> 


R.I.P 2002-2012 : 33 marques disparues (ou presque)

Coup d'oeil dans le rétroviseur : méritaient-elles vraiment leur sort, ces trente-trois marques disparues, effacées ou fantômisées ? Pas forcément ! Mais que c'est déjà loin pour certaines... Heureusement, la démographie horlogère est forte. En plus, c'est bien connu : les marques de montres ne meurent jamais ! Certaines sont déjà en train de renaître...   ••• 2002-2012. Une décennie apparemment très agitée. Dès 2002, on sent déjà bouillonner la "révolution horlogère" qui va accompagner en puissance …


Coup d'oeil dans le rétroviseur : méritaient-elles vraiment leur sort, ces trente-trois marques disparues, effacées ou fantômisées ? Pas forcément ! Mais que c'est déjà loin pour certaines... Heureusement, la démographie horlogère est forte. En plus, c'est bien connu : les marques de montres ne meurent jamais ! Certaines sont déjà en train de renaître...

 

••• 2002-2012. Une décennie apparemment très agitée. Dès 2002, on sent déjà bouillonner la "révolution horlogère" qui va accompagner en puissance la montée de la "nouvelle génération" [les lecteurs de Business Montres ont eu le temps de la découvrir depuis 2004] et reformater en profondeur les codes de la montre contemporaine. Cet élan sera stoppé par la crise de 2008-2009 : là encore, les lecteurs de Business Montres étaient aux premières loges, quand tout le monde niait ce dégonflage brutal de la "bulle" horlogère pour cause de crise bancaire. Était-ce la "Première Crise mondiale" pronostiquée par Business Montres ? En apparence seulement, puisque, très heureusement, l'irrésistible demande chinoise allait assurer un redémarrage en fanfare des ventes de montres et des ouvertures de boutiques en Asie...
 
••• 2012 : les prémices d'une nouvelle crise, cette fois réellement mondiale [on ne peut plus compter sur la Chine, et encore moins sur les économies émergentes] et globalement socio-économique, viennent remettre en cause le modèle même de notre société d'abondance et d'assistance. La révolution qui s'annonce semble devoir profondément remettre en cause les certitudes fondamentales de nos économies. On ne voit pas pourquoi l'industrie des montres échapperait au sort commun. Vérification des prémisses de ce raisonnement dans les semaines qui viennent : "La prochaine crise horlogère éclatera avant 2013", expliquait Business Montres au mois de mai...
 
••• Raison de plus pour regarder dans le rétroviseur de la décennie écoulée, qui a dû voir la naissance d'environ 200 à 250 marques [la vitesse de croisière démographique est désormais de 80 à 100 marques par an, mais on ne comptait qu'une ou deux poignées de créations vers 2002]. Selon la bonne vieille règle des 80/20 (loi de probabilité d'Alfredo Pareto), la sélection naturelle a été féroce entre les nouveaux venus dans l'écosphère horlogère, entraînant au passage la disparition d'anciennes marques qui n'avaient pas démérité. Comprendre ce qui a pu arriver est encore la meilleure façon d'anticiper ce qui pourrait se passer : cette sélection (par ordre alphabétique) n'est qu'un échantillon des principales victimes de la décennie...
 
••• Dans cet interminable cortège funèbre, on trouve quelques maisons mortes et déjà enterrées. Il y en aurait sans doute beaucoup d'autres à citer, mais celles qui figurent ci-dessous sont emblématiques. Elles sont parfois accompagnées de marques qui se trouvent encore aujourd'hui aux urgences, voire en réanimation, sinon en état d'hibernation. Pour l'instant, elles n'ont pas été déclarées en cessation définitive d'activité. Pour plusieurs d'entre elles et pour bon nombre de créateurs sortis des radars de l'actualité, cette survie est purement artificielle [elle ne fait que retarder une échéanc inéluctable], mais, dans certains cas, une vente en direct par ci par là permet de tenir le coup et d'entretenir un semblant d'activité cérébrale. Où en sont exactement Franc Vila, Rodolphe, Martin Braun ou même DeWitt ? De même, on n'a pas tenu compte des marques qui ont été rachetées ou reprises et qui sont actuellement en cours de relance...
 
 
1) ALAIN SILBERSTEIN
Le créateur horloger le plus amusant de sa génération a fini par jeter l'éponge, victime d'un modèle économique "normal" (classique) dans une crise qui ne l'était pas du tout et qui a remis en cause, pour les "petites" marques, l'accès au financement de la croissance autant que la distribution des collections. Une certitude : après avoir très proprement et dignement géré sa disparition du marché (le SAV est assuré pour plusieurs années), Alain Silberstein n'a pas dit son dernier mot...
 
2) CABESTAN
 Repreneur de la marque quand tout paraissait lui sourire, Thimothy Bovard se débat aujourd'hui comme un beau diable [celui qu'on tire par la queue] pour assurer quelques ventes qui permettront de faire les fins de moisL La marque lancée par Jean-François Ruchonnet n'est pas morte et elle peut même se flatter d'une excellente équipe horlogère, mais les développements annoncés peinent à prendre corps [faute de budgets], alors que le dispositif commercial est réduit à sa plus simple expression. Que faire avec un concept vieillissant, qui se voulait d'avant-garde mais qui est épuisé par six ans d'exposition sans vraie nouvelle déclinaison ?
 
3) CONFRÉRIE HORLOGÈRE
 Le rêve fracassé de Mathias Buttet s'est englouti dans la débâcle BNB, emportant les illusions des jeunes "confrères" à qui on avait donné leur chance et qui avaient pourtant repoussé un peu plus loin les frontières de la créativité horlogère. D'excellentes idées ne suffisent pas à fonder la légitimité d'une marque, surtout quand la conjoncture se retourne aussi brutalement qu'en 2008...
 
4) FAVRE-LEUBA
 L'équation était presque parfaite : une marque historique appréciée par les collectionneurs [très bien pour le storytelling] dont les propriétaires – le groupe LVMH – ne voulait plus, un actionnaire de référence décidé à percer dans la haute horlogerie [le groupe espagnol Valentin, qui s'était également dévoué pour Nubeo : voir ci-dessous], une équipe de jeunes créateurs aux dents longues, une conjoncture porteuse, commercialement et médiatiquement [la "nouvelle génération" avait la cote : les lecteurs de Business Montres étaient aux premières loges !] et un accès privilégié aux fournisseurs. Oui, mais... Favre-Leuba génération 2 n'a pas eu le temps de déployer ses ailes : il aura manqué un ou deux ans à Clément Brunet-Moret pour consolider son dispositif et profiter des mouvements "manufacture" développés à grand frais. Le groupe Valentin a tiré la prise, mais revendu la marque à de courageux investisseurs indiens. On attend donc la génération 3 : les belles marques sont immortelles...
 
5) FABRICATION DE MONTRES NORMANDES
 Par la seule vertu esthétique d'un grand balancier, et par sa seule apparition au salon Belles Montres Paris, Karsten Frasdorf s'est taillé une place dans le coeur des amateurs français de belles mécaniques. Lui-même n'en revenait pas, face à la ferveur de ceux qui découvraient une manufacture normande (!) de haute horlogerie. C'est alors que les requins et les coquins – généralement allemands – ont gâché cette belle histoire, avec de sombres magouilles, poussant FDMN au dépôt de bilan et Karsten Frasdorf à tenter en Suisse le démarrage de sa nouvelle Heritage Watch Manufactory. Quand la justice allemande aura lavé l'honneur du créateur de FDMN, il sera sans doute trop tard pour relancer la maison...
 
 
 6) FONTAINEMELON
 Hormis pour quelques aficionados de l'histoire mécanique des montres suisses, la référence à Fontainemelon n'évoque rien. Cette commune est néanmoins le lieu de naissance des premiers mouvements mécaniques "industriels" : c'est même le berceau géographique de l'actuelle entreprise ETA. En remettant la main sur un stock de mouvements Fontainemelon datés de 1870, l'équipe de (re)création de Fontainemelon a eu l'idée – en soi, fûtée – d'en refaire le pivot d'une collection de montres contemporaines : il suffisait d'y ajouter un tourbillon pour créer de la valeur. Pas si simple, surtout entre associés pas toujours compétents, ni honnêtes. Dommage pour les amateurs, qui seraient tombés amoureux de ces architectures mécaniques "à l'ancienne" – qu'on ne sait d'ailleurs plus faire ! Une partie du projet s'est transformée en montres Pierre Thomas, sur le même concept de boîtiers de style 2010 dotés de mouvements datés du XIXe siècle...
 
7) FRÉDÉRIC JOUVENOT
 Qui a des nouvelles de la manufacture Frédéric Jouvenot, passée sous l'horizon radar depuis trop de mois ? Récompensée au salon GTE 2011, la marque a connu la traditionnelle valse des administrateurs qui quittent le navire, sans pouvoir proposer d'innovations créatives autres que des animations partielles du concept initial. On craint le pire au prochain coup de vent...
 
 
8]  GEORGES V
 Pas George-V [comme le palace parisien], ni même Georges Cinq [avec un S français]juste Georges V. ("Vé"), histoire de ne pas tomber dans l'usurpation de marque, tout en faisant croire que... D'emblée, on jouait petit bras et petit malin, alors qu'on roulait des mécaniques en faisant les gros malins, avec de grandes ambitions dans le design (plutôt réussi), les annonces de complication et les déclinaisons dans tous les univers du luxe. Le sympathique et munificent Pasquale Gangi (ex-Franck Muller) connaissait si bien les coulisses de l'industrie et de la distribution horlogère qu'il avait ses chances. Sauf que les effets d'annonce ne suffisent pas : le marché des montres n'est pas un tapis vert, ni un zinc de bistrot. Georges V. n'a jamais été couronné comme il l'espérait...
 
9) GUY ELLIA
 Le design était irréprochable, les complications impeccables et la proposition globale de la marque remarquablement bien pensée : qu'a-t-il manqué à Guy Ellia pour entrer dans l'Olympe des nouvelles marques et s'y donner la place qu'il méritait ? Sans doute un peu de réalisme dans les prix, de prudence dans les investissements, de fermeté dans la consolidation de la marque et d'humilité dans l'approche d'un marché horloger plus complexe qu'il n'y paraît. On parie qu'il refera parler de lui ? Quand on fait d'aussi belles montres, c'est une drogue dure : on replonge toujours...
 
10) HORUS
 On peut être un excellent sous-traitant mécanique sans pour autant être un grand créateur horloger : s'il avait quelques illusions à ce sujet, André Grossmann l'aura compris à ses dépens. La jeune marque Horus a fait un passage météoritique dans le ciel horloger, en y laissant la trace de montres plutôt extraordinaires [la première version de ce qui allait devenir la Clé du Temps chez Hublot] et d'emballements non moins ahurissants [le parrainage du Yacht Show d'Abu Dabi, le partenariat avec Rolls-Royce, les soirées au Beach de Monaco et la boutique à Monte-Carlo]. En quelques mois de flamboyantes initiatives, le cash disponible était calciné, les fournisseurs inquiets, les collectionneurs floués et le créateur gommé des horizons européens...
 
11) INSTRUMENTS ET MESURES DU TEMPS
 Que reste-t-il des déclarations ronflantes des créateurs de cette marque lausannoise, qui n'ambitionnait pas moins que de révolutionner les beaux-arts de la montre ? Peut-être la faveur d'avoir accroché un chronographe au poignet de l'ancien Premier ministre français François Fillon, qui la porte encore de temps en temps ! C'est un peu maigre comme bilan quand on prétendait à l'extrême sophistication de complications qui n'ont jamais vu le jour et dont les journalistes affirmaient qu'elles avaient "une subtilité que ne possèdent aucune autre montre" [si, si, c'était écrit !]. Les créateurs d'IMT adoraient s'admirer dans le reflet des bottes aussi impeccablement cirées par la presse horlogère. On n'avait jamais compris ce que cette marque apportait de plus sur le marché, de même que personne ne s'est aperçu de sa disparition...
 
12) JAPY
 Vétéran des batailles horlogères, Jean-Paul Suchel avait conservé dans ces combats héroïques une certaine intégrité morale doublée d'une sympathique naïveté. Sa collection Japy [hommage au premier "industriel" français de la montre] était à la fois bien pensée et bien positionnée, mais les lois du lancement de toute nouvelle marque exige un culot d'enfer, une grande gueule (avec des hauts-parleurs médiatiques), un carnet d'adresse en béton chez les détaillants et des relations privilégiées avec les fournisseurs. Le créateur de Japy était sans doute trop tendre pour affronter cette jungle : on peut regretter la disparition de cette marque...
 
 
13) KELEK
 Mercatiquement née en 1896, mais plus sûrement lancée en 1960, la maison Kelek a été très active au cours des décennies suivantes, jusqu'à ce que la holding Breitling, qui l'avait en portefeuille, la saborde au début des années 2000 pour concentrer ses ressources sur la marque Breitling. Les amateurs regrettent les fantaisies du design Kelek, maison qui a pu figurer parmi les premiers fabricants suisses de chronographes (l'ensemble des ateliers a été transformé en Breitling Chronométrie)...
 
14) KRONOTYPE
 Deux copains qui veulent créer leur marque : Marc Alfieri et Julien Leroy n'ont pas hésité une seconde pour associer leurs talents de designer (pour le premier) et de commercial (pour l'autre). Dans les années 2000, on jouait comme on aimait, la passion personnelle palliant l'inexpérience des marchés et des coulisses de l'industrie suisse. Quelques collections plus tard, l'or des boîtiers était encore plus lourd à porter financement, le design un peu émoussé par les propositions de la "nouvelle génération" et la consistance mécanique ("Made in ETA") questionnée sans aménité par des amateurs émergents devenus exigeants. La crise a fait le reste et accéléré la fin de la partie. Dans un demi-siècle, ces montres emblématiques de la renaissance des années 2000 seront peut-être des collectors...
 
15) LADOIRE
 La marque vit-elle ou se survit-elle, avec une équipe réduite au créateur et à un horloger ? Vidée de ses forces vives, le concept créé par Lionel Ladoire subsiste sur son stock à coups de petites animations, en maintenant un semblant de présence sur les réseaux sociaux. Personne ne lui imagine plus d'avenir au-delà de cet acharnement thérapeutique, qui a déjà lassé plusieurs investisseurs : le comique de répétition a ses limites, même dans l'horlogerie...
 
16) LÉONARD
 La notoriété d'une marque de couture n'est en rien proportionnelle à la réussite potentielle d'une marque de montres qui reprendrait son nom. Les exemples ne manquent pas [à commencer par Yves Saint-Laurent : voir ci-dessous]. On peut même penser que la réussite dans ce mariage sous licence est l'exception plutôt que la règle ! On l'a vérifié avec l'aventure horlogère de Léonard, tenté à l'origine par Ricardo Guadalupe (actuel CEO de la manufacture Hublot) et des investisseurs asiatiques singapouriens. Si le facteur couture n'est en rien décisif, le facteur singapourien l'est encore moins : le taux de réussite des marques suisses à capitaux asiatiques est de l'ordre de 2,5 % [observation portée sur le dernier quart de siècle]. Bref, quand ça commence mal et sur des bases incertaines, ça ne se finit jamais bien. Tommy Leong (Leong Poh Kee) a mis sine die la marque au congélateur, histoire de ne pas perdre la face en la fermant...
 
17) LÉON HATOT
 La relance de la marque Léon-Hatot était une bonne idée de Jean-Claude Biver pour offrir au Swatch Group la marque de haute joaillerie dont rêvaient Nicolas Hayek et Arlette Emch. Les archives de l'atelier regorgeaient de dessins originaux, dont il était possible de tirer de belles idées de montres : storytelling parfait pour un lancement de marque que l'éviction de Jean-Claude Biver du Swatch Group allait condamner à mort. Le sauvetage tenté par Jean-Frédéric Dufour, un temps embarqué dans l'affaire, puis la passion d'Arlette Emch, désignée pour cette rescue mission, ne pourront pas empêcher l'issue fatale, définitivement actée après plusieurs piteuses (quoique fastueuses) apparitions à Baselworld et après la disparition de Nicolas Hayek. Certains y verront la confirmation que les grands groupes ne savent pas lancer des nouvelles marques !
 
18) LUTOLF PHILIP
 Il s'agissait tout simplement de repenser l'horlogerie en revenant à ses origines, avant que Christiaan Huygens ne nous embarque pour quatre siècles de ressort-moteur. Courageux, mais pas évident sur le plan technique et surtout gourmand en budget d'investissement R&D. Philippe Lutolf en a fait l'expérience : après avoir quelques kilomètres de ce parcours du combattant de tout nouveau créateur-innovateur, sa chasse à l'énergie tirée de quatre mini-ressorts boudin a tourné court. Il n'était pas loin du but, mais ce genre de course se gagne dans les cent derniers mètres, et non sur les trois premiers prototypes. Le jour où ses idées seront reprises et retravaillées par des investisseurs courageux, l'horlogerie tremblera sur ses bases mécaniques. En attendant...
 
19) MARANELLO
 Sur le papier, c'était séduisant : pourquoi ne pas décalquer une marque de montres mécaniques dédiée au sport automobile à partir de l'invocation de Maranello (patrie historique de Ferrari) ? C'est cependant miser sur l'écho d'un écho et fonder sa légitimité sur le reflet indirect d'une ombre portée. Mission impossible, comme l'a prouvé la disparition de la marque (suisse !) après quelques petits tours dans le Hall 2 de Baselworld. La belle Awa, qui ambrait de sa plastique les publicités de la marque, restera le grand regret des amateurs...
 
20) MARC ALFIERI
 L'espoir d'un renouveau créatif de la haute horlogerie française venait cette fois de Marseille, où le designer Marc Alfieri nous avait habitué au regard contemporain qu'il posait sur les accessoires masculins. Dans la foulée de l'aventure Kronotype [voir ci-dessus], il a voulu tutoyer les sommets de la haute horlogerie. Il suffisait d'en parler à l'équipe de BNB et la montre commençait aussitôt à exister, dans les ateliers de prototypage autant que dans les yeux des collectionneurs asiatiques : heureuse époque, où quelques oligarques épais du poignet pouvaient permettre à des jeunes horlogers d'exister  ! La crise de 2008 a vite sonné la fin de la récréation, pour Marc Alfieri comme pour BNB. Il serait cependant inquiétant que "Marco" ne revienne pas rôder un jour ou l'autre dans les watch valleys...
 
 
21) MCT (MANUFACTURE CONTEMPORAINE DU TEMPS)
 La Roche tarpéienne est proche du Capitole : MCT (Manufacture contemporaine du temps) a explosé en vol l'année même où Denis Giguet voyait sa créativité reconnue par l'Opus 11 d'Harry Winston (2011). Les premières séries de Sequential One (affichage digital par "palettes" mobiles) resteront comme un bouleversant témoignage de la révolution horlogère des années 2000, mais la marque – victime d'un modèle économique défaillant autant que de la défaillance de ses animateurs – est aujourd'hui en coma dépassé, réduite à son seul actionnaire [qui ne veut pas encore baisser le rideau de fer], Denis Giguet s'étant exfiltré à temps vers la manufacture Van Cleef & Arpels de Genève...
 
22) MERMOD FRÈRES
 Il y a souvent une bonne idée dans les lancements de nouvelles marques : cousine (sister brand) de la maison Reuge, l'initiative Mermod Frères visait à créer une nouvelle génération de montres musicales, sur le même principe que les boîtes à musique. Réveillée pour la circonstance, la maison Mermod Frères (fondée en 1816 et disparue pendant la crise des années 1930) avait été ressuscitée, avec le développement d'un mouvement mécanique innovant, capable de proposer quatre mélodies personnalisables (mini-disques tournants). Tout était parfait, à un détail près : le génie marketing de l'équipe aux commandes et le court-termisme des investisseurs. Le mouvement a été racheté par le Swatch Group, qui le destinait à Breguet mais qui n'en a encore rien fait. La marque a rejoint – bis repetita placent – le purgatoire des maisons suisses balayées à la faveur d'une crise...
 
23) MONTEGA
 Gros chronographes sportifs sans la moindre originalité, ni dans le design (un peu boursouflé), ni dans le mouvement (ETA basique), et encore moins dans le marketing, exclusivement basé sur la gloire transitoire d'une éphémère star du football : ça ne pouvait pas bien se terminer ! Et l'aventure a vite tourné court, la marque ne survivant plus qu'avec les stocks personnels qu'un des co-créateurs de la marque, Elie Chatila, réserve à la clientèle de sa boutique de Genève. Une animation de temps en temps, un sertissage pour changer le style de la montre, un cadran décliné dans une autre couleur : après tout, pourquoi s'acharner à construire des marques quand on peut se contenter de vendre des montres ?
 
24) NUBEO
 Quand un designer se lâche en solo, après des années de travail sur commande, il en fait toujours un peu trop. On sentait dans les collection Nubeo [marque installée à Basel par son actionnaire espagnol, le même que pour Favre-Leuba : voir ci-dessus] la patte un débridée d'un créateur qui avait faim de détails baroques et qui n'en était pas à quelques gongorismes près. Il fut un temps, dans les années 2000, où ces lignes bodybuildées plaisaient beaucoup aux clients friqués, généralement sportifs ou accaparateurs des pays émergents. La maison n'a pas fermé ses portes, mais elle est entrée dans un état d'hibernation avancé dont on ne perçoit pas clairement quel prétexte pourrait l'en faire sortir...
 
25) ROUSSEAU 1636
 Sébastien Rousseau et son frère, Christopher, n'auront qu'un petit tour de piste, de salon horloger en salon horloger, avec un projet de marque vouée à la mise en valeur des principaux composants mécaniques d'une montre : un modèle coup de loupe sur le balancier, une montre en hommage à l'ancre suisse, et ainsi de suite. Difficile, là encore, de faire le dernier kilomètre, ou même d'aller au-delà d'un vague prototype, quoiqu'on ait beaucoup fait parler de soi et de son projet, inévitablement placé sous les auspices d'un ancêtre horloger susceptible d'intéresser les larges masses asiatiques. Les frères Rousseau ont replié les voiles et abandonné le navire au premier coup de vent soufflé par la crise. Ils ne manquaient pourtant pas de belles idées – tout juste d'un peu de suite dans ces idées...
 
 
26) STEINWAY & SONS
 La référence Steinways & Sons est mondialement célèbre dans l'univers du piano, les mélomanes créant autour de cette marque de légende un halo de clientèle fortunée et d'ambiance haut de gamme. Fabrizio Cavalca étant lui-même concertiste et horloger, la connexion était aussi inévitable que porteuse d'espérance. Les montres elles-mêmes évoquaient avec intelligence les lignes des pianos Steinway & Sons, avec l'invention au passage d'une "montre métronome" développée par Jean-Marc Wiederrecht (Agenhor). Bref, à la fin des années 2000, il ne manquait à la jeune marque horlogère et à Fabrizio Cavalca, qui n'avait pas ménagé ses efforts pour produire quelques montres d'un haut niveau de qualité, qu'un réseau de détaillants capables de "se mouiller" pour une nouvelle proposition. Ils n'ont pas été au rendez-vous et il a fallu refermer le demi-queue avant les premières notes de la partition. Dommage : côté horloger, ça sonnait bien...
 
27) TITANIUM CARGO
 Encore une marque disparue sans laisser d'adresse et sans envoyer de SOS : silence, on coule ! L'aventure aura duré l'espace de deux salons, le temps que les Wicht (père et fils) réalisent que le marché n'attendait rien d'une proposition lausannoise fondée sur le seul nom d'un matériau banalisé (titane) et sur la combinaison d'un design honnêtement contemporain et d'un prix accessible pour du Swiss Made. Comme il n'y avait pas grand-chose à en dire [sinon que la marque était nouvelle], personne n'en a plus rien dit du tout...
 
28) UNIVERSAL GENÈVE
 Encore une marque qui avait tout pour réussir, sauf peut-être l'essentiel pour une (re)création de marque : l'audace d'entreprise et le courage de prendre des risques. L'aura d'Universal auprès des collectionneurs est intact : le passé est riche, les archives regorgent de dessins intéressants et l'image de marque a résisté au temps. Relancer Universal avec des actionnaires asiatiques n'était pas mettre toutes les chances de son côté [voir, ci-dessus, le cas Leonard]. Axer la stratégie de repositionnement sur le seul hommage au passé revenait à prendre un gros risque. Mettre tous les billes sur la mise au point d'un "mouvement manufacture" alourdissait la facture sans rien garantir de la commercialisation [au contraire !]. Miser sur une montre carrée pour recréer une marque célèbre pour ses chronographes ronds, c'était foncer droit dans le mur. La pusillanimité du management et son autisme opérationnel ont fait le reste. La marque est au frais, à la morgue, avec une étiquette accrochée au gros orteil : "Pas à vendre pour l'instant"...
 
29) VILLEMONT
 La marque d'Olivier Muller a été la première à être frappée par la foudre à l'automne 2008, quelques semaines après, du moins dans la catégorie des nouvelles marques de la décennie 2000. Villemont ne méritait sans doute ni l'excès d'honneur de cette fatale préséance, ni l'excès d'indignité qui s'attache à toute défaillance d'entreprise. Les collections étaient bien posées, mécaniquement consistantes (on se souvient de ses "Heures du monde") et techniquement innovantes (son Ultimum, alliage inédit de métaux précieux). Le positionnement prix satisfaisant. Le savoir-faire managérial incontesté. Seuls les actionnaires n'étaient pas à la hauteur d'un tel projet, au point de se débander aux premières gouttes de pluie de l'orage...
 
[caption id="attachment_5942" align="aligncenter" width="717" caption="VILLEMONT (À GAUCHE) ET WYLER"][/caption]  
30) VINCENT BÉRARD
 S'adosser au puissant groupe américain Timex pour caler son projet, c'est le rêve de tous les horlogers qui veulent mettre en place une vraie manufacture de montres. Vincent Bérard y croyait, mais il n'avait négligé que deux facteurs, il est vrai essentiels. Premier point : l'horlogerie est une activité économique [et non un monde de Bisounours peuplé de gentils mécènes], qui réclame un minimum de compétences managériales. Second point : la versatilité des groupes cotés est légendaire, puisqu'ils font de l'horlogerie un business, et non une raison de vivre. Dès lors, l'issue tragique était programmée pour l'aventure Vincent Bérard, plombée par l'intervention désastreuse d'incompétents notoires : le coup d'arrêt signifié sans ménagement par des investisseurs américains totalement dépassés a renvoyé tout le monde à ses chères études...
 
31) VOLTIME
 Il y avait de l'idée dans ce concept de montre réversible logée dans un container de poignet : c'était une réponse intelligente au défi de la montre à affichages multiples ! On sait désormais que le concept malin n'est pas une assurance-vie pour les créateurs de marque. Il faut compter avec les distributeurs indélicats, les fournisseurs désinvoltes, les prestataires fantaisistes et les concurrents qui savonnent la planche. Ce qui fait beaucoup pour une micro-équipe vite dispersée aux quatre vents de la crise...
 
32) WYLER
 La marque était ancienne et respectée, mais le groupe Binda s'est pris les pieds dans le tapis en voulant brûler les étapes et prendre quelques raccourcis dans la course à la légitimité sur le terrain haut horloger. Le design était honorable et il a tenu la route, mais un horloger digne de ce nom doit savoir donner du temps au temps, en équilibrant branding et marketing, distribution et communication – sinon, on se retrouve à parrainer le Paris-Dakar tout en s'auto-affirmant comme la seule marque "verte" (éco-responsable) de la haute horlogerie suisse – ce qui s'appelle se moquer du monde !
 
33) YVES SAINT-LAURENT
 Un grand nom, aussi prestigieux soit-il, n'est pas une garantie crisis proofTom Ford – qui était alors la rock star de Gucci – voulait épater la galerie en singeant la Tank asymétrique de Cartier, avec quelques images d'Yves Saint-Laurent pour caler le storytelling. Le bide commercial intégral a immédiatement sanctionné le vide créatif : exit Tom Ford, qui aura eu le temps de mettre à mal l'image horlogère et joaillière de Boucheron avant d'évacuer en urgence (et avec éclats) la scène du luxe... 
[caption id="attachment_5943" align="aligncenter" width="580" caption="VOLTIME (À GAUCHE), YVES SAINT-LAURENT (AU CENTRE) ET VINCENT BÉRARD..."][/caption]
 
 
D'AUTRES ACTUALITÉS RÉCENTES...
Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter