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LE SNIPER DU LUNDI (accès libre)
Comment Miguel Rodriguez a bien manœuvré avec Kronaby et pourquoi ça va avantager Festina

Dernière ligne droite avec Baselworld 2019, qui ouvre son unique halle horlogère (Hall 1) dans une grosse semaine, mais on peut quand même s’intéresser au reflux international des touristes chinoises, au retour électrique d’un agitateur horloger, au procès des « diamants sales » et aux chaises musicales du lundi…


LE GROUPE FESTINA 

A-T-IL VRAIMENT RÉALISÉ 

UNE BONNE OPÉRATION 

AVEC KRONABY ? (éditorial)

❑❑❑❑ EN RÉVÉLANT DÈS VENDREDI LE RACHAT de la marque suédoise de montres connectées Kronaby par le groupe Festina (Business Montres du 8 mars : précisons aux lecteurs qui ne l’ont pas compris que l’illustration – ci-dessous – était un drapeau suédois frappé des armes de l’Espagne, nationalité du groupe Festina, et des armes de la Suisse, pays du pôle industriel Swiss Made du groupe). Il était difficile dans cette alerte d’entrer dans les détails de ce qui paraît bien être un « coup fumant » de Miguel Rodriguez, le propriétaire du groupe Festina, qui nous prouve là que la clairvoyance n’est pas une affaire de génération, mais avant tout un état d’esprit.

Pourquoi parler de « coup fumant » à propos de ce nouvel épisode de la grande partie de Monopoly industriel qui se joue dans les coulisses de l’horlogerie suisse ? Disons, d’emblée, que tout peut évoluer par la suite, mais, pour l’instant, on peut repérer dans ce rachat impromptu et difficilement prévisible différents ingrédients qu’une excellente opération pour le groupe Festina/Soprod. Ceci pour plusieurs raisons :

• Malmö est la Silicon Valley scandinave, avec une concentration d’ingénieurs et de professionnels des hautes technologies comparable non seulement à celle du cluster EPFL/ETHZ en Suisse, mais aussi [toutes proportions gardées] de la Californie. Avec un excellent réseau d’industries connexes et de start-ups qui opèrent dans les hautes technologies, c’est un gisement de compétences unique en Europe. Comme nous l’écrivions, le groupe Festina et Soprod s’offrent avec Kronaby (dont le siège est à Malmö) un « balcon très bien placé » sur ce hot spot de la connexion, en plus de tous les logiciels et de toutes les applications déjà développées par les équipes de R&D de Kronaby…

• L’équipe commerciale de Kronaby [marque qui n’existe que depuis 2017] a déjà ouvert à sa distribution une trentaine de pays. Ce qui est plutôt bon signe et, surtout, ce qui prouve le talent de son équipe de ventes, emmenée jusqu’ici par Jonas Wikström (ex-International Luxury Group, ex-Gant, ex-Swatch) et par Johan Widner (ex-ILG), qui a récemment quitté Kronaby pour TID Watches (une autre marque horlogère suédoise). Grâce à cette équipe commerciale, Kronaby vendait déjà plus de montres en Suède que Tissot. Avec le carnet d’adresses de Kronaby, qui ne recoupe que marginalement celui des équipes commerciales [assez modestes !] du groupe Festina dans le nord de l’Europe, Miguel Rodriguez se dote également d’une clé d’accès au marché scandinave : ses marques lui disent déjà merci. De même, le groupe Festina va pouvoir faire bénéficier Kronaby de sa dynamique sur les marchés forts du sud de l’Europe. Comme disent les managers dans le vent, c’est du « win-win »…

• Pour le pôle industriel Soprod, qui a déjà un pied [et un grand] sur le marché des composants pour les montres connectées, l’apport de Kronaby n’a pas de prix, non seulement parce que Soprod va trouver là une source inespérée en solutions logicielles et matérielles, mais surtout qu’on peut voir se dessiner de nouvelles applications Swiss Made dans le domaine de la carpo-connexion [marché où opère déjà, non sans succès, MMT, qui alimente le groupe Frederique Constant, Mondaine et d’autres marques]. L’initiative de Festina va relancer la compétition sur ce terrain…

• Il y a enfin tout l’enjeu du « Big Data », même si Miguel Rodriguez n’a pas encore forcément assimilé tous les atouts qu’il pourrait tirer du rachat de Kronaby. Le vrai enjeu de la carpo-révolution, c’est moins l’occupation territoriale des poignets [c’était la première bataille, définitivement perdu par l’industrie suisse] que, désormais, la maîtrise des informations (data) récoltées par les montres elles-mêmes. Avec un cloud comme celui de Kronaby, la marque sait exactement, en temps réel, qui a acheté quoi et qui fait quoi avec sa montre, de telle ou telle référence, en plus de savoir quand la montre est activée et avec quelles applications. Big Brother n’est pas très loin, mais ces procédures, si elles étaient maîtrisées par des horlogers traditionnels, leur permettraient de gagner en réactivité comme en efficacité commerciale, en adaptant just in time leur offre commerciale [mais aussi leur production] à la demande réelle des marchés, n’importe où dans le monde…

Sans entrer davantage dans les détails, on comprend tout de suite tous les avantages que le groupe Festina/Soprod peut tirer de ce partenariat stratégique avec Kronaby, qui va de son côté commencer à « apprendre l’horlogerie » – ce qui n’était pas forcément le cas avec sa précédente équipe dirigeante, celle d’avant la cessation de paiements (relire à ce sujet notre article du 11 février sur les facteurs de ce naufrage commercial). Mine de rien, Miguel Rodriguez aura également renforcé sa crédibilité « industrielle » et rendu encore plus consistante la force de proposition du Swiss Made dans la carpo-connexion, en ouvrant la porte à de nouvelles initiatives dans ce domaine.

À quelques jours de l’ouverture, à Lisbonne, de la convention annuelle du groupe [qui a décidé de renoncer à son immense stand circulaire de Baselworld], ce rachat est plutôt de bon augure, sachant qu’il y a encore plusieurs autres bonnes surprises dans les tuyaux : on parle ainsi du (re)lancement d’une marque un peu oubliée et de quelques autres gracieusetés horlogères. On vous laisse réfléchir là-dessus…

LA BULLE CHINOISE 

VA-T-ELLE SE DÉGONFLER 

ENCORE PLUS VITE ?

❑❑❑❑ ON SE DEMANDE OÙ SONT PASSÉS LES TOURISTES CHINOIS : tout le monde les cherche partout où les marques de luxe les piégeaient, à Hong Kong, dans les casinos de Macao, sur les trottoirs de la Ve Avenue ou autour de la colonne Vendôme. Les pigeons chinois se sont envolés, non seulement parce que l’économie chinoise commence à traîner la patte [moins de commandes occidentales, moins de profits, moins de gras et moins de dépenses ostentatoires], mais aussi parce que, d’une part, le yuan n’est plus ce qu’il était une fois converti en euros ou en dollars, et, d’autre part, parce que le pouvoir central s’est mêlé de « stimuler la consommation intérieure ». Avec ces pigeons asiatiques, les profits faciles se sont évaporés – même si les marques de luxe font des effets de mâchoires pour réaffirmer que tout va bien et que la Chine marche très fort, ce dont tout le monde doute à présent qu’on a remarqué à quel point les dépenses moyennes de ces « touristes » avaient baissé à new York comme à Hong Kong…

Un des indices qui tendraient à prouver que la « crise » est plus structurelle que conjoncturelle sera à chercher dans la baisse tendancielle des dépenses en ligne, strictement parallèle à la baisse des dépenses dans les boutiques de luxe qui flanquent tous les casinos de Hong Kong. Signe des temps : les dépenses anticipées pendant les si prometteuses croisières aménagées pour les globe shoppers asiatiques par les grandes compagnies spécialisées sont elles aussi en fort ralentissement – alors même que ces croisiéristes ont dépensé des fortunes pour « adapter » leur offre (cuisine, soins médicaux, etc.) à cette clientèle…

Bien sûr, on voit toujours débarquer au Japon, à New York ou en Corée du Sud des touristes chargés de valises vides qu’ils remportent bourrées de produits de luxe (cosmétiques, maroquinerie, mais quasiment plus de montres). Manque de chance pour tous ceux qui ont ouvert des boutiques un peu partout pour capter cette clientèle : le gouvernement chinois a décidé de baisser les prix sur les biens de luxe importés [histoire de réduire le différentiel avec les prix hors taxes pratiqués hors de Chine et donc d’inciter les Chinois à ne plus acheter à l’étranger]. Parallèlement, le régime de Xi Jinping tente de sévir contre un marché gris intérieur, le fameux daigou (produits de luxe importés et revendus en Chine continentale), qu’il ne maîtrise pas et qu’il voudrait bien contrôler. D’où la tentation pour les marques occidentales [notamment américaines, pour lesquelles la Chine est un eldorado qu’elles négligeaient et où elles concurrencent les marques européennes] d’ouvrir à tout va des boutiques en Chine intérieure…

