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2023 EN PERSPECTIVE
Les dix croyances absurdes qui risquent de plomber gravement 2023 (deuxième partie)

On y croit dur comme fer, à ces coquecigrues qui se répètent en boucle autour d’une bière dans les bistrots horlogers et autour d’une annonce dans les médias perroquets. Ce sont pourtant des croyances toxiques, qui relèvent souvent d’une myopie confondante, mais aussi parfois du désarmement moral proche de la désinformation…


❑❑❑  À RELIRE : « Les dix croyances absurdes qui risquent de plomber gravement 2023 » (première partie : Business Montres du 5 janvier)

 

Pour le Trésor de la langue française, la coquecigrue relève du fantasme et de l’illusion, du conte en l’air, de la baliverne, de la sottise et de la sornette : on nous y confirme que « regarder voler les coquecigrues », c’est se faire des illusions, « s’occuper de choses chimériques ». C’est exactement ce que nous entendons expliquer à propos d’une dizaine de croyances absurdes mais très optimistes qui risquent de plomber l’année 2023 si on laisse tous les naïfs y croire…

❑❑❑ LES CYGNES NOIRS NE SURVOLENT PAS LES VALLÉES HORLOGÈRES : c’est une des croyances les plus perverses de la doxaqui imprègne les classes dirigeantes horlogères – l’horlogerie serait à l’épreuve des crises, crisis proof dans leur globish de colonisé mental. Ce qui est doublement absurde. Non seulement l’économie des montres est totalement dépendante de l’économie générale du luxe, dont elle subit les variations, tantôt en anticipation [on a remarqué que les montres se relançaient souvent plus vite que les autres industries du luxe], tantôt en temporisation [selon la nature des crises économiques et en fonction de ses propres mutations structurelles, le cycle des montres redémarre en retard par rapport aux cycles de la mode et du luxe]. Se reposer naïvement sur une « immunité naturelle » supposée, c’est se désarmer mentalement et s’exposer à subir le ressac cyclique ou contre-cyclique des crises à répétition du turbo-capitalisme financier. Les fameux « cygnes noirs » – facteurs inattendus qui génèrent des crises aux effets imprévisibles – nichent dans les vallées horlogères aussi bien que dans les bassins industriels traditionnels : on peut le vérifier tout au long de l’histoire horlogère et, depuis un demi-siècle, dans toutes les crises qui ont frappé plus ou moins gravement l’industrie horlogère. On peut même admettre que cette industrie, qui a fini par se focaliser sur les seuls enrichis des bulles successives, s’est considérablement fragilisée en mettant tous ses œufs horlogers dans le même panier, celui des prédateurs et des profiteurs de toutes les spéculations nées de l’hyper-financiarisation des économies développées.

❑❑❑ IL FAUT CROIRE LES COQUECIGRUES STATISTIQUES : on se demande comment les fariboles statistiques exprimées par les exportations de montres peuvent encore faire autorité et passer pour un baromètre fiable de l’activité horlogère. Ce n’est pas que ces statistiques soient mensongères, mais, en bonnes coquecigrues, elles relèvent de l’illusion et du biais cognitif : il s’agit, rappelons-le, non de ventes effectives sur le terrain, mais de mouvements de stockage en provenance des ateliers suisses, de déstockage et de restockage sur les marchés extérieurs. D’une part, il faudrait accepter de corriger ces « sorties » de montres par les retours en Suisse de ces mêmes montres – allers-retours constants que la FH suisse refuse de comptabiliser dans les statistiques, alors qu’ils peuvent représenter 10 % du total des montres officiellement exportées [même si ces exportations administratives et douanières sont restockées dans les ports-francs suisses]. D’autre part, il faudrait se souvenir que ces statistiques n’ont jamais en rien anticipé les effondrements récents du commerce des montres : ne prenons que l’exemple de la crise des subprimes en 2008, avec une chute instantanée des ventes sur les marchés, mais des statistiques qui ont continué à enfler pendant plusieurs mois. Donc, ne prenons pas la croissance affichée par les statistiques poétiquement commentées par la FH pour un indicateur de tendance, mais acceptons de regarder en face le réel des marchés et le tassement des ventes dans les boutiques, un peu partout dans le monde – un constat unanimement vérifié par les marques. Et cessons de croire aux déclarations naïvement, indécrottablement et perpétuellement optimistes de ce grand ravi de la crèche qu’est le président de la FH, qui semble avant tout soucieux de relayer le message du « Tout va très bien, Madame la marquise ! » exigé par les groupes cotés en Bourse – n’oublions jamais que Nick Hayek a nié jusqu’au bout la crise horlogère de 2008-2009, qui allait pourtant amputer de 25 % l’activité de son groupe…

❑❑❑ LE CULTE DES ICÔNES EST UN GAGE D’ÉTERNITÉ : on peut, au contraire, se demander si l’histoire horlogère n’est pas un cimetière d’icônes déchues. Quand on trace la courbe de succès économique des marques qui signent les icônes actuelles, on ne peut que constater à quel point ces courbes s’avèrent sinusoïdales, à la hausse comme à la baisse. Beaucoup d’icônes actuelles n’étaient pas vraiment iconiques voici dix ou vingt ans : songez à quels prix relativement dépréciés se vendaient la Royal Oak au début de ce siècle, la Submariner il y a dix ans ou le Chronomètre bleu de François-Paul Journe il y a seulement cinq ans ! Les cotes actuelles et spéculatives de la vingtaine d’icônes qui « tirent » le marché sont trop manipulées pour refléter de façon réaliste les réalités de la demande. Le surgonflement momentané de ces cotes est susceptible, à tout moment, d’une sérieuse correction ou d’une lente et tragique déflation : tous les analystes savent que la réalité de ces corrections est généralement aussi brutale, sinon plus, que le gonflement de la bulle qui portait ces icônes vers le sommet [le premier semestre 2022 nous a donné un bel exemple de chute brutale sur des marchés que tout le monde estimait consolidé : sur le marché secondaire, les prix les plus irrationnels ont été divisés par deux en quelques semaines – sans que personne ne s’en émeuve vraiment]. On en déduira qu’aucune icône du luxe contemporain n’est éternelle : en dépit des prières psalmodiées par les fidèles, tout dépend de l’huile dont on alimente les lumignons qui l’éclairent…

❑❑❑ LES AMATEURS CHINOIS SONT NOS MEILLEURS AMIS : ça, c’est le running gag horloger de ces dernières années, le cap à l’Est, ex oriente lux, la Chine comme suprême espoir et suprême pensée des marchands du luxe, même au prix d’une alimentation hypocrite du tout-au-daigou (marché parallèle local) ! Quelques semestres de pandémie, de confinements et de mises en panne de la globalisation ont suffi à inverser non seulement le flux des global shoppers chinois [qui n’achètent plus à l’étranger, mais dans les zones détaxées proliférantes de la Chine intérieure, île d’Hainan comprise], mais aussi le goût des amateurs locaux, de moins en moins portés sur le luxe mondialisé des Européens [donc sur les montres des grandes marques dont ils étaient si friands voici une décennie] et de plus en plus sur les références locales ou les ateliers personnalisés qui démonétisent subtilement lemasstige horloger [le même produit hyper-marketé pour tous les consommateurs de tous les marchés de toute la planète]. Il faut bien admettre que, pour quelques longues années, et sans doute jusqu’à la fin des années 2020, les Chinois ne seront plus les meilleurs amis d’une horlogerie européenne qui ferait mieux de réviser ses catalogues, ses prix, ses cibles commerciales et ses messages en direction de ses clients de proximité – le « consommer local » sonne encore plus juste quand il s’agit de montres dont l’empreinte carbone devient ravageuse dès qu’elles sont vendues dans le monde entier ! On s’aperçoit d’ailleurs, avec le recul, que cette ruée vers l’or des Asiatiques relevait beaucoup plus du réflexe spéculatif sur la valeur refuge supposée des montres que d’un réflexe culturel d’appréciation des valeurs de l’horlogerie : le point positif, c’est que cette spéculation a cependant permis à un minimum de culture horlogère de sédimenter – c’est sur cette génération d’amateurs excellemment éclairés qu’il faudra rebâtir et reconsolider [ça tombe bien, ils aiment les mêmes montres exclusives et les mêmes marques distinctives que les nouveaux amateurs européens]

 

❑❑❑  À SUIVRE : « Les dix croyances absurdes qui risquent de plomber gravement 2023 » (troisième et dernière partie)

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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