> 


TOUT VA TRÈS BIEN : Les patrons de l’horlogerie ont un moral inoxydable et ils pensent que ça ira encore mieux l’année prochaine !

Etude annuelle du cabinet Deloitte sur l’horlogerie suisse : 65 % des patrons interrogés estiment positives les perspectives de la branche et ils pensent que la demande des pays émergents va se maintenir. Aucun danger majeur pour 2013 : « Tout va très bien, Madame la Marquise ! »  ▶▶▶ ÉTUDE DELOITTE 2013« Les dirigeants restent optimistes pour l’avenir du secteur »...  ◉◉◉◉ En juin et en juillet 2013, 53 cadres supérieurs de l’horlogerie suisse ont participé à une série d’entretiens individuels, croisés avec les …


Etude annuelle du cabinet Deloitte sur l’horlogerie suisse : 65 % des patrons interrogés estiment positives les perspectives de la branche et ils pensent que la demande des pays émergents va se maintenir. Aucun danger majeur pour 2013 : « Tout va très bien, Madame la Marquise ! »

 
 ÉTUDE DELOITTE 2013
« Les dirigeants restent optimistes pour l’avenir du secteur »...
 
◉◉ En juin et en juillet 2013, 53 cadres supérieurs de l’horlogerie suisse ont participé à une série d’entretiens individuels, croisés avec les résultats d’une enquête en ligne. Spectre des personnes interrogées : 28 participants faisaient partie d’une entreprise de composants, 17 d’une marque et 8 d’une « entreprise intervenant au sein de la chaîne de valeur » (notion qui recouvre les marques qui réalisent en interne une partie de leurs composants). Précision : la moitié des entreprises concernées commercialisent des montres d’un prix public supérieur à 5 000 CHF, l’autre moitié étant au-dessous de ce prix. Il semblerait que les trois-quarts de ces 25 marques soient indépendantes, les autres étant intégrées dans des groupes (soit environ 6 ou 7).
 
◉◉◉ Premier constat : vingt-cinq marques pour à peu près 350 maisons actives sur le marché du Swiss Made, c’est assez peu. Une douzaine pour les montres de prestige (+ 5000 CHF), c’est important, mais s’agit-il de marques intégrées dans un groupe ou indépendantes – l'étude ne le précise pas, alors que c'est une donnée essentielle pour comprendre les réactions de leurs dirigeants ? Pour ceux qui est des personnes intérrogées, s’agit-il de chefs d’entreprise de grandes marques ou de dirigeants de maisons indépendantes ? Une douzaine de références pour les montres d’entrée et de moyenne gamme, qui assurent 85 % de volumes et 90 % des raisons sociales, c’est maigre, mais on peut se poser les mêmes questions de représentativité…
 
◉◉ Des questions qu’on se posera d'ailleurs à toutes les étapes de cette enquête, qui repeint dans un rose assez criard tous les paramètres actuels de l’horlogerie, en révélant un optimisme patronal totalement décalé par rapport aux échos du terrain et aux données statistiques [en cours de freinage rapide] des exportations horlogères. On vérifie avec cette étude Deloitte (cliquez sur le lien pour le texte intégral quand il sera en ligne) qu’il y a plus que jamais une horlogerie à deux vitesses, chacune étant désormais installée sur une orbite dont la divergence avec l'autre devient exponentielle...
 
 
◉◉◉ Une synthèse rapide des résultats de cette enquête :
◉ 65 % d’estimations positives pour les perspectives de l’horlogerie suisse au cours des prochains douze mois, la demande des marchés émergents et des touristes devant se maintenir, surtout dans le haut de gamme.
◉ 46 % pour estimer que le risque le plus grave est celui de la pénurie de main-d’œuvre [et non la force du franc comme en 2012].
◉ 61 % estiment à cinq ans la période de transition nécessaire au développement d’alternatives au Swatch Group. 92 % des personnes interrogées soutiennent le renforcement de la législation sur le Swiss Made.
◉ 91 % donnent une priorité à l’innovation, 59 % estimant que les montres connectées (smartwatches) ne constituent pas une menace.
◉ 79 % s’attendent à une poursuite de l’intégration verticale.
◉ 63 % considèrent les revendeurs indépendants comme un important canal de distribution, tout en estimant que la dynamique croissante d’intégration verticale est une menace pour les marques et les distributeurs de petite taille.
◉ 88 % estiment que les médias sociaux sont importants pour l’industrie horlogère.
 
 
 MAIS À PART ÇA...
« Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien »...
 
◉◉ La synthèse des réponses ci-dessus est à la fois banale et navrante. Banale parce que les dirigeants horlogers – à des rares exceptions près – ont rarement fait preuve de clairvoyance dans leurs anticipations : la précédente crise de 2008-2009 a été niée jusqu’au bout, la confusion de ses contempteurs étant ensuite balayée sous le tapis quand la bulle du crédit chinoise a emballé la demande asiatique. Cette accélération inespérée a évité à tout le monde de perdre la face, et à l’industrie de se poser les bonnes questions qui se reposeront, demain, avec encore plus d’acuité.
 
◉◉ La synthèse est navrante quand elle révèle la myopie de ces équipes dirigeantes et le mainstream « politiquement correct » de leurs analyses stratégiques : considérer les médias sociaux comme importants, c’est enfoncer des portes ouvertes – les mêmes juraient hier qu’on ne les verrait jamais sur Internet ! Les mêmes jugent d’ailleurs que ces médias sociaux sont « le premier risque en ligne ».
 
◉◉◉ Juger l’innovation prioritaire est un mantra commode, surtout quand on fait tout pour ne pas innover, pour ne pas prendre de risque et pour s’exonérer d’un sursaut créatif salvateur. Voir pratiquement deux cadres dirigeants sur trois réclamer cinq ans pour développer des offres concurrentes du Swatch Group, quand les dix années précédentes n’ont pas réussi à réveiller leurs initiatives, c’est encore rester dans la litanie invocatoire et se trouver des prétextes pour justifier une dramatique paresse intellectuelle…
 
 
◉◉◉ Courte vue, tout aussi terrifiante, que celle qui concernent les montres connectés, qui ne menaceraient pas l’horlogerie classique selon deux patrons sur trois. Comme nous l’avons souvent développé, il ne s’agit pas d’une technologie de rupture, mais d’une guerre topographique (la « bataille pour le poignet ») doublée d’un défi fonctionnel : si le nouvel impératif sociétal est d’être relié en permanence aux méga-réseaux et aux hyper-bases de données de la planète, aucune montre au monde (mécanique ou électronique) ne le fera jamais sans une forte dose d’interactivité et sans valeur ajoutée high-tech. Quand des dizaines de millions d’individus auront dépensé quelques centaines de dollars pour s’équiper auprès des géants de l’électronique (actuels ou à venir), il faudra qu’ils soient sacrément motivés pour s’acheter une autre montre toute simple avec laquelle ils se contenteront de lire l’heure. Au début du XXe siècle, face à la montre-bracelet, qui était plus contraignante, moins précise et plus fragile, la montre de poche a succombé en quelques années à un tel défi fonctionnel. Cette fois, ça ira encore plus vite [voir l'exemple Nokia, qui s'est trompé de stratégie]. Faute d’une nouvelle créativité accessible, il serait étonnant que les montres suisses « normales » [nous ne parlons ni des ovnis, ni des « jouets de garçon », ni des hochets de mode, ni des objets statutaires ou patrimoniaux] résistent longtemps sur des poignets débordés par les nouvelles prothèses numériques…
 
◉◉◉  Ceci posé, on peut se livrer à une analyse plus approfondie des résultats de cette enquête. Seuls 6 % des personnes interrogées prévoient, en 2013, une réduction des exportations vers l’Asie chinoise. Avec un ensemble touchant, les trois-quarts de ces personnes anticipent une croissance « modérée », alors que la décroissance est déjà actée dans les statistiques officielles ! Très étonnant : l’échantillon interrogé croit très fort à la croissance dans le haut de gamme, alors que c’est probablement le secteur qui a le plus régressé sur ses marchés forts.
 
 
◉◉Le continent-edorado, c’est maintenant l’Amérique, du Nord : 83 % lui attribuent une croissance forte ou modérée. Pour l’Amérique latine, c'est 68 % pour une croissance forte ou modérée. Il suffit de rêver – et surtout de ne pas lire les signaux d’alarme allumés au cœur de la machine économique nord-américaine. Et personne ne croit à l’Afrique, alors que les nouveaux émergents africains ont un taux de croissance et un appétit horloger qui font rugir de plaisir…
 
◉◉◉ Côté shopping touristique, on baigne encore, côté patronal, dans le bonheur des bulles récentes, sans le moins du monde s’inquiéter de ce qui se trame en Chine où, selon nos analyses, un renversement de polarité est en cours depuis le début de l’année. Pas de souci pour les dirigeants de la montre : tout va aller encore mieux qu’avant dans toutes les destinations touristiques extra-chinoises. L'histoire tranchera très vite...
 
◉◉ Ivres d’une nouvelle félicité, les patrons horlogers consultés par Deloitte ne distinguent même plus de danger objectif, maintenant que le franc fort l’est un peu moins. Le seul facteur critique, c’est peut-être, sans conviction (46 %), la main-d’œuvre qui permettra de produire toujours plus et d’accumuler toujours plus de sell-in dans toujours plus de boutiques : on retrouve là cette « dérive des incontinents » dont Business Montres (2 septembre) parlait la semaine dernière. Même relatif manque d’inquiétude pour le ralentissement de la demande extérieure (44 %) ou intérieure (34 %). Les questions d’approvisionnement en mouvements et en composants ne comptent plus que pour 17 %, et le renchérissement de leurs prix pour 15 % – à peine plus que les dangers de la contrefaçon (10 %).
 
 
◉◉ Toutes les questions relatives à cette pénurie dans les rayons du supermarché Swatch Group sont évidemment disqualifiées par l’intervention estivale de la Comco, qui a décidé de ne rien décider et d’en revenir au statu quo ante de 2010. Ce qui serait pénalisant dans une phase de croissance à deux chiffres, mais, comme on aura de la peine à ne pas entrer en récession d’ici à la fin de l’année (tout juste + 1,1 % au premier semestre), les inquiétudes s’apaisent – effet démobilisant à la clé ! On note au passage que les cadres supérieurs de la branche sont assez mal informés de la disponibilité des offres alternatives à ETA, qu’ils jugent à la fois « inférieurs en qualité » (65 %) et « difficiles à obtenir » (50 %), ces deux affirmations étant hautement discutables.
 
◉◉◉ Enthousiasme contagieux, quand plus de la moitié des personnes interrogées optent pour un Swiss Made égal ou supérieur à 80 % des coûts de production, R&D incluse [question d’échantillon, à n’en pas douter] et quand 92 % se fémlicitent d’un relèvement des seuils dans ce domaine [encore un effet du « politiquement correct »]. Et stupeur statistique quand 100 % des fabricants de composants sont annoncés comme jugeant positivement la décision de la Comco d’autoriser le Swatch Group à réduire ses livraisons : ils habitent où, ces fabricants ?
 
◉◉◉ Un dernier coup de projecteur sur les « stratégies commerciales » telles que les anticipent les dirigeants, qui n’en sont pas à une contradiction en se félicitant de ce qu’ils déplorent et en déplorant ce dont ils se félicitent. Imaginer un avenir commun entre les marques et les revendeurs agréées fera sourire derrière les comptoirs, surtout quand l’avenir appartient, nous disent les mêmes, dans la même proportion, aux boutiques monomarques. Leçon à tirer : personne n’y comprend rien et n’a la moindre visibilité sur un marché en pleine mutation !
 
 
◉◉◉ Merci aux équipes de Deloitte pour ce Polaroïd de la profession à la veille de l’été 2013, qui aura peut-être cristallisé, sur tous les marchés du monde, une tendance au renversement. L’étude intégrale sera disponible en ligne dans les jours qui viennent : chacun pourra s’en faire une opinion. « Défis et opportunités du secteur horloger », annonce cette enquête 2013 : apparemment, les vrais défis ne sont pas vraiment anticipés, alors les opportunités repérées sont celles d’hier plus que de demain. Peu importe, d'ailleurs, puisque la parole de ces dirigeants horlogers thaumaturges vaut de l'or pour les analystes qui les croient et qui ne regardent pas vraiment les statistiques officielles, comme celle de l'industrie suisse en général (ci-dessous)...
G.P.
 
 
 
D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTES
DE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...
 
Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter