FESTINA TRADE SHOW 2019 (accès libre)
Sur les bords du Tage, pourquoi Miguel Rodriguez souriait-il aux années 2020 ?
2019 s’annonce comme une grande année pour le groupe Festina, qui vient de procéder à trois opérations stratégiques : le rachat de Kronaby, le lancement d’une collection « Festina Swiss Made » et la sortie des premières séries industrielles du mouvement Newton, qu’on verra sur certaines marques exposées à Baselworld…
Le premier avantage des « mini-Baselworld » pratiqués par ceux qui ont déserté le rendez-vous de Bâle, c’est la localisation, forcément plus agréable que les bords du Rhin au mois de mars (même quand il fait beau), d’autant que ces salons dissidents sont généralement organisés dans des hôtels autrement plus amusants à vivre que les halles bétonnées de la Messe Basel. Le second avantage, c’est la consistance du message délivré, sans les échos parasites de la concurrence : « Reçu cinq sur cinq », comme disent les radiographistes.
Cette année, après Barcelone en 2018, le groupe Festina avait donc choisi Lisbonne, histoire de rester dans la péninsule ibérique après l’édition 2018 qui se tenait à Barcelone, où se trouve le siège social du groupe et surtout sa plateforme logistique ultra-moderne. Lisbonne, c’est aujourd’hui la capitale la plus hype de l’Europe et c’est la plus révolutionnée par le néo-nomadisme des Européens qui s’y pressent comme par la frénésie touristique des non-Européens qui s’y bousculent. Ceci pour expliquer que la direction de Festina ne perd pas une occasion de s’affirmer dans les tendances d’une année qui s’annonce décisive pour un groupe fondé en 1984 par Miguel Rodriguez, riche aujourd’hui de cinq marques (Festina, Lotus, Calypso, Jaguar et Candino, mais aussi Lotus Style et Lotis Silver pour les bijoux), sans parler des joyaux de la cassette personnelle de l’actionnaire (Perrelet et Leroy). On peut estimer que la marque vend chaque année cinq millions de montres, avec une distribution internationale dans 90 pays sur les cinq continents (sept filiales : France, Allemagne, Italie, Benelux, Suisse, Tchéquie-Pologne et Chili). Le tout à des prix accessibles qui s’étagent à peu près entre 50 euros et 2 000 euros, avec une moyenne sous les 500 euros, mais des pointes nettement supérieures selon les marques et les modèles…
Pour l’ensemble Festina, l’année 2019 sera celle d’une révolution technologique, d’une révolution culturelle et d’une révolution industrielle. Triple évolution qui peut doper l’activité du groupe et surtout lui faire prendre une option stratégique très opportune sur l’avenir de l’horlogerie…
• La révolution technologique sera introduite par le rachat de la marque suédoise de montres connectées Kronaby (révélation et explication Business Montres du 11 mars), qui va adjoindre de très sérieuses compétences [à peu près introuvables en Suisse] aux équipe de Soprod, bras industriel suisse du groupe Festina, dédiée aux nouvelles technologies comme aux belles mécaniques. Kronaby, ce ne sont pas seulement des montres, mais c’est surtout une capacité d’innovation dans le cloud marketing et les applications de nouvelle génération. Certains spécialistes considèrent que Kronaby est même technologiquement plus en avance que les géants californiens ou coréens de l’électronique. L’intégration de Kronaby dans le groupe sera d’autant plus aisée que la marque était déjà en relations commerciales avec Soprod-Festina et que Miguel Rodriguez a décidé de maintenir les Suédois dans leur cluster high-tech de Malmö. Le pari de Festina est audacieux, mais c’est un moyen de griller la politesse aux grands groupes qui auraient dû racheter Kronaby à la place de Miguel Rodriguez et qui ont laissé passer cette « pépite » sans la repérer dans leur tamis d’orpaillage…
• La révolution culturelle, c’est le basculement identitaire vers une collection Swiss Made chez Festina, pas absolument inédite [il y avait déjà eu quelques tentatives dans les années 1980], mais très révélatrice des mutations de la marque Festina, qui entend se repositionner dans une nouvelle maturité horlogère, avec des montres pas forcément plus sages, mais nettement plus statutaires, et avec des prix à peine épaissis, mais assez pour alourdir le poids spécifique du groupe. On devrait assister, à terme, à une polarisation de l’offre Festina autour d’un nouveau sport chic « populaire » et accessible (cible : les 30-50 ans, mais avec des prix qui ne dépasseront pas les 150 euros pour des montres électroniques Swiss Made), Lotus recevant pour mission de protéger la marque « par le bas » auprès d’une population plus jeune. Pour cette nouvelle cible de Festina, le Swiss Made s’imposait comme référence internationale de qualité, mais les détails horlogers ont été soignés pour dégager une valeur perçue à l’orée du luxe (habillage, écrin, communication : excellente vidéo ci-dessous avec le comédien Gerard Butler, qui vous donne un bon conseil – celui de porter une montre !). Si elle n’est aujourd’hui présentée que comme une collection « capsule », cette évolution vers le Swiss Made semble cependant relever de l’inflexion stratégique majeure et durable…
• La révolution industrielle, c’est la mise au point [enfin !] et le lancement [très attendu depuis des années] du fameux mouvement mécanique Newton, qui est aujourd’hui une alternative sérieuse et originale aux mouvements automatiques que le Swatch Group ne veut plus livrer aux marques tierces. Le calibre Newton – dont l’ascendance lointaine remonte aux mouvements France Ébauches, qui étaient ceux dont descendent les mouvements ETA du Swatch Group [on reste donc dans la même lignée] – s’annonce comme Swiss Made, fiabilisé, accessible, totalement autonome par rapport au Swatch Group (il dispose de son propre échappement) et désormais livrable en quantités presque « industrielles » [une première série de 50 000 pièces est annoncée d’ici à l’automne]. On en verra quelques exemplaires logés dans certaines marques qui exposent à Baselworld, notamment Patton [qui refait son apparition au Watch Incubator]. Ce calibre Newton sera donc la mâchoire mécanique d’une tenaille Festina dont l’autre mâchoire est électronique (Kronaby)…
Le groupe Festina dispose donc désormais de deux mâchoires pour prendre en tenaille ses concurrents : une mâchoire électronique connectée avec Kronaby et une mâchoire mécanique de nouvelle génération avec Newton, en plus d’une identité Swiss Made appelée à être de plus en plus marquée. Sur les bords du Tage, Miguel Rodriguez – qui a personnellement suractivé l’opération de rachat de Kronaby [alors qu’il ne croyait pas aux montres connectées voici trois ou quatre ans !] – avait donc d’excellentes raisons d’avoir le moral au beau fixe : durement étrillé par la crise dans les années 2010, son groupe se présente en ordre de bataille, avec un très large potentiel de croissance et avec de nouveaux atouts pour affronter les années 2020. Festina Lente : « Hâte-toi lentement »…