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CE N’EST PAS NOUS QUI LE DISONS (accès libre)
« Messieurs les managers de l'industrie horlogère, vous êtes nuls ! »

L’animateur de « Forumamontres » (premier forum francophone), le fameux Zen, ne pratique pas la langue de bois : son coup de gueule vise les actuels états-majors des marques. Bien vu, et rien ne choquera, ni m'étonnera les lecteurs de « Business Montres », mais il est une question perfide à se poser : ces mêmes états-majors sont-ils devenus subitement nuls, alors qu’ils surperformaient depuis des années, ou leur nullité était-elle masquée par une conjoncture exceptionnellement porteuse ?


Après des années, voire deux décennies, d'expansion, l'horlogerie de luxe connaît un retournement auquel elle semblait ne pas s'attendre. Swatch Group a annoncé des résultats catastrophiques. Richemont lui a emboîté le pas avec plus de 50 % de baisse de ses ventes. Kering n'est pas en grande forme et squelettise les effectifs de ses marques. Seul LVMH semble lever la tête avec Bulgari, qui est une marque phare, et les marques sous la coupe de Jean-Claude Biver, qui va afficher la progression insolente de 20% pour TAG Heuer.

Globalement, l'horlogerie ne va pas bien. Même Patek Philippe a revu ses volumes de production à la baisse et n'importe quel détaillant ou marchand vous expliquera que le marché se tasse. Au catalogue standard des motifs annoncés du marasme : le franc fort, les attentats en Europe, la dévaluation de la monnaie chinoise, la lutte anti-corruption en Chine, les smartwatches, etc... Tout cela combiné va jusqu'à faire couler Péquignet, fleuron de l'industrie horlogère française. « Cocorico ! » : mais qui reste-t-il, à part Péquignet, en France, dans l'horlogerie de luxe ?

En Suisse, Breitling est à vendre (mais si, ça va bien) et les marques déjà rachetées par les Chinois (Eterna, Corum, etc.) se mettent à l'heure de la gestion chinoise (virez-moi donc les gros salaires). De plans sociaux en licenciements sporadiques, de chômage technique en encouragement à la mobilité, il est difficile de dissimuler l'immense foutoir qu'est devenu le secteur industriel de l'horlogerie.

Pendant des années, l'embauche de gens plus ou moins compétents, et cela se vérifie avec le marketing défaillant de beaucoup de marques, n'a eu d'égal que la communication dépassée qui n'a pas évolué depuis les années 1980, pour la plupart des marques. C'est à croire que les clients des montres seraient bêtes au point de s'acheter une marque parce que telle ou telle personnalité en a une, ou que les messages lénifiants des publicitaires avec une nana dénudée suffiraient à déclencher l'envie de lâcher 7 000 ou 8 000 euros, exactement dans les mêmes conditions qui font préférer un dentifrice à un autre.

Personne, aucune marque, aucune maison ou groupe ne fait le travail de réfléchir à ce que ses clients sont devenus. On le voit ici, même si l'échantillon n'est pas, admettons-le, totalement représentatif, l'amateur est souvent cadre supérieur ou profession libérale, diplômé, et lecteur de la presse. Personne, non personne ne dit : « Nous nous sommes trompés et n'avons pas su anticiper l'évolution de notre clientèle tant intellectuelle que sociale ». On ne nous dit pas non plus : « Notre erreur est le fruit de notre inaptitude à écouter les clients ».

Cette crise, si toutefois on peut parler de crise, est le fruit de l'autisme de l'industrie horlogère, et Jean-Claude Biver a raison de marteler qu'il n'y a pas de crise. Il y a juste inadéquation entre l'offre industrielle et le besoin de la clientèle. Cette crise est le fruit d'un décalage, d'un déphasage, d'une « désynchronisation » des marchés avec une logique industrielle dépassée, désuète et mal encadrée.

Messieurs les managers de l'industrie horlogère, vous êtes nuls ! Vous êtes incapables de comprendre vos clients, incapables de les écouter. Enlisés dans les chiffres immédiats de vos résultats, vous vous êtes noyés dans des logiques statistiques parce que vous n'avez pas su palper la dimension affective des produits que vous fabriquez. Vous avez répondu avec une logique exclusivement financière à une clientèle qui ne demandait qu'à exister autrement. Le château de cartes que vous avez construit autour de votre confort et de la culture de votre ego s'effondre, faute de fondations solides. Jean-Claude Biver, que vous critiquez tant et plus, vous donne une leçon cinglante de ce que la proximité avec ses clients offre comme perspectives.

Vos soirées cocktails VIP, avec une poignée de journalistes essoufflés ou blogueurs sans audience, participent à la spirale du rien vers laquelle vous entraînez vos entreprises et vos actionnaires. Vous n'avez ni su vous entourer dans vos entreprises, ni dans votre communication. Vos choix partenariaux sont has been, d'un autre âge, d'une autre époque. Votre inculture chronique compromet l'avenir de vos entreprises quand elle ne les condamne pas. La proximité avec vos clients – au regard du produit que vous fabriquez – ne s'apprend pas en école de commerce. Vos certitudes d'être des sachants et, à ce titre de pouvoir vous comporter de manière caractérielle, avec vos collaborateurs, vous a tellement éloignés des réalités que vous ne saurez y revenir. Le décalage de votre communication de soirées « Grands prix » avec le marasme économique dans lequel est plongé votre secteur est incompréhensible.

La multiplication de vos déplacements en Asie face à des clients que vous ne comprenez pas davantage et dont vous ne cernez pas la différence avec la clientèle occidentale ; vous égare davantage. Vous nous placez en qualité de témoin de ce gâchis dont vous êtes les seuls responsables. Comment peut-on oser pleurer sur l'effondrement d'un marché (celui de Chine) bâti sur la corruption ? Le pitoyable spectacle que donne aujourd'hui l'horlogerie est devenu un brise-rêve qu'il faudra des années à reconstruire.

Comment vous dire que l'outil extraordinaire que vous avez entre les mains est fragile ? Qu'il a besoin d'être tenu avec fierté et plaisir, que l'enthousiasme d'une équipe est la clé du futur ? Devenez de vrais managers, le reste suivra... Ménagez les autres, ils vous ménageront, prenez la peine d'écouter et vous serez entendus. La hauteur de vue suppose de regarder en bas avant de se projeter au loin.

A bon entendeur !...

••• VOX POPULI, VOX DEI

On se délectera de la discussion autour de cette tribune libre, entre les amateurs qui postent sur Forumamontres


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