> 


ANALYSE : Ces oies sauvages dont le vol annonce la prochaine offensive des montres chinoises sur les marchés européens...

Le « flying geese paradigm » (théorie du vol des oies sauvages) est un schéma de base pour comprendre ce qui s'est passé dans les économies asiatiques depuis un demi-siècle – et donc ce qui pourrait bien se passer au cours du prochain demi-siècle. Pour quelle raison le marché horloger échapperait-il aux rudes lois de la macro-économie ? ▶▶▶ « FLYING GEESE PARADIGM »Le schéma théorique qui permet d'anticiper


Le « flying geese paradigm » (théorie du vol des oies sauvages) est un schéma de base pour comprendre ce qui s'est passé dans les économies asiatiques depuis un demi-siècle – et donc ce qui pourrait bien se passer au cours du prochain demi-siècle. Pour quelle raison le marché horloger échapperait-il aux rudes lois de la macro-économie ?

YMJ_Sky 1_A4
▶▶▶ « FLYING GEESE PARADIGM »
Le schéma théorique qui permet d'anticiper
l'inévitable contre-offensive des horlogers
chinois sur les marchés producteurs de montres...
 
strategie-en-vol-d-oies-sauvages-gris
 
◉◉◉◉ ON SE SOUVIENT DE LA THÉORIE DU « COUP DE FOUET » (Business Montres du 28 janvier 2009), concept économique qui décrivait si bien la situation de la crise horlogère de 2008-2009 et ses conséquences sur l'amont industriel de l'industrie des montres. Voici un autre modèle explicatif, celle du « vol des oies sauvages », pour décrire la phase économique de ralentissement des exportations horlogères en Chine, prélude à une imparable contre-offensive des entreprises horlogères chinoises sur les pays jusqu'ici producteurs de ces montres – dont la Suisse et l'Europe occidentale. Dans son récent ouvrage « Rattraper et dépasser la Suisse » (éditions Alphil), Pierre-Yves Donzé fait de cette théorie des « oies sauvages » le pivot de compréhension de l'offensive japonaise qui avait mis la Suisse horlogère à genoux, et même pire, au début des années 1980. Il serait très étonnant qu'une séquence comparable ne vienne à nouveau menacer l'industrie des montres en France, en Allemagne et surtout en Suisse. Cette théorie du « vol des oies sauvages » (flying geese paradigm) a été codifiée par l'économiste japonais Kaname Akamatsu pour décrire un processus de développement économique d'« industrie industrialisante » : dans un domaine précis, un pays s'industrialise d'abord par des produits à faible technicité, en important les produits à plus forte technicité de ce domaine [exemple : la Chine qui importe des montres suisses de prestige, tout en se faisant les dents sur la fabrication des composants et les montres à bas coût]. Ensuite, ce pays devient exportateur de ces montres low cost. Enfin, il se spécialise dans des produits horlogers à forte valeur ajoutée, grâce auquels il entend conquérir le monde. C'était l'obsession des Japonais, comme le raconte très bien « Rattraper et dépasser la Suisse ». Ce sera sans doute l'obsession des Chinois, qui ont inventé des raffinements supplémentaires...
 
temple-des-oies-sauvages-02
 
◉◉◉◉ IL S'AGIT D'UN SCHÉMA D'ANALYSE ÉCONOMIQUE BIEN CONNU (voir la notice Wikipedia à ce sujet). Ce qu'il décrit –ce phénomène de « vol des oies sauvages » – est finalement proche du schéma d'industrialisation de la Chine, qui a mis en place des zones franches pour accélérer son propre processus de développement industriel (avec la bénédiction du Fonds monétaire international) et qui est en train de substituer aux précédentes importations sa propre production nationale, qu'il ne lui restera plus qu'à importer sur les marchés étrangers. Le FGP (Flying Geese Paradigm) est une théorie parfaitement adapté à la sphère culturelle asiatique et à son histoire économique. Elle tire son nom des vols d'oies sauvages, qui voient l'oiseau de tête (hier, l'Europe, puis le Japon) remplacé à la pointe du vol par d'autres oiseaux plus frais (aujourd'hui, la Chine, puis l'Indonésie), en attendant les autres oiseaux  de la file (demain, le Vietnam ou les Philippines). On trouve de nombreuses analyses académiques de ce FGP, clé d'explication privilégiée pour rendre compte de l'irrésistible ascension des économiques asiatiques émergées au cours de ces dernières années...
 
kep_17_05_03_03_eng
◉◉◉◉ COMME IL N'EST PLUS QUESTION, POUR CAUSE D'O.M.C VIGILANTE, de tricher avec les règles de libre-échange et qu'il est impossible d'imposer un protectionnisme économique en édictant des droits de douane élevés, on transforme ces droits en simples taxes locales exorbitantes. C'était la farce du fameux « accord de libre-échange » signé entre la Suisse et la Chine, selon lequel la Suisse ouvrait largement ses frontières en l'échange d'une baisse spectaculaire des droits de douane imposés aux montres suisses alors que ces droits de douane... ne pèsent guère que pour 3 % dans le prix public des montres vendues en Chine (révélation Business Montres du 8 juillet 2013). Inutile de préciser que le prix des montres suisses n'a pas bougé d'un iota en Chine, sinon à la hausse – alors que le prix des montres chinoises vendues en Suisse sera à peu près exonéré de toute taxe particulière le jour où elles entameront leur longue marche européenne. Pas de quoi se réjouir...
 
cochon_fillette_chinoise2
◉◉◉◉ AU CAS OÙ LES CONSOMMATEURS CHINOIS N'AURAIENT PAS BIEN COMPRIS la manoeuvre, et comme ils continuent à acheter des montres de luxe (généralement suisses) dans leurs voyages touristiques, le Politburo a ostacisé quelques marques suisses, en jetant en prison les fonctionnaires qui les aimaient trop. Du coup, plus question de porter ces montres désignées à la vindicte populaire pour cause de lutte contre la corruption et de perversion de la morale néo-prolétarienne. Au besoin, les douaniers chinois mèneront quelques opérations coup de poing dans les charters de retour d'Europe. Pour confirmer cette nouvelle orientation, on aura noté la nouvelle loi chinoise sur le tourisme, qui fait tout pour décourager la consommation non intérieure pour certaines catégories de produits, dont les montres (révélation Business Montres du 22 août 203). On commence à peine à en constater les effets ravageurs, en France et en Allemagne. On remarquera également les autres signaux faibles d'une priorité accordée aux produits nationaux dans la promotion des marques automobiles locales (c'est l'affaire de la limousine Drapeau rouge, qui cible clairement Audi et Mercedes) ou c'est le reflex spectaculaire des vins et des alcools français [qui nous prépare sans doute à une inondation de nouveaux vins chinois en Europe]...
 
0540990202004
◉◉◉◉ FORMÉS PAR DES  INGÉNIEURS SUISSES À FAIRE DES MONTRES « À LA SUISSE » sur des machines suisses, voire même – si on en croit les mauvaises langues – à faire directement des montres Swiss Made qui ne font même plus le détour par les Montagnes neuchâteloises avant d'irriguer les marchés asiatiques, les industriels chinois ont désormais la maturité suffisante pour « mettre le nez à la fenêtre ». Ce qu'ils se refusaient à faire jusqu'ici pour se consacrer à leur seul marché intérieur. Le reflux des montres suisses sur le marché local va leur créer un appel d'air, qui engraissera leur trésoserie en leur donnant les moyens de prendre des risques sur les marchés extérieurs – évidemment avec la complicité d'une Banque centrale chinoise qui croule sous les dollars excédentaires. Des designers suisses ont déjà été recrutés pour adapter les collections au goût européen : vous soulez des noms ? Des consultants en marketing sont en mission pour détecter les segments les plus profitables où porter les premières attaques : des segments où une offre créative « à la suisse », positionnée à des prix attractifs, a le plus de chances de bousculer des marques suisses empêtrées dans leurs certitudes et dans leurs prix beaucoup trop élevés...  
2012113012198030981941109429flying geese 2.svg.hi
◉◉◉◉ SCÉNARIO DE CAUCHEMAR QUI RELÈVE DE LA SCIENCE-FICTION ? On peut le croire, mais il faut se méfier des certitudes engendrées par la paresse intellectuelle et la suffisance statutaire. C'est ce qui avait conduit l'industrie suisse à rigoler, dans les années 1960, des « petites fourmis japonaises » qui se piquaient de faire des montres aussi bien que les Suisses. Lesquels ont grimacé au premier concours de chronométrie gagné par Seiko. Ensuite, on n'a plus rigolé du tout en se faisant expulser du marché américain, mais il était trop tard et les montres à quartz ont achevé de déstabiliser une industrie suisse déjà agonisante, avec ses montres démodées, son tissu industriel obsolète et son absence de récit refondateur. Qu'on se souvienne aussi du souverain mépris qu'affectaient les industriels allemands de l'électronique musicale et du marché de la haute fidélité : ils en étaient les rois dans les années 1950 et 1960. Dix ans plus tard, le tsunami nippon les avait balayés et le marché de la hi-fi ne jure plus à présent que par les marques japonaises et, aujourd'hui, coréennes. 
 
◉◉◉◉ LA QUESTION N'EST DONC PLUS AUJOURD'HUI de savoir si les Chinois vont attaquer les marchés horlogers européens, mais bien de comprendre quand ils se décideront à porter la première estocade. L'industrie chinoise des montres a la maturité suffisante : après un tour de chauffe sur les NPI (nouveaux pays industriels ; Indonésie, Malaisie, Philippines), les marques chinoises (Fiyta, notamment, mais également Longio) déboucheront inévitablement sur tous ces pays européens dont les consommateurs sont appauvris par la crise. Il se peut même qu'apparaisse un nouveau snobisme pro-chinois, comparable au snobisme pro-japonais qui faisait des ravages chez les amateurs européens de hi-fi dans les années 1970 et 1980. Sous nos latitudes, le « vol des oies sauvages » annonce généralement un changement de saison...
 
SnowGeeseFly1
 
D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTES
DE L'ACTUALITÉ DES MARQUES ET DES MONTRES...
Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter