TRIBUNE LIBRE (accès libre)
Xavier Dietlin : « Il existe d’autres facteurs de croissance que l’argent »
La quantité ou la qualité ? C’est un peu le dilemme : « La bourse ou la vie » ! Pour Xavier Dietlin, « la quantité et l’argent sont des modèles dépassés ». Sa tribune dans le magazine « Denaris » (Swiss Association of Assets Managers) mérite d’être reprise tellement elle illustre les vrais enjeux horlogers des années 2020, pour les marques comme pour les partenaires de l’industrie : exprimer aussi radicalement que possible une vue du monde originale et se poser en référence unique et incomparable, au lieu de viser à la course à la puissance d’une globalisation qui se démondialise en lambeaux. Un système de valeurs qui est celui des nouvelles générations, et non plus l’idéal de vie des vieux baby-boomers que leurs échecs poussent vers une retraite précipitée. Le salut n’est plus quantitatif, mais qualitatif, nous explique Xavier Dietlin, que nous avions déjà qualifié de « vitriniste le plus déjanté de sa génération ». Il apparaît maintenant comme le « vitriniste le plus visionnaire de cette même génération ». À méditer…
J’étais frappé lors de mes premiers voyages aux États-Unis de l’étonnement de mes clients quand je leur disais que nous n’allions plus grandir. Pour eux je perdais simplement la tête. Quelques années plus tard c’est moi qui avais ce même étonnement lors de la remise du prix de l’entrepreneur de l’année. Nous étions nominés mais les lauréats pesaient des centaines de millions. C’était une évidence : pour la presse comme pour le public, réussir, c’est gagner beaucoup d’argent. Pour mon père, ma volonté de ne pas grandir résonnait comme un manque d’ambitions.
La quantité et l’argent sont des modèles dépassés. Combien d’entreprises grandissent pour se restructurer ensuite ? Lesquelles sont capables de garder un esprit d’innovation une fois entrées en bourse ? Elles ont souvent changé de métier. Apple ne produit plus les téléphones les plus innovants du monde, elle essaie d’inventer des périphériques qui lui permettent de gagner toujours autant d’argent. Elle n’est plus capable de prendre le moindre risque et sa position actuelle ne lui permet plus aucune innovation. Elle essaie désormais de suivre les innovations des autres.
Une entreprise est obligée de croitre, certes, mais cette croissance peut se situer à d’autres niveaux que la quantité. L’ambition peut se mesurer autrement : inventer sans cesse, être le premier, être différent et monter les critères de qualité. Rester visionnaire et anticiper avant tout-le-monde le prochain virage à prendre… En voici des facteurs de croissance. Si je me mettais à produire plus de vitrines, mon métier ne serait plus le même, je passerais d’inventeur à gestionnaire. Ça serait comme demander à un grand chef étoilé de produire 500 couverts par jour. Notre politique nous a permis d’acquérir une position enviable : être unique !
Plusieurs grandes marques horlogères qui ont l’obligation de demander trois offres comparatives sont embarrassées avec nous. Il n’y a pas de produits concurrents sur le marché. La question n’est pas de savoir si nous pouvons faire un rabais, la question est de savoir si nous allons pouvoir livrer à 100 % du prix. Pas de prospection, nos produits ne sont pas destinés à tout-le-monde. Nos clients historiques sont prioritaires.
Savoir se faire rare et marquer les esprits à chaque innovation. Entretenir le secret autour d’un showroom. Autofinancés des projets pour rester indépendants. Ça me semble très ambitieux. Notre taille actuelle de douze personnes nous oblige à rester dans la peau d’une start-up. Nous sommes contraints de nous réinventer sans cesse. C’est la garantie de durer dans le temps. Et puis c’est un choix de vie. L’amour est éternel jusqu’à qu’il s’arrête. La passion de son travail aussi. Rester désirable est assurément le challenge d’une vie.
Xavier Dietlin,
Swiss Showcases.