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SMARTWATCHES : Quelle est la validité du « théorème de Biver » et en quoi nous aide-t-il à répondre au défi des montres connectées ?

Ce théorème n'est pas un nouvel objet mathématique, mais l'énoncé d'un postulat : « La future iWatch d'Apple sera suisse ou elle ne sera pas ». Alors qu'il ne croyait guère aux montres connectées voici un an, Jean-Claude Biver – Monsieur Montres chez LVMH – a sensiblement évolué à ce sujet. Pourquoi ? ▶▶▶ CARPO-RÉVOLUTIONDes nouvelles perspectives pour le défi lancé par les smartwatches aux montres suisses...  


Ce théorème n'est pas un nouvel objet mathématique, mais l'énoncé d'un postulat : « La future iWatch d'Apple sera suisse ou elle ne sera pas ». Alors qu'il ne croyait guère aux montres connectées voici un an, Jean-Claude Biver – Monsieur Montres chez LVMH – a sensiblement évolué à ce sujet. Pourquoi ?

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▶▶▶ CARPO-RÉVOLUTION
Des nouvelles perspectives pour le défi
lancé par les smartwatches aux montres suisses... 
 
◉◉◉◉ Les lecteurs de Business Montres savent depuis longtemps que la « guerre du poignet » a commencé : il y a pratiquement dix-huit mois que nous avons allumé le signal d'alarme à ce sujet : nous étions bien seuls au départ, ne serait que pour déplorer qu'on n'ait pas plus parlé de ces smartwatches à Baselworld, en 2013. Un an plus tard, l'optimisme de béton qui était de mise à l'époque s'est un peu fissuré. Les ricanements narquois se sont tus. À part quelques journalistes-perroquets qui relaient inlassablement la voix de leur maître, l'heure n'est plus à la moquerie, mais au silence dans les rangs. Le mainstream murmure comme un ruisseau de printemps dans les alpages. À quelques exceptions près, l'établissement horloger préfère se taire plutôt que d'afficher une opinion ou une inquiétude...
 
◉◉◉◉ La bonne nouvelle, c'est que les opérateurs électroniques qui lancent des montres connectés n'ont généralement pas bien compris ce qu'était une montre. Leurs smartwatches sont donc dépourvues du moindre intérêt, esthétique ou technologique, tant elles se contentent de dupliquer au poignet les fonctions basiques d'un téléphone. Autant dire que les géants de la téléphonie qui prennent ces initiatives, à commencer à Samsung, ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour créer une offre réellement séduisante et capable d'emporter l'adhésion hors des cénacles bruyants de geeks technophiles. Même s'il est en croissance pour des quantités spectaculaires, le marché est encore loin d'avoir trouvé son point d'équilibre : chacun retient son souffle en attendant la fameuse, hypothétique et messianique iWatch d'Apple, dont on ne sait toujours pas si c'est pour la rentrée 2014 ou pour le début 2015. Même les concurrents les plus acharnés d'Apple – toujours en commençant par Samsung, mais aussi Google (ci-dessous) – savent que cette iWatch, quelle qu'elle soit, repolarisera un marché dont elle sera le parangon marketing.
 
 
◉◉◉◉ Les esprits ne cessent cependant d'évoluer, du côté de ceux qui lancent les premières smartwatches un peu évoluées comme du côté de ceux dont les montres traditionnelles seront directement concurrencés par ces outils connectés. L'enjeu reste la victoire dans la prochaine « bataille du poignet », qui n'en est encore qu'au stade de la « drôle de guerre » : pour la blitzkrieg d'Apple, on attendra encore un peu, mais une mutation est en cours. L'heure n'est plus à la technologie [qui n'est pour l'instant que redondante avec la téléphonie, sauf pour les bracelets d'activité, qui ne se manifestent encore que timidement au poignet, alors qu'ils sont partie prenante dans cette conquête territoriale du poignet], mais à la recherche d'une nouvelle esthétique, beaucoup plus proche des canons horlogers : on retiendra, récemment, la présentation de la montre présentée par Google (Android Wear : vidéo ci-dessous), qui devrait développer des « montres de mode connectées » (fashion watches) en partenariat avec le groupe Fossil, dont la croissance de ces dernières années est stupéfiante.
 
 
◉◉◉◉ Qu'un géant mondial comme Google en vienne à s'allier au numéro quatre mondial de la montre [directement concurrent des marques d'entrée de gamme du numéro un mondial, le Swatch Group], alors que le groupe Fossil est lui-même en plein redéploiement sur le Swiss Made, en dit long sur le retard stratégique de l'industrie suisse dans ce domaine. Les déclarations goguenardes d'un Nick Hayek, qui jouait les contempteurs de la smartwatch il y a tout juste un an, ont sans doute désarmé les énergies et ouvert un boulevard, au coeur de la Suisse, à des initiatives américaines qui étaient pourtant prévisibles. C'est d'autant plus dangereux que Google – qui a très bien vu que l'intérêt de ces smartwatches n'était pas dans l'extension téléphonique, mais dans l'hyper-connexion de tous à tout [le fameux « Internet des objets »] – annonce des accords stratégiques avec d'autres géants de l'électronique grand public (vidéo ci-dessous), y compris dans le domaine des traceurs biométriques...
 