Bref, les directions de marques de luxe – et tout particulièrement les états-horlogers les plus exposés au risque asiatique – ne peuvent plus compter sur cette manne chinoise pour faire leurs fins de mois. On n’est pas obligé de croire les experts et les analystes qui sont prêts à jurer qu’il n’y a « aucun ralentissement en Chine » [les mêmes juraient la même chose en 2015-2016, alors que les incertitudes macro-économiques et géopolitiques internationales n’étaient pas aussi dramatiques]. La volatilité est extrême, à Tokyo (où les grands magasins ont vu leurs ventes s’effondrer en janvier) comme à Séoul ou même à Paris. On vous laisse réfléchir là-dessus…

❑❑❑❑ MAIS CE N’EST PAS MIEUX POUR LA ZONE EURO : dans un contexte de ralentissement économique international de plus en plus net, les économies de la zone euro semblent à leur tour flancher, avec la première contraction du secteur manufacturier depuis juin 2013 (étude Markit). Les prochaines élections européennes sont une autre source d’inquiétude et alimentent des « anticipations négatives » [selon la langue de bois des économistes]. Comme l’avouait récemment Philippe Waechter (directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management) dans Atlantico dans un article au titre révélateur « La tempête économique n’arrive plus : elle est là ! »: « Je ne crois pas au retour rapide d’une “mondialisation heureuse”. Celle-ci s’est mise en place lorsque l’allocation des ressources s’est faite de façon efficace. Le manufacturier pour les émergents (en Asie notamment) et les services dans les pays développés. La mondialisation était heureuse car tout le monde était gagnant. Les émergents qui ont vu leur niveau de vie s’élever rapidement. Les pays développés qui se sont spécialisés dans les services et ont bénéficié́ de prix très bas dans le secteur manufacturier. Cet état de grâce est terminé́. Les pays développés regrettent d’avoir laissé́ filer leur industrie car c’était une source forte de création de valeur et de dynamisme. Les services sont désormais concurrencés par les pays émergents. Et surtout l’avantage technologique des pays développés durant cette période de mondialisation heureuse n’est plus aussi marqué. » Franchement, à part les responsables de l’établissement horloger, qui croit encore à une « reprise » horlogère – mais ces responsables eux-mêmes y croient-ils seulement et ne font-ils pas semblant pour ne pas désespérer les watch valleys ? On vous laisse réfléchir là-dessus…

QUELQUES COUPS DE PROJECTEUR 

SUR L’ACTUALITÉ DES MONTRES,

EN BREF, EN VRAC ET EN TOUTE LIBERTÉ…

❑❑❑❑ LES CHAISES MUSICALES DU LUNDI : Dimitra Darmanger, qui dirigerait jusqu’au dernier SIHH le marketing et la communication de la manufacture Bovet 1822, a tiré sa révérence. On la retrouvera à la direction de la communication des manufactures Angelus et Arnold & Son (la Chaux-de-Fonds), des marques de haute horlogerie Swiss Made du groupe Citizen qui seront présentes dans le Hall 1.1 de Baselworld la semaine prochaine…

❑❑❑❑ LE RETOUR « ÉLECTRIQUE » DE JEAN-FRANÇOIS RUCHONNET : pas question de perdre « J.F. » des yeux une seule seconde ! On le croit passé par ici et il est déjà repassé par là. Il opérait récemment dans le private label, non dans un certain succès sur les mers, et dans le vélo électrique. Le voici à présent au volant des voitures électriques DeVinci, récemment présentées au Salon de l’Auto de Genève : de fascinantes « répliques » de légendes automobiles dans le style Bugatti, mais en version purement électrique, avec un luxe de détails et de finitions dignes de la haute horlogerie de luxe. Le distributeur pour la Suisse de ces « jouets de garçon » (tarifiés entre 50 000 CHF et 100 000 CHF) sera donc Jean-François Ruchonnet, qui a conçu pour ces néo-bolides athermiques une intéressante planche de bord « horlogère ». Le père de la Cabestan serait même, dit-on, sur de nouveaux projets horlogers, mais nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler…

❑❑❑❑ LA MONTRE FÉMININE DONT ON PARLERA LE PLUS À BASELWORLD ? On peut déjà prendre les paris qu’on la trouvera au rez-de-chaussée du Hall 1 de Baselworld, à condition de prendre sa boussole pour ne pas se perdre entre l’entrée nord et l’entrée sud. Still ou sparkling ? On vous en dira plus demain après-midi…

❑❑❑❑ LA TRADITIONNELLE SÉANCE DE RATTRAPAGE POUR BIEN COMMENCER LA SEMAINE : qu’est-ce qu’il ne fallait surtout pas manquer dans les actualités horlogères d’une semaine à deux semaines de Baselworld. C’était ici et nulle part ailleurs : une compilation (Business Montres du 10 mars) de tout ce qui a été repéré ces jours-ci, comme toutes les semaines, avec toutes les informations qui comptent pour la communauté horlogère, à propos des hommes, des montres et des marques. Des actualités publiées dans notre « zéro bullshit zone » – pour que chacun puisse mieux tirer son épingle du jeu sur le tapis vert de l’économie des montres. Une rétrospective rapide, en accès libre, pour relire tout ce qui a été publié en vrac, en bref et en toute originalité !

❑❑❑❑ LES DIAMANTS QUI PUENT (1) : réouverture cette semaine, devant la cour d’appel de Gand (Belgique) du procès des « diamants sales » – une très sale affaire qui implique les diamantaires anversois d’Omega Diamonds, entreprise qu’on avait un temps considéré comme proche, voire co-actionnaire de la maison De Grisogono. Un premier procès avait eu lieu en 2013, avec un compromis accepté par Omega Diamonds autour de 160 millions d’euros versés à l’administration fiscale belge (Business Montres du 12 mars 2013 , qui signalait que ce n’était pas cher pour des actionnaires qui avaient payé une centaine de millions d’euros pour racheter De Grisogono en 2012, et Business Montres du 5 septembre 2013, qui expliquait pourquoi les douaniers belges venaient de décider de refuser cette transaction pénale et de poursuivre à nouveau Omega Diamonds). Enjeu de ce nouveau procès : 2,28 milliards d’euros de sommes à recouvrir en plus d’une amende de 2,29 milliards d’euros. Soit une affaire de fraude fiscale à 4,6 milliards d’euros, qui éclabousse à la fois la place diamantaire d’Anvers, qui éclaire d’un jour criminel les « routes du diamant » en provenance d’Afrique [notamment d’Angola et du Congo, mais pas que] et qui remue beaucoup de boue aux remugles fétides autour des combines économiques des co-actionnaires supposés de De Grisogono [lesquels ont tout faire pour nous faire admettre qu’ils n’étaient pour rien dans ce rachat, dont Isabel Dos Santos, le fille de l’ex-président de l’Angola, sera la seule responsable – dont acte]. Sauf que…

❑❑❑❑ LES DIAMANTS QUI PUENT (1) : sauf que l’enquête des douaniers belges tendrait à prouver que les diamants étaient achetés en Angola par des sociétés plus ou moins liées à Omega Diamonds et Isabel Dos Santos, avant de transiter par Dubaï, où ils bénéficiaient de faux certificats de Kimberley qui les « lavaient » de tout soupçon [grâce à des sociétés liées à Omega Diamonds], avant de repartir vers l’Afrique du Sud et de revenir en Belgique, où le fisc ne pouvait repérer que les deux-tiers des profits potentiels. Le tout sur fond de surfacturation et d’argent offshore pas propre du tout. Ce nouveau procès devant la cour d’appel de Gand ne tombe pas à pic pour la maison De Grisogono, qui a récemment été quittée son fondateur et directeur artistique Fawaz Gruosi…

❑❑❑❑ LES BONNES RÉPONSES À NOTRE 26e TEST #HORLOMANIA POUR LES NULS : si bien répondu que ça à nos cinq questions sur l’année 1987 ? Les bonnes réponses à notre vingt-sixième séquence Horlomania pour les nuls #26 (Business Montres du 10 mars) étaient : A 26 : Japonais du groupe Seiko •••• B 26 : Chanel •••• C 26 : Flik Flak (montres pour enfants) et Pierre Balmain (griffe de couture) •••• D 26 : Swatch Twin Phone •••• E 26 : Orologi, créé par Augusto Veroni (Italie). Avec, en prime, le hit-parade des chansons qu’on écoutait en découvrant les montres de l’année 1987…


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