ENCHÈRES AUTOMNE 2012 #2 : Deux bouquets de pivoines pour les mandarins nostalgiques
Les lecteurs de la chronique Atlantic-tac voudraient bien en savoir un peu plus sur la paire de montres qui illustre l'article. Commençons donc par ces deux de montres de poche l'examen de la collection dispersée par Christie's en novembre prochain. Des montres "sorties de nulle part", jamais vues en Europe... ••• La paire de montres qui illustrait la chronique Atlantic-tac de cette semaine avait de quoi intriguer : même sans être un expert en montres …
Les lecteurs de la chronique Atlantic-tac voudraient bien en savoir un peu plus sur la paire de montres qui illustre l'article. Commençons donc par ces deux de montres de poche l'examen de la collection dispersée par Christie's en novembre prochain. Des montres "sorties de nulle part", jamais vues en Europe...
••• La paire de montres qui illustrait la chronique Atlantic-tac de cette semaine avait de quoi intriguer : même sans être un expert en montres anciennes, on sait que les vraies paires de "montres chinoises" sont très rares. En parfait état ("qualité musée"), elles sont rarissimes. Dans leur écrin d'époque, elles gagnent encore en valeur et, avec des clés de remontage assorties, les collectionneurs sont au nirvana. Problème : ce genre de montres est introuvable sur le marché... ••• Sauf que, justement, Sabine Kegel (Christie's) en a déniché un lot exceptionnel pour la prochaine vente d'Aurel Bacs à Genève. De la marchandise d'autant plus intéressante qu'on ne la connaissait pas, répertoriée nulle part et que personne n'avait encore jamais vue, puisqu'il s'agit d'une collection privée constituée dans les années 1950 à 1970 par des amateurs d'art qui ont beaucoup voyagé en Asie à une époque où les pièces "historiques" circulaient sous le manteau dans la Chine communiste. ••• Ces "montres chinoises " avaient été commandés en Europe par les élites mandarinales et impériales, parfois même par l'empereur lui-même. Au fil des décennies, entre les guerres de l'opium, les interventions des puissances européennes (le fameux sac du Palais d'Été), l'abolition de l'Empire (1912) et la prise du pouvoir par les communistes (1949), très peu des chefs-d'oeuvre horlogers qui s'entassaient en Chine ont survécu. Fruits de pillages indicibles, certaines sont passées dans les collections privées européennes ou américaines. D'autres sont restées en Chine dans les collections nationales : on peut en voir à la Cité interdite. Le reste s'est... égaré entre des mains publiques corrompues et des vitrines privées pas trop regardantes. La possession particulière de ces pièces "historiques" était interdite aux Chinois, mais il n'y a pas d'ordre totalitaire sans tricherie, surtout s'il y a du profit à faire ou une survie à assurer. À l'abri des regards pendant des décennies, ces collections ressortent aujourd'hui des coffres-forts ) la faveur des successions... 
••• C'est le cas de cette paire de montres, d'une qualité à peu près inégalée, tant dans les musées européens que chinois t d'une rareté absolue compte tenu de l'ensemble qui est proposé. Deux montres en or, au décor émaillé inversé "en miroir", avec les mêmes numéros, les clés assorties et l'écrin d'origine. Toujours prudent dans ses estimations, Aurel Bacs estime à 80 000-120 000 CHF ce lot n° 195, mais ce prix fait sourire les spécialistes, qui prévoient des enchères plus que record pour ces deux pièces exceptionnellement "dans leur jus" –mais aussi dans un état de conservation qu'on dirait"fleur de coin". Pour peu que les amateurs chinois s'en mêlent par réflexe patriotique [pour rapatrier en Chine ce chef-d'oeuvre de l'ancien patrimoine national] et que les musées européens insistent, il ne serait pas étonnant qu'on termine vers le million, sinon au-delà, en dollars ou en francs suisses... ••• En quoi ces montres sont-elles exceptionnelles ? D'abord, leur allure : même sans rien y connaître, elles sont belles et leur décoration attire le regard. Précisément, cette décoration florale émaillée (technique du champlevé) est d'une exécution remarquable, l'habillage de la motre elle-même (boîtier, pendant, etc.) ne laissant pas un espace sans intervention de l'artiste, qui n'a pas signé. Les bouquets de fleurs et les papillons se retrouvent sur les clés de remontage, tout aussi exceptionnellement conservées avec les montres et l'écrin. La signature de l'horloger (Vaucher Fleurier) apparaît sur le mouvement des deux montres, eux aussi exceptionnement soignés et porteur du même numéro, 160 et 160. (pointé), ce qui est très rare [même si c'était la caractéristique des montres réalisées dans le Val-de-Travers]. On peut admirer le polissage miroir et l'acier bleui de ce mouvement, qu'on jurerait sorti de l'établi de Charles Henri Vaucher, qui commerçait à l'époque avec les frères Bovet et leur établissement de Canton. 
••• Quelle époque ? il est difficile de l'établir avec précision, le décor floral étant un inlassable classique des "montres chinoises" depuis le XVIIIe siècle. Le fait qu'il soit ici en double avec effet miroir a deux explications : l'une pratique [possibilité de "cannibaliser" un mouvement pour assurer la marche de l'autre le temps qu'elle revienne en Europe pour être réparée] ; l'autre symbolique [la paire est bénéfique dans la culture chinoise, qui valorise le 2 comme indice d'harmonie entre les choses, puisque "les bonnes vont par paire"]. Il est évident que la proposition d'une paire complète ne pourra que doper l'enthousiasme des collectionneurs asiatiques. Disons, pour répondre à la question que cette montre a été datée des années 1820-1830, mais pas par n'importe qui... ••• En effet, quel horloger européen a eu le privilège d'entretenir ces montres ? Un certain Louis Cottier, de Carouge (près de Genève), celui-là même qui a inventé les montres "Heures universelles" dont Patek Philippe a fait ensuite sa gloire. On possède sa facture pour cette paire de montres : 610 francs suisses en 1962 pour 61 heures de travail d'entretien, au cours desquelles il avait ausculté et daté les montres... ••• Bref, on tient là une convergence de facteurs qui pousseront vers le haut le coup de marteau final, avec un concentré de légendes (la Chine, Vaucher, le mystère des montres jamais vues, l'état des montres, leur "environnement", Louis Cottier, etc.) propres à enflammer les enchères. C'est ce qui permet de penser qu'Aurel Bacs n'a choisi de commencer bas que pour voler plus à l'aise vers les sommets : quand les collectionneurs chinois vont découvrir ça, ce sera de la folie. Heureusement, ces pièces ne sont pas strictement tracées sur le plan historique – même si leur aura de qualité impériale (la cour ou l'empereur) ne fait guère de doutes : la République populaire de Chine aurait été capable de les réclamer à titre de dédommagement pour les pillages européens en Chine ! 
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