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SWATCH GROUP : Une bonne montre et un bon buffet font les bons actionnaires – ceux qui ne posent pas les bonnes questions...

Et pourtant, il y en aurait des questions à se poser sur le rapport d'activités 2012 du Swatch Group ! Contestataires de tous les pays, passez votre chemin ! Compte-rendu d'une assemblée générale ordinaire des actionnaires du Swatch Group, en se posant cette fois quelques vraies questions...   ▶▶▶ ÉVITONS LES QUESTIONS QUI FÂCHENTPas de souci pour des stocks qui font la moitié du chiffre …


Et pourtant, il y en aurait des questions à se poser sur le rapport d'activités 2012 du Swatch Group ! Contestataires de tous les pays, passez votre chemin ! Compte-rendu d'une assemblée générale ordinaire des actionnaires du Swatch Group, en se posant cette fois quelques vraies questions... 

 
 ÉVITONS LES QUESTIONS QUI FÂCHENT
Pas de souci pour des stocks
qui font la moitié du chiffre d'affaires...
 
◉◉ C'est l'attraction du jour, un des seuls spectacles biennois qui soit capable de faire confluer vers le Palais des Congrès de Bienne une foule de respectables actionnaires des deux sexes, sous une mer de parapluies incapables de contenir la pluie qui défigure ce printemps 2013. C'est bien à l'assemblée générale du Swatch Group – de « leur » Swatch Group, celui où ils ont placé une partie de leurs économies – qu'ils se rendent, et même qu'ils se pressent, dans une salle si vide comblée qu'elle déborde sur une immense tente intérieure qui sera très vite remplie, elle aussi. Cheveux plus blancs que gris, dans un style vestimentaire plus gris que blanc [sans doute un effet de la météo], ils ont l'allure de tous ces retraités européens du baby boom qui n'en finissent plus de profiter d'une retraite bien préparée du temps des Trente Glorieuses...
 
◉◉ Le rituel est bien rôdé. Arriver tôt pour avoir une place assise. Se montrer du doigt les responsables du Swatch Group qui passent par la salle pour venir se claquer la bise au premier rang. Admirer la montre Swatch – belle pièce, bien rouge – qui est remise à chaque actionnaire en même temps que le rapport d'activités, en prenant soin de la laisser dans son emballage d'origine puisqu'il s'agit d'une série limitée spécialement préparée pour cette assemblée générale [ce sera longuement souligné par les dirigeants du groupe] et qu'il est bien connu que de telles séries limitées prennent beaucoup de valeur dans le temps – ce dont personne ne doute ici, sauf quelques experts probablement aigris. Patienter pendant les discours en se préparant pour le rush final vers les buffets, une heure et demie pile après l'ouverture de débats qui n'auront pas lieu : ce n'est quand même pas parce qu'on vous donne la parole qu'il faut la prendre ! Se précipiter alors sur le buffet – les « panthères grises » se font redoutables – pour profiter jusqu'au bout de la fête : après tout, pour une action qui se négocie autour de 450 francs suisses, la rente consiste à empocher une dizaine de francs de dividendes annuels, en plus d'une montre neuve tous les printemps et d'un généreux buffet où on retrouve tous ses copains. Un vrai placement de père de famille !
 
◉◉ Nick Hayek, qui est arrivé avec une demi-heure d'avance, le sait bien. C'est le temps qu'il lui faut pour bien capter les regards, histoire de sentir l'ambiance, pour serrer les mains et pour biser les dames. S'il se montre, ce n'est pas un problème d'égo, ni une envie de briller, juste le plaisir de dompter la salle et de dominer le sujet. Bien ajusté dans une de ces vestes-blousons en toile qu'il affectionne, les manches retroussées, il a le sourire félin et la mine réjouie. L'assistance déjà frémissante d'impatience avant la levée du rideau lui prouve que tout va bien se passer, sans le moindre grain de sable dans une mécanique d'assemblée qui tourne plus rond que n'importe laquelle de ses montres. Du coup, on peut s'offrir quelques fantaisies...
 
◉◉ Il faut toujours une pointe de piment Swatch pour mettre de l'ambiance. Business Montres (7 mars) a déjà raconté la provocation (« positive », nous jurera Nayla Hayek) un peu potache d'un rapport d'activités écrit en Schwyzerdütsch (dialecte suisse alémanique), avec une parodie des blasons cantonaux (ci-dessus), Swatch se définissant non comme un Etat, mais comme un état d'esprit. Histoire aussi d'enfoncer le clou d'une suissitude si inlassablement réaffirmée qu'on finit par se demander si on n'en fait pas trop et s'il n'y aurait pas un élément de doute : après tout, on se bat toujours pour ce qu'on a pas ! Ce Schwyzerdütsch sera le sympathique running gag de cette assemblée générale, Nayla Hayek présentant même son rapport dans cette langue vernaculaire, aux grands applaudissements d'une moitié de la salle, l'autre moitié applaudissant la présentation des comptes en français. Ainsi, il y en avait pour les 2 650 actionnaires présents. Biel ou Bienne : c'est l'éternel divorce linguistique d'une ville-frontière. 
 
◉◉ Dans ces conditions d'assemblée, pourquoi jouer les kamikzes en posant des questions que personne ne peut, ni ne veut, entendre et qui ne feraient que retarder inutilement la course vers le buffet ? On procède par acclamations et à main levée, avec un [un seul !] opposant quasi-institutionnel, qui joue les rebelles de service, sans mettre d'ailleurs la moindre conviction dans son rôle [« Voilà, j'ai fait mon devoir », s'excuse-t-il après avoir dû s'exprimer au nom de ses mandants] et sans même obtenir la moindre pause dans l'inexorable ceaucescuïsation d'une assemblée générale  où les bras approbateurs qui se lèvent par centaines disent le charisme hayekien ! « Ceaucescuïsation » : néologisme inspiré par Nicolas Ceaucescu, tyran communiste roumain renversé qui était encore, la veille de son exécution, le « Danube de la pensée » et l'« infaillible étoile polaire du destin national »...
 
 
◉◉ Il avait été question, voici quelques jours, d'une fronde initiée par une poignée d'investisseurs, qui réclamaient un peu plus de transparence dans la nomination des administrateurs et la fin d'un système de gouvernance trop ouvertement familial (Business Montres du 27 mai). Perspective qui a rempli la tribune presse de l'assemblée générale, sans pour autant perturber son déroulement. Il est vrai que les gribouilles contestaires allaient droit dans le mur en se contentant d'émettre quelques timides remontrances, trois jours avant l'assemblée générale et dans des termes si choisis pour ne pas fâcher que les actionnaires motivés par le triple appât du dividence, de la montre et du buffet [« Ventre affamé n'a pas d'oreilles »] n'y ont rien compris. À se demander, même, si cette pudeur des récalcitrants n'était pas conseillée en sous-main par un Nick Hayek trop malin pour ne pas comprendre quelle pub il pouvait en tirer...
 
◉◉◉◉ Bref, 75 minutes plus tard, la messe était dite, les buffets déjà partiellement ravagés, la direction du Swatch Group raffermie [alors même que l'action était en baisse à la bourse de Zürich !] et les bonnes questions soigneusement balayées sous le tapis. Il aurait vraiment fallu être un actionnaire sans coeur pour s'inquiéter de l'hallucinant niveau des stocks constatés dans ce rapport d'activités : 3,5 milliards de CHF pour 7,3 milliards de CHF de chiffre d'affaires : c'est plus de la moitié de l'activité bloquée dans les magasins (1,7 milliard de pièces finies) et dans les entrepôts (1,7 milliard de pièces « semi-finies »). Ce stock n'est amorti qu'à hauteur de 10 % dans ces comptes – ce qui est très généreux pour des montres qui restent, hormis pour le très haut de gamme, des produits périssables. Quelques pourcentages de plus dans cet amortissement de complaisance et on inverse quasiment les résultats de l'année : les auditeurs de PricewaterhouseCoopers sont des gens très polis et ils n'ont pas fait la moindre remarque à ce sujet...
 
◉◉◉◉ Ce surstockage hallucinant – il n'y a pas d'autre mot – est d'autant plus inquiétant qu'il procède manifestement d'un « bourrage des tiroirs »très intensif au premier semestre 2012 [quand Business Montres était le seul média à pointer du doigt l'imminence d'une nouvelle crise et les signaux alarmants en provenance de la Chine], suivi d'une correction insuffisante en fin d'année. Comme on sait que le coup de frein s'est prolongé depuis le début 2013, cet excès de stocks n'a pas pu se résorber et il pèsera sur les résultats de l'année prochaine, déjà impactés par le rachat (stratégiquement judicieux et justifié) de Harry Winston. Perspective qui peut expliquer la réaction défensive de la Bourse, mais aussi le fait que Nayla Hayek ait quasiment promis de ne pas faire aussi bien en 2013 qu'en 2012...
 
◉◉◉◉ Donc, pas de soucis pour des stocks à hauteur de la moitié du chiffre d'affaires ! Pas d'inquiétudes pour la surexposition en Asie (zone passablement dépressive) et la sous-exposition en Amérique du Nord (zone passablement et provisoirement redynamisée). Pas de problème pour tout le reste [nous y reviendrons ces jours-ci], ni pour la querelle avec Tiffany & Co, qui semble bien oubliée puisque la marque – assignée par le groupe en justice pour une ardoise de 3,8 milliards de dollars – s'offre une page du rapport d'activité (p. 41 : « Les produits au style sublime et reconnaissable entre tous ont rencontré un succès significatif sur tous les marchés où ils sont distribués » – ah bon ?). Bref, digérez en paix votre buffet (ci-dessous), chers actionnaires : Nayla, Nick et Marc Hayek s'occupent de tout, en plus en Schwyzerdütsch. C'est la nouvelle glocalisation dans le luxe industriel : « Penser global, parler local ». La prochaine fois, Bernard Arnault, natif de Roubaix, nous fera sa conférence de presse en picard et Johann Rupert nous régalera en afrikaans. Seiko produira ses rapports d'activité en ryukyu et le conseil d'administration d'Audemars Piguet se tiendra en dialecte combier...
 
 
 
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