ENCHÈRES AUTOMNE 2012 #18 : Point final en forme de point d'interrogation chez Sotheby's
Le 13 / 11 / 2012 à 04:42 Par Le sniper de Business Montres - 3292 mots
La conclusion de Sotheby's devrait confirmer la mutation d'un marché qui ne laisse pas leur chance aux lots faibles... Beaucoup moins d'enchérisseurs côté chinois et beaucoup moins de clients chez les marchands européens : même si le marché reste actif, il n'est plus du tout explosif !
◀▶ 27 MILLIONS ENCAISSÉS PAR CHRISTIE'SLe marteau magique d'Aurel Bacs a permis de vendre 96 % du catalogue... □□□ Aurel Bacs a remarqueblement tiré son épingle d'un jeu difficile …
La conclusion de Sotheby's devrait confirmer la mutation d'un marché qui ne laisse pas leur chance aux lots faibles... Beaucoup moins d'enchérisseurs côté chinois et beaucoup moins de clients chez les marchands européens : même si le marché reste actif, il n'est plus du tout explosif !
◀▶ 27 MILLIONS ENCAISSÉS PAR CHRISTIE'SLe marteau magique d'Aurel Bacs a permis de vendre 96 % du catalogue... □□□ Aurel Bacs a remarqueblement tiré son épingle d'un jeu difficile : quand son personnel asiatique passe de longues minutes sans appeler le moindre client, c'est que l'Asie a choisi d'adopter un profil, tant pour des raisons politiques qu'en fonction de choix économiques. La Chine n'est plus une terre où il fait bon faire savoir qu'on apprécie le luxe horloger ! Avanie supplémentaire pour cette session d'automne : aux problèmes chinois s'ajoutent les problèmes italiens, marché d'habitude moteur pour les enchères de montres de collection. Les nouvelles dispositions réglementaires sur les achats en liquide ont gelé les transactions, alors que les services fiscaux se sont de plus en plus inquisitoriaux : faute d'une clientèle avide et gourmande, plus question pour les marchands de la péninsule d'acheter à n'importe quel prix. Ce double coup de froid explique en partie la modération générale des adjudications qui, si elles n'ont pas été explosives, sont cependant restées actives pour tous les lots – avec des prix sages et sans l'exubérance optimiste de ces dernières années... □□□ On pourra gloser longtemps sur la consistance des enchères de cette vente Christie's : acquise par le fonds d'investissement Precious Time d'Alfredo Paramico, dont elle sera un des "actifs tangibles" les plus notoires, la "Champion Observatoire" de Patek Philippe (lot n° 88, adjugé 3,77 millions de CHF) aurait certainement fait un million de plus il y a un an. Christie's s'en tire honorablement avec ce résultat, qui reste cependant inférieur aux attentes, même s'il est en phase avec la moyenne de l'estimation initiale (2 à 4 millions). Même constant pour la "Miss Clapton" (Patek Philippe réf. 2499/100 P, lot n° 151 adjugé à 3,4 millions), qui aurait décroché un million supplémentaire voici 12 mois. Si on compte sur les doigts de la main les montres "millionnaires" de cette dispersion, on ne peut que constater, pour les enchères des Patek Philippe à six chiffres, qu'elles auraient gagné auraient gagné quelques unités de plus sans l'abstention des Chinois et la contrition des Italiens. Même constat pour les montres "chinoises" émaillées : les 540 000 CHF (sans les frais) du lot n° 194 crève le plafond de l'estimation, qui était absurde (70 000-100 000 CHF), mais on pourra remercier le musée Patek Philippe de son acquisition, qui a tenté jusqu'au bout un collectionneur chinois. Comment ne pas penser au score de cette montre, si elle était arrivée il y a même six mois sur le marché... □□□ Quelques bonnes surprises malgré tout dans cette dispersion, comme les 300 000 CHF posés sous le marteau d'Aurel Bacs pour repartir avec un canard laqué (mandarin, il est vrai), qui n'a même pas été adjugé à un amateur chinois : ce lot n° 193, estimé 50 000-80 000 CHF, rejoindra la collection d'un amateur turc, qui avait eu la chance de dénicher, voici quelques mois, mais beaucoup moins cher, l'autre montre de ce qui était un paire à décor émaillé en miroir. La réunion de cette paire, qui voit sa valeur complète augmentée d'un facteur trois ou quatre [il ne manque plus qu'un écrin d'origine !], justifiait cette enchère élevée. Même bonne surprise avec l'adjudication à 200 000 CHF d'une montre Omega émaillée (lot n° 618 : ci-dessus) dont tout le monde a dû rater le grand intérêt [musée Omega compris, puisque son acheteur a la politesse de faire savoir qu'il enchérit pour son musée quand il décroche un lot], sauf son acheteur ! □□□ Les Rolex Day-Date à cadran "Stella" ont tellement bien performé sous le marteau d'Aurel Bacs qu'il faut s'attendre à une nouvelle vague de vraies-fausses montres de cette référence, dans des couleurs plus séduisantes les unes que les autres : les 85 000 CHF sous le marteau du lot n° 265 (réf. 18206 en platine à cadran turquoise : ci-dessous) ne peuvent donner que des mauvaises idées aux malfaisants. Autre bonne surprise : les 60 000 CHF sous le marteau du lot n° 167 (une superbe Rolex Prince en acier) ou même le s7 000 CHF du lot n° 169, une pendulette solaire Patek Philippe qui tentait le musée de la marque, qui n'a cependant pas décroché l'enchère – mais sa tentative aura toujours contribué à établir une cote plus élevée pour ces pendulettes un peu négligées par les collectionneurs. □□□ Pas le moindre souci à se faire pour la réf. 1579 en platine du lot n° 188, qui était en couverture du catalogue et qui a été adjugée à un collectionneur européen à 1,3 million de CHF sans les frais – ce qui est finalement plutôt satisfaisant compte tenu de sa rareté (on n'en connaît que trois, et celle-là est dans un état parfait, quoique son cadran soit très "nettoyé") et de sa séduction esthétique (qualité qui manque évidemment à la Patek Philippe "Champion", un peu brute de décoffrage). Ni pour la la Patek Philippe "Heures Universelles" émaillée réf. 1415 HU (lot n° 218, estimé 700 000-1,2 million de CHF : ci-dessous et en haut de page), cédée à 820 000 CHF sans les frais – ce qui est une bonne affaire... □□□ Le doute reste toujours permis (Business Montres du 13 novembre) sur la Patek Philippe émaillée du lot n° 185, estimé 70 000-100 000 CHF et adjugé à 230 000 CHF sans les frais : l'enchère élevée n'engage que l'adjudicataire, mais les critiques les plus modérés admettent que le cadran ne va pas avec la boîtier (d'où l'absence de certificat probant), quand les plus critiques sans modération s'affirment en état de prouver que le cadran n'a pas celui qui allait avec les Patek Philippe de ce type. Petite déception, en revanche, pour les 160 000 CHF (sans les frais) recueillis pour le tourbillon de poche Patek Philippe (lot n° 279), adjugé à 190 000 CHF alors qu'il méritait beaucoup mieux... □□□ Terminons sur un des aspects positifs de cette relative accalmie du marché : faute de pouvoir intervenir sur les lots les plus importants, les marchands présents dans la salle ont tenté de se refaire sur les lots intermédiaires [entre 20 000 et 100 000 CHF], qui ont du coup amélioré le score auquel ils pouvaient prétendre, en dépassant régulièrement leur estimation. Un peu délaissées ces dernières années pour cause de focalisation sur les lots-phares, ces pièces "moyennes" retrouvent des couleurs commerciales – ce qui pourrait paradoxalement profiter au catalogue Sotheby's de demain (voir ci-dessous)... ◀▶ SOTHEBY'S FERME LE BALUn catalogue humble, digne et d'une grande rigueur "morale"...□□□ Sans vrais lots spectaculaires, à trois exceptions près, ce catalogue Sotheby's entend surtout témoigner d'un recadrage formel qu'on remarquera dans l'esthétique de ses pages autant que dans la sélection des lots, tellement rigoureuses qu'on a oublié la poésie à force de traquer la fantaisie. Les montres sont bien propres sur elles et impeccablement peignées, un peu comme sur ces photos de communion solennelle où on donnerait le bon dieu sans confession à tous les garnements. Les Rolex défilent en ordre serré (16 % du total des 313 lots, soit 51 montres), quoiqu'elles n'aient pas toutes – et de loin – une réputation sans tâche auprès des collectionneurs et des marchands, qui les connaissent d'autant mieux qu'ils en sont les pourvoyeurs. Les Patek Philippe sont alignées comme à la parade (17 % du total), sans rien qui dépasse. On en dira autant des Audemars Piguet et des Vacheron Constantin, qui cumulent 12 % du même total. Amateurs de montres émotionnelles, passez votre chemin ! Néanmoins, même s'il y a un problème évident de sélection de la marchandise [c'est comme les légumes modernes : à force de vouloir les formater, on leur a fait perdre tout goût], quelques lots sortent de l'ordinaire dans un catalogue conçu comme très commercial [tout doit disparaître] et très consensuel [surtout, pas de polémique !]... □□□ Dès les premières pages, on débite des montres modernes ultra-classiques, et il faut attendre le lot n° 21 pour trouver une Patek Philippe en platine un tant soit peu vintage (1999), qui nous introduit dans une séquence de montres plus anciennes, notamment des Rolex, avec l'inévitable Day-Date "Stella" de service, quelques GMT intéressantes et une Milgauss honorable. La séquence change ensuite de marque, avec des apparitions originales comme la Time-Machine de Marc Alfieri et son clone signé Chaumet ou une Urwerk UR-103. Pas une montre à six chiffres avant le lot n° 64, une répétition minutes quantième perpétuel d'IWC pas vraiment affolante [ceux qui manqueraient cette montre ont sa grande soeur, un peu plus compliquée au lot 231, mais c'est un peu plus cher]... □□□ Raison de plus pour apprécier, après une Portugaise de 1942 (lot n° 71, avec un cadran trop piqué pour exciter les foules), le chronographe militaire Universal dont Business Montres a déjà signalé le grand intérêt (17 octobre), avec une explication supplémentaire le 7 novembre : là, avec un peu de chance, on pourrait toucher les six chiffres tellement la pièce est belle ! Suivent quelques Rolex vintage de belle extraction [à quelques exceptions près, mais les marchands ont déjà fait le tri], avant d'aborder une séquence montres de poche dont on sent bien à quel point Sotheby's se méfie depuis ses déconvenues lors de la dernière vente de printemps : 10 lots, suivis d'une dizaine de pièces émaillées, dont une remarquable... fraise (lot n° 103, en haut de page et ci-dessous). On évitera les jeux de mots du genre "Sotheby's ramène sa fraise" : ce n'est pas le genre de la maison, surtout avec un tel catalogue ! En attendant, dix par dix, c'est plus prudent pour les pièces anciennes que les tunnels interminables de la dernière vente... □□□ Tiens, des pendulettes, pour changer ! On repasse aux montres récentes dès le lot 108, qui nous amène à la Patek Philippe réf. 5970 potentiellement adjugeable à six chiffres et à une Cartier Tank carrée de 1960, d'autant plus séduisante qu'elle appartenait à Editha Dussler, une des plus belles femmes des années 1960, mannequin et muse de quelques couturiers. Tout un monde disparu ! Ensuite, on va recommencer à déstocker du neuf ou du pas très vieux, ou du récent, en multi-marques, avant une nouvelle séquence vintage au lot n° 143 – quelques Rolex intéressantes dans les parages des lots n° 147-151. Jolie Omega chronographe au lot n° 152 : dommage que la notice soit celle d'une Patek Philippe (estimation : 15 000-25 000 CHF, mais est-ce bien de cette Omega qu'il s'agit ?)... □□□ Quelques Vacheron Constantin pour introduire – enfin ! – quelques Patek Philippe un tant soit peu collectionnables : la réf. 2438 Tiffany (estimation : 200 000-300 000 CHF, mais on restera dans le bas de la fourchette), une réf. 3450 en or jaune, plutôt très propre (estimation ; 120 000-180 000 CHF, objectif qui devrait être atteint) et le clou de la fête, une répétition minutes réf. 2524, pièce unique (lot n° 158), dont Sotheby's attend 250 000-350 000 CHF – ce qui semble également réaliste, voire même appelé à être dépassé. Il sera alors temps d'aller déjeuner... □□□ À la reprise, après un échauffement sur une douzaine de pages