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IN MEMORIAM (accès libre)
Monty Shadow nous a quittés, mais plus personne n’a la carrure pour le remplacer

Il était une légende vivante des coulisses de l’horlogerie, où il tenait un rôle unique et irremplaçable de « valet de comédie » selon les codes du théâtre classique. Ce personnage attachant et protéiforme vient de nous quitter. On va vous expliquer pourquoi les marques du groupe Richemont, qui lui doivent tant, ne vont pas pouvoir lui rendre hommage…


Samedi matin, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre chez les initiés du microcosme horloger : Monty Shadow venait de succomber à une pneumonie d’origine covidienne et vaguement nosocomiale, contractée à la suite d’une opération chirurgicale (on le savait guetté par quelques comorbidités et déjà victime d’attaques cardio-vasculaires). « Monty Shadow », c’était d’abord un pseudonyme de travail, un nom de scène pour un personnage de notre commedia dell’arte contemporaine, un des héros qui ont construit, en coulisses, les décors de notre « Comédie humaine » horlogère. Entre le Scapin des Fourberies (Molière) et le Figaro du Barbier de Séville (Beaumarchais), tantôt Sganarelle (celui du Dom Juan de Molière) et tantôt Sancho Panza (celui du Don Quichotte de Cervantès, il avait l’art de séduire tout le monde – mais, comme le Ruy Blas de Victor Hugo (Ruy Blas), il a fini par se fâcher avec son maître, faisant basculer dans la tragédie une trajectoire personnelle axée autour des plaisirs et des jouissances de ce monde.

Né Cedomir Komljenovic, ce mirobolant Monténégrin d’origine, italolâtre par destin, Milanais d’adoption, mais citoyen du monde par entregent, avait 83 ans. Un âge que cette force la nature, taillé comme un Hercule de foire, cachait bien, mais qui lui permettait de s’adresser à tout un chacun en l’appelant « bambino » (enfant) et en le tutoyant d’emblée, qu’il soit gueux ou preux. Ce qui, apparemment, ne choquait personne : sur les murs tapissés de photos des innombrables pièces du hameau qu’il avait racheté près de Milan – en fait, un monastère complet, l’Abbazia dei Santi Nazario e Celso – et qu’il avait patiemment restauré, on comprenait l’ampleur de son « réseau » et la profondeur de son carnet d’adresses, un des plus magnifiques de tout le paysage créatif de notre temps, qu’on parle de cinéma, de sport (notamment de course automobile), de beaux-arts, de mode ou d’horlogerie. C’est dans cette ancienne abbaye qu’il possédait son studio de photographie et qu’il exposait les images de sa vie, celles qui le montrait avec le pape aussi bien qu’avec son ami le champion de F1 Ayrton Senna (ci-dessous), celles de tous ses compagnons de voyage tout au long d’une vie, qu’ils s’appellent Bernie Ecclestone, S.A.S. le prince Albert II ou Sylvester Stallone – ceci sans mentionner les plus jolies filles du monde qui lui sont tombées dans les bras tellement ce géant mondain était sympathique. Sait-on, par exemple, que Sharon Stone lui doit le démarrage sa carrière hollywoodienne, alors qu’elle était très proche d’Anthonij Rupert [le frère cadet de Johann Rupert, l’actionnaire de Richemont, disparu dans un accident de voiture en 2001] ? C’est Monty Shadow qui avait dopé sa carrière chancelante en la présentant à ses copains haut placés du tout-Hollywood…

Monty Shadow, c’était aussi le « père Joseph » de Johann Rupert (Richemont), celui qui avait poussé le groupe à racheter Panerai [là aussi, il faudra un jour réécrire la légende non autorisée de ce rachat], un Père Joseph débonnaire et rigolard qui intervenait comme bon lui semblait, exactement comme les valets de comédie » du XVIIIe siècle dont nous parlions, dans les affaires intérieures du groupe et des marques. Que de contrats signés grâce à son fabuleux carnet d’adresses [il avait le téléphone personnel de tout ce qui compte sur cette planète], qu’on parle de Mercedes ou de Ferrari, de Gucci ou de Prada, de Pirelli ou de Montegrappa. C’était un parfait boîtier de connexion : il réseautait partout et en tout temps, parce que ce bon « gros nounours » n’avait peur de rien, ni de personne : il allait toujours de l’avant, avec un temps d’avance sur tout le monde. Sait-on qu’il vivait en permanence dans un autre fuseau horaire, sa montre personnelle étant réglée avec un jour de décalage, une heure et un quart d’heure d’avance ?

Autant dire que ce personnage baroque, qui étonnait chez les petits marquis gourmés du groupe Richemont, n’y avait pas que des amis ! Son caractère brouillon pouvait troubler les stratégies machiavéliennes les plus subtiles et personne ne lui pardonnait son statut de « fou du roi » auprès de Johannn Rupert, qui l’avait surnommé quelque chose comme son « chien truffier » – celui qui était capable de renifler les truffes sous l’humus du quotidien des marques. C’était un sourcier capable de trouver de l’eau là où les autres ne voyaient que du sable : il avait ce talent dans la photographie, mais aussi dans l’art contemporain [il animait notamment le festival de St. Moritz], comme en témoignent les bibliothèques de beaux livres accumulées dans son abbazia, entre Milan et Turin (ci-dessus, le grand bâtiment au centre, et ci-dessous). Et puis, un jour, pour une sombre histoire de droits de propriété entre Cartier et un photographe renommé, la « cour Richemont » [à Hollywood, on aurait parlé de la « firme »] a fini par avoir la peau de ce favori qui faisait trembler les CEO des marques et qui ne pratiquait la révérence hiérarchique comme tous les courtisans. Brouille homérique dont Monty Shadow avait beaucoup souffert, dans son être, et querelles juridiques inextricables quand il avait envoyé aux marques des notes salées sur ses interventions passées et jusque-là non rémunérées. Au vu de tous les procès en cours, il est fort probable qu’aucune des marques du groupe Richemont ne rendra le moindre hommage à celui qui a tant fait pour le recrutement de leurs ambassadeurs ou l’affermissement de leurs partenariats [par exemple, Mercedes et IWC, Pirelli et Roger Dubuis, Panerai et Ferrari, etc.]. Rupture tonitruante, à la démesure des amours précédentes de ce deus ex machina avec le groupe Richemont. Comme disait la sagesse antique, sic transit gloria mundi

Bien malin qui peut dire qui était réellement Monty Shadow ! Le savait-il lui-même, alors qu’il possédait deux passeports avec deux dates de naissance différentes – dix ans d’écart ! – et même un « passeport diplomatique », nous semble-t-il monégasque ? Il reste une légende noire, celles qui colportent ceux qui ne savent pas mais qui causent, celles qui soupçonnent Monty Shadow des pires dérives mafieuses et d’avoir mis le groupe Richemont en coupe réglée, celles qui l’accusent d’avoir été le mauvais génie du libertinage tarifé aux plus hauts niveaux de l’état-major Richemont, celles qui concernent sa fabuleuse collection de voitures, AMG ou Ferrari, garées dans quelques chapelles de l’abbazia, celles qu’il n’a jamais voulu démentir parce qu’elles l’amusaient trop. Il reste surtout, chez ceux qui savent mais qui ne causent pas, le souvenir d’un des personnages les plus mirifiques et les plus époustouflants de notre paysage horloger – un de ceux dont on se dit que le « moule est cassé » et qu’on n’en retrouvera plus jamais de pareil dans le petit monde des bureau-technocrates qui ont pris le pouvoir dans les marques de luxe…

Toutes nos pensées vont aujourd’hui à sa fille, qui a perdu l’homme qui l’aimait le plus et qui la protégeait le mieux sur cette planète, ainsi qu’à Audrey Tritto, sa compagne et sa complice de ces dernières années (ci-dessus, avec Monty Shadow, en 2019). Les vautours tournent déjà autour d’elles ! Nous avons perdu un visionnaire, quelqu’un qui savait regarder là où il fallait et qui voyait les choses avec beaucoup d’avance sur les myopes qui l’entouraient. Adieu, Monty : tous ceux qui ont mordu le main qui les avait nourris ne méritait pas ta considération ! Adieu, l’ami ! Un jour, on écrira ta légende sur grand écran : personne ne se souviendra des ingrats et des lâches, mais ton souvenir hantera longtemps nos mémoires…


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