Le ratage de l'épisode Léon Hatot a surtout prouvé qu'il est pratiquement impossible pour un groupe de lancer une marque from scratch. Le démantèlement ultérieur de DYB (Dress Your Body) – prélude à la fin de la joint-venture avec Tiffany & Co – devait confirmer le désengagement du groupe dans ce secteur et le peu d'intérêt de Nick Hayek pour un marché complexe, tant sur le plan marketing que sur le plan commercial. ••• Arlette Emch lâchera les commandes de Swatch et de CK ces jours-ci : on ne sait pas bien qui reprendra les rênes, mais on ne peut que croiser les doigts pour que ce soit une "pointure", surtout pour ce qui concerne Swatch. Pour des raisons légales, elle restera membre de la direction générale jusqu'en février 2013. Le départ a été planifié sans fâcherie apparente de part et d'autre. "Tout de bon pour cette nouvelle étape de vie", souhaite le communiqué officiel de départ : c'est non protocolaire, mais très sympathique ! Business Montres avait écrit que cette retraite pourrait intervenir un peu plus tôt. Ce sera un peu plus tard : quelle importance ? Quand on a eu la chance de travailler au plus près de Nicolas Hayek et de bénéficier de sa confiance, les vanités professionnelles peuvent ensuite sembler un peu fades... ••• "Je vais apprendre à conjuguer tous les matins le mot Liberté", a-t-elle confié à une amie. On veut bien la croire, mais on se refuse à croire qu'elle pourrait en rester là et se mettre à tricoter des écharpes pour ses petits-enfants. D'une part, elle a une vraie passion pour l'horlogerie : c'est un virus qui ne vous lâche plus. D'autre part, l'horlogerie a besoin de "femmes de tête" – et la sienne est aussi bien faite que bien pleine. C'est une femme libre qui débarque sur le marché, avec une connaissance très précieuse des marchés émergents, de la distribution, de la communication et du produit. "Je peux me regarder dans la glace avec le sentiment du devoir accompli" : combien de CEO blanchis sous le harnais pourraient en dire autant en se retournant sur leurs traces éphémères ? ••• Récemment, Arlette Emch avait reçu la distinction de chevalier des arts et des lettres France). Honorifique, certes, mais une décoration révélatrice d'une position éminente sur la scène de la "culture" au sens large, et en tout cas d'un rôle éminent dans les beaux-arts de la montre contemporaine (image ci-dessous, avec sa belle médaille). Bienvenue au pays de la liberté, chère Arlette, et à bientôt pour de nouvelles aventures !