et une trentaine de lots, on attaque frontalement le marché avec une Rolex réf. 8171 ni vraiment fraîche, ni intelligemment tarifée (lot n° 190, estimé 35 000-55 000 CHF), qui précède une belle série de Daytona et de Submariner qui ne sont pas toutes d'anthologie, loin de là – on y reviendra avec les lots n° 234 à 241 (remarquable fraîcheur du chronographe pré-Daytona du lot n° 238). Retour aux montres de poche, anciennes ou plus récentes (grande complication Vacheron Constantin au lot n° 212, daté de 1916), et retour à la case vintage jusqu'à un amusant lot n° 225, un chrono-retardateur de bombardier militaire : cette pièce Universal de l'aviation militaire italienne est estimée 6 000-8 000 CHF, ce qui est trop peu pour son intérêt historico-militaire (ci-dessous)... □□□ L'autre lot-phare de la dispersion, c'est cette répétition minutes Vacheron Constantin, lot n° 248 dont Business Montres (6 novembre) n'a pas caché qu'elle était entourée d'un certain "mystère" pour ce qui est de sa provenance et de son histoire compliquée dans les embrouilles de la vente aux enchères organisée pour les 250 ans de la marque (130 000-150 000 CHF attendus, contre 341 000 CHF lors de cette vente). Ne pas manquer, un peu plus loin, l'autre lot-phare Vacheron Constantin : une super-complication Saint-Gervais de 2007 (lot n° 290, estimé 300 000-500 000 CHF), pour laquelle il sera difficile de faire bonne figure sans le support de la manufacture... Pas grave, puisqu'on arrive à quelques Patek Philippe qui pourront tenter les amateurs de chronographes et de complications équipés pour les enchères à six chiffres (voir notamment le lot n° 257, une réf. 3448, qui a conservé ses angles aigus et ses lignes tendues). La séquence émaillée qui suit (une quinzaine de pièces) n'est pas indigne d'intérêt, mais elle manquera de Chinois pour s'animer... □□□ À 15 000 CHF, la Royal Oak Offshore en carbone sera une bonne affaire pour les dames, surtout avec sa lunette sertie, du moins si les marchands italiens ont la clientèle touristique et exotique pour ce genre de montres (lot n° 278), mais on ne sait jamais (ci-dessous). Le catalogue se termine avec une série de Patek Philippe plus spéculatives que collectionnables, récentes et abondantes sur le marché, quoique peu excitantes pour les marchands et déjà faciles à trouver (sans les frais !) sur le marché parallèle asiatique. Il sera donc difficile de leur faire battre des records, les six chiffres n'étant envisageables que pour des lots comme le n° 311 (une réf. 5004 en platine, estimée 150 000-200 000 CHF), un autre réf. 5970 (lot n° 302), un chronographe calendrier perpétuel réf. 5270 de 2012 (lot n° 313 : tout fraîche en magasin, mais déjà aux enchères !) ou une Celestial réf. 5102 (lot n° 312, estimé 160 000-220 000 CHF). □□□ La conclusion sera un peu cruelle : si tout se passe bien, avec un catalogue aussi sage dans sa farouche détermination à ne pas prendre le moindre risque, Sotheby's devrait empocher autour de 7 millions à l'issue de cette vente, soit un peu plus du quart de ce qu'a réalisé Christie's et un peu moins que ce qu'a vendu Antiquorum. Il y a donc du chemin à faire pour recoller au leader – d'autant que la réussite récente de la vente de Londres (la dispersion de l'atelier George Daniels) n'est pas forcément à mettre au crédit du département Montres de l'auctioneer. Si ça se passe moins bien et si le taux d'invendus reste élevé, on sera dans les 6 millions ou au-dessous : Sotheby's ne pourra que se poser la question du maintien de l'équipe en place, à tous les niveaux. Espérons seulement que Sotheby's pourra prendre sa revanche à New York, où la vente du 4 décembre – c'est presque après-demain – permettra de calmer quelques blessures d'amour-propre avec une extraordinaire pendule mystérieuse de Breguet (celle qui appartenait au duc d'Orléans) et quelques Patek Philippe d'anthologie... D'AUTRES SÉQUENCESENCHÈRES AUTOMNE 2012(sans oublier les actualités quotidiennes dans nos autres pages)...