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DÉCODAGE (accès libre)
Pourquoi est-ce que Bell & Ross s’intéresse à un type qui n’a pas de casque de pilote et qui roule en vélo pour regarder Paris de haut ?

Ce n’est ni le premier chronographe de la marque Bell & Ross, ni la première montre « civile chic » de la marque, mais c’est la première mise en images du reformatage de ses valeurs. Décodons cette extension du territoire de la lutte…


Le vélo serait-il l’avenir d’un marketing aéronautique, tel qu'il est plombé par le grounding forcé d’une pandémie qui a cloué au sol tous les avions ? Quand on voit Breitling nous parler du Tour de France plutôt que de ses habituels Top Guns et quand on découvre le nouveau film publicitaire que Bell & Ross dédié à son chronographe BR 05, on comprend que la pédale a pris le pas sur l’hélice. Provisoirement ou substantiellement ? Ce nouveau clip nous livre quelques éléments de réponse…

En 2020, on aura finalement compté peu de marques capables d’oser prendre la parole pour explorer de nouveaux territoires d’expression. La première série des BR 05 (trois aiguilles) avait posé les bases d’une nouvelle identité urbaine de Bell & Ross : plutôt séduisant sans être fondamentalement original [toutes les « sportives chic » à bracelet intégré finissent inévitablement par afficher un air de famille], le style « carré adouci » témoignait d’une virilité maîtrisée dans un goût très contemporain aux citations « militaires » subliminales (Business Montres du 10 septembre 2019). Le chronographe était une évolution logique de cette collection BR 05, mais la vidéo qui met en scène cette montre témoigne d’une ouverture vers de nouveaux horizons sans cesser d’approfondir les valeurs de la marque : 75 secondes d’une évolution très intéressante à décoder…

Pour une fois, il n’est pas question d’avion ! Regardons-y de plus près. Paysage urbain : une ville avec des gratte-ciels. Une ombre : un jeune homme, mince (la trentaine svelte, blouson, sweatshirt), avec des lunettes – accessoire viril inédit dans la panoplie Bell & Ross – et une montre (le fameux chrono BR 05, qui n’apparaît fugacement à l’écran qu’à la douzième seconde). Il enfourche son vélo pour rouler, sans casque, sans sac à dos, dans une « ville de grande solitude » : ce doit être la première fois dans l’histoire de la marque que le héros d’une aventure Bell & Ross ne porte pas un casque d’aviation ou de masque de plongée ! L’évolution est intéressante à noter. Arrivée sur un site d’aviation, qui serait plutôt un héliport urbain : pour une fois, ce n’est pas un avion militaire, mais un hélicoptère civil Agusta italien – sans doute un AW109 civil – immatriculé en France (F-HTJM), ce qui nous confirme que nous sommes bien à l’héliport de Paris. On tendu à notre héros un appareil photo. Mauvais raccord : jamais un photographe professionnel ne sortirait sans sa sacoche, même en vélo ! Le voici dans l’hélicoptère, en train de découvrir les instruments de bord : on est dans une vidéo Bell & Ross et c’est l’occasion de vérifier que le chrono BR 05 est bien un « instrument » digne des compteurs de bord professionnels. Décollage. Prises de vues aériennes. Panoramique urbain sur la Défense vue d’hélicoptère. Plan final sur Paris vu de l’Ouest, avec la Tour Eiffel à gauche, la tour Montparnasse au centre et le bois de Boulogne au premier plan. Paris est à nous ! Un Paris vu du ciel qui signe l’horizon d’une identité de marque. Le tout en noir et blanc, parce que c’est tout de même plus chic…

On aura compris que la BR 05 est une montre urbaine qui sait prendre de la hauteur même quand elle roule en vélo et une montre humaine qui témoigne d’un style de vie sportif qui éveille en chacun de nous l’âme de l’explorateur qui y sommeille. En fouillant un peu dans les images et dans le storytelling de cette vidéo, on découvre que ce vélo n’est autre que le propre vélo de Bruno Belamich (cofondateur et directeur de la marque : c’est le « Bel » de Bell & Ross). On apprend que ce film non signé est le fruit d’une création collective, l’aventure d’une bande de copains et d’amis qui ont fait au mieux – et le résultat est magnifique ! – par les temps de pandémie qui chamboulent tous les projets et démultiplient les contraintes. On comprend que la dialectique entre la terre (le vélo, l’environnement urbain) et l’air (l’hélicoptère plutôt que l’avion, Paris vu d’en haut) est plus subtile qu’il n’y paraît pour exprimer les nouvelles ambitions d’une marque qui frisera bientôt la trentaine – on fêtera en 2022 ce trentième anniversaire). On reconnaît enfin dans la maîtrise de ces plans et de ce story-board le sens maniaque du moindre détail qui signe habituellement les créations horlogères de Bruno Belamich.

C’est là qu’on réalise à quel point cette vidéo sait s’imposer en exemple fondateur d’une nouvelle communication horlogère, non seulement pour Bell & Ross, mais aussi pour de nombreuses autres marques. Si le budget de cette vidéo relève du secret « confidentiel défense », on peut cependant estimer qu’il n’atteint pas les six chiffres [qu’aurait exigés n’importe quelle agence de communication] et qu’il ne doit pas dépasser quelques dizaines de milliers d’euros – ce qui est bien moins coûteux que quelques publicités dans les médias mainstream : la nouvelle créativité doit savoir rester plus minimaliste que somptuaire et dépensière. Deuxième enseignement : l’efficacité est dans la sobriété bien plus que dans la prolixité, puisqu’on peut développer un narratif original en soixante-quinze secondes sans débauche superfétatoire de moyens techniques. Troisième enseignement : vélo + hélico [sans oublier les lunettes, métaphore d’une touchante fragilité virile], c’est plus éco-responsable que le chasseur à réaction et c’est très malin pour poser la nouvelle identité citoyenne (urbaine et sportive chic) d’une marque horlogère ! Quatrième et dernière leçon : en prenant de la hauteur sans passer le mur du son, on souligne subliminalement les marqueurs génétiques de Bell & Ross (les valeurs aéronautiques attachées à cette marque), mais en les dépassant par un retour sur terre (le vélo) très signifiant d’une nouvelle humilité existentielle – on ne veut plus conquérir militairement la ville, mais mieux la comprendre en la photographiant. Remarquez le ciel bas et gris qui coiffe Paris, avec l'hélicopère au ras des arbres (ci-dessous) : les nuages sont lourds et les temps sont durs, mais on va tout de même de l'avant – on est loin des images paradisiaques de l'habituelle bimbeloterie cinématographique attachée aux montres. On a subverti les codes pour recomposer une identité : l’exercice était risqué, mais il a été bien mené…

Moralité : on peut en faire beaucoup sans se saigner à blanc, du moment qu’on réfléchit avec lucidité à la densité de son storytelling et à la pertinence de son expression. Bell & Ross trace une perspective qui devrait inspirer de nombreuses jeunes marques : l’horlogerie traditionnelle ne survivra qu’en retrempant perpétuellement les racines de sa créativité dans son identité profonde…


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