BUSINESS MONTRES + FORUMAMONTRES (accès libre)
« Le seul oublié de Baselworld, c’est le client, qui fait vivre toute cette nuée parasitaire » (tribune libre)
Réflexion perfide après laquelle plus un seul manager de l'horlogerie ne peut argumenter : « Plus il y a de blogueurs et d'influenceurs numériques impliqués dans la communication des marques et moins celles-ci vendent de montres »... Cherchez l'erreur ! Zen, l'administrateur de Forumamontres (premier portail francophone pour l'horlogerie), pousse un coup de gueule à l'issue d'un salon comme Baselworld, où on a battu cette année le record d'invitations de blogueurs et de médias en ligne : « La communication misérable des marques pour acheter des blogueurs ». Les commentaires de « Business Montres » sont à la fin de cette tribune libre (remerciements à Zen pour cet emprunt).
Baselworld 2017... Jamais à Bale on n'aura vu autant de blogueurs qui ne sont plus seulement dans les allées mais sont accrédités par les marques pour participer aux conférences de presse et accéder aux CEO. Signe des temps, ils sont reçus comme des princes et pour peu qu'il soient américains, sont regardés comme des cadors. Le moindre blog horloger a droit aux honneurs et au tapis rouge.
Totalement égarées par internet, de nombreuses marques ne savent plus où donner du blog. Sans aucune sélection, ni tentative de compréhension du qui fait quoi on voit donc des cohortes de blogueurs 24x36 autour du cou, qui se prennent pour des Rouletabille horlogers en venant chercher leur communiqué de presse auquel la marque les abonne sans vergogne, leur clé USB, leur goodies et leur petites faveurs. C'est en soi un spectacle, car cela traduit le profond désarroi des marques dépassées par le web, au point de ne plus distinguer le journaliste sérieux du blogueur à 100 clics qui pratique la masturbation horlogère. Il faut dire que ces blogs qui ne critiquent rien, pratiquent le copié collé à outrance et diffusent les communiqués de presse sans limite sont si conformes à la communication des marques qu'ils finissent par ressembler à leurs sites. Mièvreries, propos lénifiants, superlatifs favorables, pas un grain de sable ne perturbe la bonne relation entretenue avec les attachées de presse et les marketeux des grandes et petites maisons horlogères. Interviews à gogo, flatteries multiples et émerveillements candides sont le lot commun de ces horloboys polis et toujours respectueux. Ce n'est pas qu'ils manquent de sens critiquent, mais eux au moins ne l'expriment jamais. Cela, les marques l'apprécient et sont prêtes à le payer de plus en plus cher.
Le coût est ici une série limitée de montres pour les lecteurs/abonnés d'un site, là carrément le cadeau d'une montre lors d'une soirée VIP dans la boutique dédiée d'une marque pendant Baselworld. Autant dire que la gratuité n'existant pas, ce sont bien les clients payants de la marques qui paient indirectement les cadeaux consentis généreusement aux blogueurs. Oris n'est pas la seule marque à pratiquer de la sorte. Un directeur Marketing sous couvert de l'anonymat me confiait que "ces petites conneries nous coutent de plus en plus cher, on contribue en leur offrant ce qu'ils demandent à construire la crédibilité de leurs sites et ensuite ils nous font payer la moindre prestation". Le retour sur investissement est assez rapide, car le blogueur va rapidement tenir des propos très positifs sur les montres de la marque qui l'a reconnu et mieux, il ira y compris se comporter en ambassadeur sur les forums beaucoup plus difficiles à canaliser. La marque achète ainsi du message positif après avoir constaté que lancer ses "community managers" sur les forums était peine perdue.
Les blogueurs sont devenus de nouvelles Diva très soignées par les industriels de l'horlogerie et dont l'activité est budgétées dans les dépenses de communication du marketing. La journée de presse voit ainsi les journalistes d'âge mur noyés dans foule d'élèves pré-pubères d'une classe de terminale dont l'exercice serait de se faire voir et reconnaitre.
Faut-il que le marketing se soit à ce point appauvri pour ne plus savoir distinguer celui qui est un interlocuteur pérenne de celui qui sera vaporisé dans le nuage du net. Ces blogueurs qui exhibent leurs cadeaux, leurs avantages en nature, les petits soins qui leur sont consentis viennent à Baselworld grignoter du temps sur celui consacré aux acheteurs et se comportent comme des fourmis sur un morceau de sucre dont elles voudraient épuiser chaque grain. Je ne parle pas ici des blogueurs "installés" qui ont apporté une singularité, un autre regard, une plus value aux passionnés mais bel et bien des blogueurs "robinets à communiqués de presse", ceux-là même qui critiquent les magazines horlogers pour la pauvreté de leurs contenus. L'ampleur du phénomène est si forte que l'écoeurement finit par atteindre l'observateur qu'il soit patron de marque refusant de céder à cette pression incontrôlable ou internaute établi tentant de faire autre chose de l'outil extraordinaire que le net lui offre.
Le SIHH a tenté en 2017 de réduire la voilure des internautes invités, mais a ouvert ses portes au public payant en compensation, faisant de cette manifestation une foire qui se rapproche de Baselworld. Le spectacle de ces 2 manifestations prend toute sa dimension quand avec un peu de recul, on observe non plus les montres mais ceux qui les regardent. La journée "Presse" a perdu toute forme d'intérêt, il ne s'y dit rien d'autre que des présentations convenues de collections dans une cohue où les questions pertinentes ou impertinentes n'ont aucune place. Il est devenu impossible d'avoir un rendez-vous digne de ce nom. Les blogueurs succèdent aux blogueurs et le temps d'un échange fructueux est remplacé par une poignée de main devant un verre d'eau pour distiller le même discours à chaque blogueur. L'ennui l'emporte vite sur la passion. Des discours convenus, il ne reste aucune trace, les compte-rendus seront universellement identiques et les photos faites sur place vont tellement se ressembler que la banalisation de l'exclusivité clamée haut et fort par chaque blogueur, finira avec un si faible écho qu'elle sera inaudible.
A ce rythme là, l'horlogerie finira par faire des salons réservés aux blogueurs qui pourront entre eux comparer le fruit de leurs quêtes. Finalement le seul oublié de Baselworld, c'est le client, celui paie sa montre plein tarif et fait vivre toute cette nuée parasitaire et accessoirement assure la survie de la marque, les salaires de son personnel et les dividendes des actionnaires. Un actionnaire en visite à Baselworld serait effaré des dépenses consenties pour tous ces blogueurs. Cela représente une dépense bien supérieures à ce qu'il perçoit de son investissement et quelle dépense !
Messieurs les actionnaires, si vous voulez profiter d'une montre en cadeau de la part de la marque dont vous portez le capital, c'est assez simple, ouvrez donc un blog !
Texte original : « La communication misérable des marques pour acheter des blogueurs », Forumamontres, 31 mars 2017.
LES COMMENTAIRES DE « BUSINESS MONTRES »
••• Je viens de le vérifier : j’ai posté mes premières pages sur Forumamontres il y a exactement dix ans. À l’époque, pas un seul patron de marque ne se risquait sur le Net et je me souviens avoir pré-conditionné Jean-Claude Biver pour qu’il dialogue avec les forumeurs, dont il est à présent une idole. Donc, la publication de cette tribune libre n’est pas un réflexe opportuniste de la part de Business Montres. Au passage, signalons aux jeunes générations que Business Montres est une médiafacture depuis 2004 et probablement un des plus anciens médias horlogers alternatifs, en ligne comme hors ligne…
Comment ne pas être d’accord avec Zen quand il constate les dégâts occasionnés à l’image des marques par les blogueurs ? Je n’y rajouterai que les gaspillages de ressources précieuses auprès de blogueurs mercenaires, qui font payer de 2 000 à 10 000 euros leurs interventions – visuellement assez pitoyables : vous savez bien, la pute russe et la Lamborghini jaune ! – sur Instagram et ailleurs. Business Montres a déjà tant stigmatisé ces faisans qu’il est inutile d’y revenir et de rappeler que leurs millions de « followers » s’achètent par paquets de 10 000 pour quelques poignées de dollars, les « Like » se débitant au kilo par robots interposés [20 % des comptes Twitter ne sont pas le fait de personnes physiques]. Ce qui est désolant, c’est que les budgets nécessaires à ces fantaisies inutiles et à l’entretien du train de vie de ces blogueurs pèsent sur les finances des marques, qui vont demain nous annoncer des centaines de suppressions d’emplois, en Suisse et ailleurs. Là est le vrai scandale…
Rappelons aussi [Zen ne fait qu’effleurer le sujet] que les CEO et surtout leurs SEO sont assez bêtes pour aider bon nombre de blogs et de sites à grandir, à se financer, puis à prospérer jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour tenir la dragée haute aux marques et s’imposer à elles comme des intermédiaires obligés, mais très coûteux à rémunérer pour exister. Personne n’a encore pu nous expliquer pourquoi l’industrie horlogère vendait de moins en moins de montres, alors qu’elle faisait de plus en plus confiance à ces blogueurs aux évanescentes, mirifiques et improbables audiences : il doit bien y avoir un rapport, non ? On peut même se demander s’il n’existe pas un théorème selon lequel plus une marque est paumée [disons pour être poli : « lost in translation »] et plus elle fait appel à des médias paumés gérés par des empaumeurs rapaces [voir le Trésor de la langue française pour la compréhension du verbe « empaumer »].
Nous n’allons pas non plus nous répéter sur notre incitation à fuir les réseaux sociaux pour les marques de luxe qui n’ont rien à y faire, qui y érodent leur singularité et qui s’obstinent à s’y incruster par pur conformisme intellectuel – même s’il est évident que la digitosphère est, pour beaucoup de marques « grand public », un horizon naturel et un destin inévitable. Notre opinion sur ces réseaux sociaux est donc évolutive, nuancée et sélective, mais elle est d’autant plus rigoureuse pour les marques qui vont y perdre leur honneur que leurs opérations digitales sont généralement conduites par des juniors dépourvus de toute culture horlogère et recrutés pour une supposée sensibilité « générationnelle » [juniors qui n’ont que des argument quantitatifs – le nombre de suiveurs et d’appréciateurs – à présenter à leur direction, qui les gobent sans se soucier du moindre critère qualitatif et du moindre retour commercial sur investissement]…
Bref, merci à Zen d’avoir mis les pieds dans le plat à propos de ceux qui aiment clairement moins les montres que l’argent des montres : la crise, qui n’a fait que produire ses premiers effets ravageurs à Baselworld et qui ne va plus cesser d’assécher les trésoreries, dispersera ces prédateurs numériques aussi vite qu’ils s’étaient abattus sur les marques. Avec ce constat évident : jamais on n’a autant parlé de montres et de Baselworld sur les réseaux sociaux qu’en 2017, mais jamais on n’a vendu aussi peu de montres [à quelques exceptions près] dans les salons horlogers comme dans les boutiques. On va laisser les dirigeants de cette industrie – ceux qui ont encore quelques neurones activés entre les oreilles – réfléchir là-dessus, mais il serait temps que tout le monde se réveille pour procéder d'urgence aux grands travaux nécessaires à la reformulation de la communication horlogère (ci-dessous)…