 
◉◉◉◉ Les évolutions sont également sensibles du côté suisse. Alors qu'il n'y croyait pas du tout, sinon comme à de pittoresques et éphémères gadgets, Jean-Claude Biver, aujourd'hui n° 1 de la montre chez LVMH, a passablement évolué à ce sujet. Récemment, il confirmait publiquement nos révélations de décembre dernier concernant une possible iWatch Swiss Made chez Apple (Business Montres du 3 mars). Ce qui n'était pas une découverte pour nos lecteurs l'était apparemment pour les journalistes. Jean-Claude Biver a pu lui-même vérifié que, non seulement Apple avait passé des commandes en Suisse, mais aussi que l'état-major de Cupertino avait tenté de débaucher quelques Suisses – dont des équipiers de Jean-Claude Biver – pour étoffer sa division iWatch. C'est d'ailleurs ce que Apple à toutes les étapes de sa carrière : trouver à l'extérieur les ressources les plus compétentes pour investir un nouveau segment de marché et s'y tailler une forteresse inexpugnable.
 
◉◉◉◉ À bien y réfléchir, Apple – qui est déjà une marque de luxe et qui en a tous les attributs (légende, prix, design, exclusivité, distribution, etc.) – n'a pas le choix pour s'imposer sur ce marché des montres connectées. Pas la moindre chance de survie dans l'entrée de gamme : la gravité naturelle des lois de vie électronique aspire impitoyablement vers le bas, le mass market de commodité et les prix écrasés. Pour contrer Samsung, mais aussi par fidélité aux valeurs d'Apple, le luxe est la seule voie possible. D'où le « théorème de Biver », qui édicte que « la future iWatch d'Apple sera suisse ou ne sera pas ». Être suisse, dans cet esprit, relève de la métaphore, pas forcément de la suissitude garantie sur facture approuvée par la FH : cette iWatch sera une montre de luxe, et non un gadget électronique voué à l'obsolescence programmée, vendue à des prix de luxe dans un environnement de luxe et probablement en boutique monomarque.Ce sera une vraie montre, certes connectée, mais respectueuse de tous les codes de l'horlogerie traditionnelle [suisse, forcément suisse] pour son esthétique, ses finitions et sa qualité de fabrication. L'idée est de suggérer que cette iWatch sera le pendant marketing de ce que Vertu a pu être sur le marché du téléphone. Bref, cette iWatch consolidera le statut d'Apple en l'intronisant comme « horloger de luxe ».
 
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◉◉◉◉ On voit d'emblée naître la future segmentation de ce marché des montres connectées, avec un étagement précis entre les smartwatches purement basiques et fonctionnelles (dans le goût actuel de l'offre Samsung), les smartwatches plus fashion (tendance Google) et les smartwatches de luxe (style possiblement choisi par Apple). On ne déduira que le « théorème de Biver » tient la route et qu'il ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre la mutation en cours, mais qu'il n'est en rien prédictif du sort qui sera fait aux montres traditionnelles suisses dans cette grande carpo-révolution (« révolution du poignet »). Croire à la supériorité naturelle de ces montres classiques comme on a cru, hier, à l'horlogerie crisis proof ou, avant-hier, au savoir-faire mécanique comme grigri protecteur contre le quartz, c'est se bercer de dangereuses illusions. Dans cette bataille du poignet, l'enjeu est territorial et topographique autant que sociétal : personne n'en veut aux montres suisses, c'est seulement la place au poignet qui est visée par l'offensive wearable.
 
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◉◉◉◉ Au bout du bras, il n'y aura pas de la place pour tout le monde, même si tout le monde aura dans un avenir proche sa smartwatch, future prothèse numérique encore plus indispensable que le sont les téléphones et les smartphones aujourd'hui. On portera toujours des montres traditionnelles, comme on porte toujours des cravates et des costumes, mais de façon beaucoup plus aléatoire et informelle. Ce qui aura un impact inévitable sur les quantités vendues, donc les quantités produites, et sur toute l'économie actuelle de la branche, dans le bas de gamme comme dans l'entrée de gamme. Demain, une nouvelle collection de Rolex Oysterquartz connectées ? Ce n'est pas forcément un poisson d'avril, cette #Oyster qui nous rappellerait le temps du premier et du seul mouvement à quartz qui ait jamais mérité le qualificatif « de luxe » – celui du calibre 5055 de Rolex, logé à l'époque dans la réf. 17000 (Datejust) et la réf. 19018 (Day-Date), dont le superbe boîtier dessiné par Jean-Claude Gueit en 1970, dans un style plat et anglé à bracelet intégré qui inspirera beaucoup Gérald Genta pour sa Royal Oak de 1972...
 
◉◉◉◉ C'est pourquoi il est indispensable de renouveler en profondeur l'imaginaire horloger et de réenchanter la montre, pour redonner aux nouvelles générations de bonnes raisons de s'outiller en objets de parure techniquement obsolètes, mais sémiologiquement si indispensables (richesse de signes, de sens et de valeur ajoutée socio-culturelle). L'équation de la survie des montres suisses passe donc par l'intégration dans le raisonnement du « théorème de Biver », mais à condition de lui additionner quelques fonctions dérivées supplémentaires, dont une forte dose d'intelligence stratégique et de créativité marketing. Le poids culturel du tabou sur le quartz devient ici incapacitant (vidéo ci-dessous). Nier le danger ou lui tourner le dos n'est jamais le meilleur moyen de l'affronter avec toutes les chances de son côté...
 
 
 
 
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