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MB&F (accès libre)
Le chien aboie, la corona-caravane passe…

Pas de sevrage médiatique pour les rebelles de l’horlogerie ! Comme toujours, le laboratoire créatif MB&F (Maximilian Büsser et ses copains) crée la tendance et donne le ton : même confinée, l’horlogerie a de l’imagination et elle prend tous les risques – même celui d’inventer une horlogerie… « canine » !


Ce n’est pas avec de simples images qu’on comprend bien la ressemblance de la nouvelle MB&F HM 10 (Horological machine n°10) avec un bulldog, un vrai, bien baveux, au museau bien renfrogné et aux yeux bien globuleux. L’analogie avec le corps trapu de l’animal, très puissant du torse mais doté de courtes pattes, ne saute aux yeux que quand la montre est au poignet. C’est une parenté dans la stylistique, presque dans une forme de stylisation cubiste, dans une approche structuraliste de l’« objet » bulldog : le corps trapu évoqué par le dôme de saphir, les deux yeux proéminents, les quatre pattes qui servent de cornes mobiles, les deux couronnes en collier à clous et même la mâchoire d’acier qui s’ouvre et qui se referme pour afficher dans un bâillement de dents aiguisées la réserve de marche du mouvement. Ceci posé, il est également possible de voir dans cette montre un batracien quelconque, grenouille, têtard ou crapaud, voire une créature née d’une substance tératogène interdite, mais, par commodité, restons sur la génétique canine…

C’est un bulldog-bracelet, le premier sans doute de l’histoire horlogère, massif et dense comme un vrai bulldog (45 mm de « coffre », 54 mm de la truffe à la queue), mais c’est aussi une montre au confort très étonnant dès qu’on l’accroche au poignet grâce aux « pattes » qui font office de cornes. En plus d’être très rigolo, c’est un objet du temps très privé, presque égoïste, qui ne révèle le temps qui passe et la réserve de marche qu’à celui qui porte la montre : on remontera cette HM10 comme on caresse son chien, manuellement et empathiquement [avantage de la montre : elle ne grogne pas plus qu’elle ne bave !]. C’est enfin – mais c’est le minimum minimorum du contrat de confiance proposé par MB&F – une mécanique qui a du… chien [pardon, mais on était obligé de le faire !] et qui propose le classique grand balancier « planant » sous dôme central cher à MB&F, avec des astuces de folie pour afficher les heures, les minutes et la réserve de marche sur des plans intersectionnels, pour loger autant d’éléments tridimensionnels dans un petit volume, pour oser une verre saphir oblong et asymétrique aussi gauche que le ventre du bulldog (ci-dessus) et pour imaginer des cônes bombés dont les rotations semblent ne pas relever d’une géométrie euclidienne…

Histoire de ne pas prendre trop au sérieux cette débauche de haute mécanique, nécessaire mais pas suffisante à l’expressivité de la montre, une inscription un peu inhabituelle dans l’univers du luxe est gravée sur le corps du boîtier : Forget the dog, beware of the owner (« Ne vous occupez pas du chien, méfiez-vous du propriétaire »). Ce qui fait de cette HM10 la talking piece par excellence, la montre qui faut causer dans les dîners en ville quand on la fait circuler autour de la table, celle qui permet d’engager la conversation avec n’importe quel(le) inconnu(e) dans n’importe quel bar de cette planète. Si on vous dit que le chien est le meilleur ami de l’homme, ne le croyez pas : c’est le meilleur ami de ceux qui veulent se faire des ami(e)s. En revanche, ce n’est pas le meilleur ami de votre banquier, qui trouvera toujours un peu étrange qu’on dépense une somme à six chiffres (98 000 CHF hors taxes pour le Bulldog en titane, 112 000 CHF hors taxes en or rose) pour une montre aussi déroutante…

Dernière question : est-il décent de lancer une montre de ce prix en pleine chronapocalypse, une montre presque parodique dans sa zoomorphie, alors que des milliers d’humains se meurent dans une atroce asphyxie et que des milliards d’autres sont confinés par le coronavirus dans une inquiétante illiberté ? Combien peut-on acheter de masques de protection pour le prix de cette montre ? À chacun de se demander si ce lancement était opportun, surtout pour une montre qui gagne à être portée pour être bien comprise et libérer toute la puissance de son potentiel créativement explosif – sachant qu’on ne pourra la découvrir dans la vraie vie qu’après des mois de confinement, après la réouverture des boutiques horlogères. La réponse est on ne peut plus personnelle, en fonction des valeurs de vie et des passions de chacun…


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