GÉOPOLITIQUE HORLOGÈRE (accès libre)
Un tourbillon indien au GPHG
La maison Titan présente sa première innovation technique brevetable à la lecture de son tourbillon Jalsa : une loupe en saphir intégrée au contrepoids de l'aiguille des minutes. Avec Jalsa, son second tourbillon, mais le tout premier à s’inscrire au Grand Prix d'Horlogerie de Genève, la manufacture indienne signe une première mondiale que l'industrie suisse a eu tort de ne pas voir venir…

Cette loupe en saphir intégrée au contrepoids de l'aiguille des minutes, tourne inlassablement sur le cadran pour révéler, heure après heure, les détails minutieux de sa peinture à la main (présentation complète : Business Montres du 11 août). Le tourbillon volant 7TH2, développé par la division horlogère de Titan, forte de la proximité d’experts de l’industrie horlogère suisse, révèle ses spécifications d’usage : 144 composants, 14 rubis, une fréquence de 4 Hz délivrant 28 800 alternances par heure pour une réserve de marche de 36 heures. Mais c'est encore son boîtier tripartite qui a le plus surpris : d’or rose 18 carats, il enserre un anneau d'agate rouge dont le lustre profond évoque une densité presque liquide, et des ponts de mouvement tout aussi flamboyants, visibles à travers son fond saphir transparent. Une démonstration de maîtrise technique qui intrigue jusque dans les ateliers du Jura.
Depuis Bangalore, l’ambition de Titan ne se mesure pourtant pas, encore, à l'aune de la conquête mondiale. Ici, la manufacture joue plus localement. Sur le marché indien en pleine expansion, les tourbillons suisses se situent entre 85 000 et 130 000 francs suisses, positionnés comme des objets de prestige ultime pour une clientèle fortunée en quête de reconnaissance internationale. Le tourbillon Jalsa, à moins de 40 000 francs suisses, ne cherche pas à rivaliser avec Jaeger-LeCoultre ou Vacheron Constantin en Europe. Il vise juste à déprécier ces mêmes marques sur le marché domestique en arborant fièrement, l’estampille du GPHG. Car, dans l'esprit des collectionneurs indiens, cette validation genevoise vaut tous les arguments commerciaux. Pourquoi payer le double pour un tourbillon suisse quand une manufacture locale, adoubée par Genève, propose une alternative technique équivalente enrobée d'un patrimoine culturel authentiquement indien ? La stratégie est redoutable d'efficacité…
Et puis il y a eu ce choix surprenant lors de son lancement, iconoclaste jusqu'à l'audace : confier l'image de Jalsa à l’égérie Sushmita Sen, Miss Univers 1994, bientôt 50 ans, actrice bollywoodienne, incarnation de la grâce féminine indienne. Dans l'histoire de la Haute Horlogerie, ne sont-elles pas peu nombreuses ces marques à oser associer un tourbillon à une ambassadrice féminine ? Les codes sont gravés dans le marbre depuis des décennies : pour vendre une complication mécanique, on choisit un pilote de course, un explorateur, un navigateur au long cours ; on tolère une musicienne ou une sportive. Des hommes, pour rassurer une clientèle masculine sur l’excellence assumée de son acquisition. Titan a brisé ce consensus d'un geste. En choisissant une reine de beauté, la marque indienne réécrit les règles du jeu et assume une approche de culture cohérente : en Inde, la beauté féminine incarne le raffinement suprême, là où l'Occident horloger cultive encore l'imagerie de la conquête masculine. Une transgression qui ne passera pas inaperçue des commentaires genevois.
Le cadre choisi pour dévoiler Jalsa achève de planter le décor de cette révolution douce et silencieuse : le Taj Rambagh Palace de Jaipur, ancien palais royal érigé en 1835, transformé en écrin de légende, où défilèrent les têtes couronnées du monde entier. Dans ses jardins moghols, où évoluent en liberté plus de 200 paons, 120 invités de la presse internationale ont assisté à une mise en scène d'un luxe assumé, théâtral, maharajesque, pour un dîner tel que nous en vivons ici lors de Watches & Wonders. Avec une subtile réinterprétation de saris de soie côtoyant les sherwanis brodés d'or, un menu indien façon assiette gastronomique, accompagné de musiciens traditionnels du Rajasthan, dans un parfum d'encens aux effluves de rose de Damas.Cette soirée d'apparat célébrait les 225 ans du Hawa Mahal, cette architecture monumentale aux 953 fenêtres inspirant directement le cadran peint de Jalsa par Padma Shri Shakir Ali.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un luxe authentiquement indien, socialement observable, qui ne copie plus, n'imite plus, mais impose ses codes, sa gestuelle, son esthétique. Jalsa n'est pas une montre indienne qui rêve d'être suisse, pas du tout. C'est une montre indienne qui assume son indianité et invite le monde à la reconnaître, en commençant par la Suisse.
Florence Jacquinot
COORDINATION ÉDITORIALE : JACQUES PONS