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@BASELWORLD 2015 #24 (dernière séquence) : Sept choses que personne n'a encore voulu vous dire sur le salon de Bâle, mais qui changent tout pour les éditions à venir...

Rendez-vous rituel de printemps pour la profession horlogère, Baselworld n'a cessé d'évoluer au cours de ces dernières années. Ce n'est pas fini, mais cette mutation a substantiellement changé le salon, sa fréquentation et son impact économique international...  ▶▶▶ BASELWORLD, TON UNIVERS IMPITOYABLE...Sept bonnes raisons de comprendre à quel point Baselworld n'est plus tout-à-fait 


Rendez-vous rituel de printemps pour la profession horlogère, Baselworld n'a cessé d'évoluer au cours de ces dernières années. Ce n'est pas fini, mais cette mutation a substantiellement changé le salon, sa fréquentation et son impact économique international...

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▶ BASELWORLD, TON UNIVERS IMPITOYABLE...
Sept bonnes raisons de comprendre
à quel point Baselworld n'est plus
tout-à-fait la « foire aux échantillons »
du bon vieux temps...
 
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◉◉ AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE, BASELWORLD A TERRIBLEMENT ÉVOLUÉ : au cours des années 1990, on était déjà passés de l'ancienne « foire aux échantillons » (Mustermesse : rendez-vous annuel multi-produits, où les fabricants de montres – on ne parlait pas alors de marques – rencontraient les marchands de montres) à un événement purement horloger, vite rebaptisé Baselworld. Ensuite, avec l'ampleur prise par la globalisation des grandes marques et l'apprentissage des codes du haut de gamme sous la houlette des groupes de luxe [fin des odeurs de saucisses grillées et bouchons de champagne qui fusent], Baselworld est devenu un événement mondain, d'abord à usage B to B, puis de plus en plus clairement B to C. Il est temps de faire le point sur ces évolutions, en sept tableaux...
 
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1]
◉◉ BASELWORLD EST DE MOINS EN MOINS INDISPENSABLE POUR  LES GRANDES MARQUES HORLOGÈRES : c'est une évidence économique, car Baselworld est de moins en moins un événement commercial stratégique pour les marques déjà bien calées sur le marché. Elles possèdent déjà, pour la plupart, une large implantation internationale quand elles n'ont pas, comme les marques des grandes groupes, déjà largement filialisé leurs distributions locales. À quoi bon aller à la rencontre de nouveaux distributeurs et de détaillants dont la marque n'a pas forcément besoin ? Il ya de moins d'agents sur le marché, et encore moins à Baselworld : les grandes marques n'ont ont plus besoin. De l'aveu des patrons de ces grandes maisons, Baselworld ne représente même plus 20 % de leur chiffre d'affaires annuel, souvent moins : les commandes qu'on peut y prendre l'auraient été, de toute façon, au cours des semaines précédentes ou suivantes. Rolex ou Patek Philippe pourraient se passer de baselworld, événement que ses marques soutiennent au nom de leur responsabilité citoyenne. Il en va de même pour le Swatch Group, qui pourrait s'offrir un événement purement corporate pour ses seuls marques, sans parasitage de ses réseaux par les concurrents. En revanche, pour quelques marques de taille moyenne qui n'ont pas encore achevé leur globalisation et pour beaucoup de marques de niche  indépendantes, Baselworld est un événement indispensable pour aller à la rencontre du marché...
 
2]
◉◉ BASELWORLD EST DE PLUS EN PLUS CLAIREMENT UN ÉVÉNEMENT DE RELATIONS PUBLIQUES : d'année en année, on voit reculer la part purement « professionnelle » des activités déployées pendant le salon au profit de la part des initiatives qui relèvent davantage des relations publiques – soit auprès des journalistes et des médias horloger (au sens large), soit auprès des réseaux [histoire pour les marques de montrer leurs muscles ou leur munificence], soit encore auprès des partenaires (fournisseurs et politiques aussi bien que banquiers), soit enfin auprès des collectionneurs et du grand public. Très symbolique : la taille des vitrines d'exposition – ou, du moins, la part des vraies nouveautés qu'on y expose – est le plus souvent inversement proportionnelle à la taille de l'espace global exprimé en mètres carrés – moins on en montre, plus puissante la marque veut paraître [exemple type : le stand Graff Diamonds] ! Très intéressante, l'évolution de Baselworld vers les grands collectionneurs et les petits amateurs, qui s'organisent désormais des voyages organisés sur les bords du Rhin. On y trouvera bientôt des tours operators... Il s'agit désormais pour les marques d'impressionner plus que commercer : l'émotionnel prime sur le fonctionnel. Les espaces commerciaux (ceux qui sont réservés aux détaillants qui passent commande) y régressent quand les pièces réservées aux blogueurs et aux photo-journalistes progressent. La qualité de la cuisine est plus déterminante que la valeur ajoutée des nouvelles collections : c'est dans la salle à manger privée qu'on démontre la consistance de son identité ! Baselworld ne vise pas le logos, mais le pathos : c'est de l'horlogerie à l'estomac, pas un excitant pour les neurones...
 
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3]
◉◉ BASELWORLD EST DE MOINS EN MOINS UN SALON STRATÉGIQUE POUR L'ÉCONOMIE HORLOGÈRE : comme on vient de l'expliquer, l'expérience procurée par la marque dans (et autour) l'espace qu'elle met en scène est essentielle par rapport à la pertinence de qu'elle y propose comme nouveautés. D'où la prolifération des « objets dérivés », qu'il s'agisse de voitures de F1 (TAG Heuer), de salon pour la cérémonie du thé à la chinoise (Carl F. Bucherer), de navette spatiale (Luminox), d'avion à raction (Bell & Ross), de robot archéologique (Hublot), de video-mapping footballistique (Maurice Lacroix), de capsule d'exploration sous-marine (Clerc), de bombes d'aviation (Dogfight), de motos ou de toutes sortes d'accessoires plus ou moins légitimes dans un cadre horloger. Rien n'est trop beau pour se démarquer et imposer sa différence, parfois de façon subliminale : le fantasme de surpuissance chez Rolex, la symbolique de la transparence pour Patek Philippe, l'omnipotence territoriale revendiquée par le Swatch Group au coeur du Hall 1.0, l'ambiance caliente et vieille-havanaise de Cuervo y Sobrinos, le coffre-fort suisse d'Armani Swiss Made, le glamour friqué et somptuaire des mannequins qui posent pour Jacob & Co, la décontraction générationnelle de la piscine à boules chez RJ-Romain Jerome et bien d'autres encore. Personne ne comprend le message subconscient des méduses Breitling, mais peu importe ! Le décor n'est plus ici un habillage décoratif à usage professionnel, mais un contextualisation des valeurs de la marque...
 
 
4]
◉◉ BASELWORLD EST UN DIVERTISSEMENT DE PLUS EN PLUS COÛTEUX POUR LES MARQUES : pour toutes les raisons évoquées ci-dessus (gigantisme des stands, course à l'armement, globalisation du marketing et de la communication, inflation des relations publiques, etc.), Baselworld est un gouffre financier qui pèse de plus en plus lourd dans le budget des marques. Faute de pouvoir s'agrandir vers le haut, elles le font vers le bas, en perçant des escaliers dans la dalle du Hall 1.0 pour conquérir de nouveaux mètres carrés dans les sous-sols (Hublot). Les grandes fêtes doivent impérativement être plus marquantes et plus mémorables : à l'open bar du stand en fin de journée, on substitue désormais le concert privé de rock'n'roll (Hublot encore, aux Trois-Rois). D'une année sur l'autre, il s'agi de faire plus – toujours plus – et les budgets explosent, jusqu'à menacer la nécessité même de la présence de la marque sur le salon : on a vu en mars dernier les appariteurs de Baselworld expulser sans trop d'égards une marque qui commençait à installer son espace, mais qui n'avait pas encore réglé sa réservation. Il faut avoir une forte personnalité et une certaine élégance pour réussir à revenir dans un stand de 30 mètres carrés quand on a paradé, par le passé, dans un espace de 400 mètres carrés : c'est le privilège et la grande classe d'un Jérôme De Witt, qui avait même mobilisé Viviane, sa femme, comme super-hôtesse d'accueil. Bâle, c'est beaucoup d'argent, trop sans doute, et c'est le talon d'Achille d'une manifestation désormais trop sensible aux aléas de la conjoncture. Question de rapport qualité-prix ou de ratio dépenses-profits ! Le gigantisme peut tuer Baselworld, d'autant qu'on touche aux limite de la globalisation : quelle est la vraie utilité d'une grand-messe annuelle en Europe, alors que les continents fonctionnent sur des rythmes différents, avec des impératifs marketing tout aussi hétéroclites ?
 
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5]
◉◉ BASELWORLD EST DE MOINS EN MOINS UNE DATE IMPÉRATIVE DANS LE CALENDRIER ANNUEL DES MARQUES : que de déperdition entre tous les produits présentés à Baselworld et ceux qui retiennent l'attention, tant des médias que des détaillants ! Trop, c'est trop et l'overdose menace. Autrefois, on présentait toute son offre de l'année à la « foire aux échantillons ». On en a gardé l'habitude à Baselworld, mais c'est devenu contre-performant : de plus en plus de dirigeants horlogers préfèrent saucissonner leur offre annuelle en tranches trimestrielles, voire en événements locaux mieux ciblés et plus mobilisateurs. Le calendrier médiatique de l'horlogerie a été bouleversé par l'instantanéité d'Internet, dont il faut alimenter les chaudières infernales tout au long de l'année : l'événement unique et centralisé, où la voix de tout le monde couvre les propositions de tout le monde, n'est plus une réponse adaptée au besoin des marques. D'où les questions que tout le monde se pose sur Baselworld : « Should I stay or should I go ? ». Il faut avoir la suffisance puissance de Rolex pour se permettre de vivre toute l'année sur l'acquis de Baselworld et sur les nouveautés qui y sont présentées en bloc. Le côté mobile de l'événement – qui ne se tient jamais exactement aux mêmes dates – témoigne lui aussi d'un calendrier pré-industriel légèrement obsolète : à quoi rime un salon de printemps, unique et indifférencié, quand les marchés privilégieraient des rendez-vous de début d'année plus ciblés ?
 
6]
◉◉ BASELWORLD EST DE PLUS EN PLUS UN RENDEZ-VOUS MONDIAL DONT PERSONNE NE PEUT SE PASSER : après vingt-cinq années d'existence, la dissidence genevoise du SIHH n'a pas fait la preuve de sa pertinence absolue [la survie du salon ne tient qu'à la seule volonté du groupe Richemont, qui tient l'organisation sous perfusion, et à la seule décision de Cartier, qui aimerait bien en finir sans oser l'imposer aux autres exposants] et il ne serait pas absurde de voir certaines marques du SIHH revenir, demain, vers Baselworld (Baume & Mercier ou Montblanc, notamment, mais aussi IWC ou Ralph Lauren – Greubel Forsey ayant réussi l'exploit de faire les deux salons, même si sa présence est plus discrète à Bâle). Si le SIHH s'arrêtait dans deux ou trois ans (voir avant), le sort de l'industrie horlogère en serait-il bouleversé ? Baselworld a su, au contraire, reprendre le dessus et s'imposer par la seule force de son évidence, comme la présence des poids lourds qui en assurent l'autorité commerciale (Rolex, Patek Philippe, Swatch Group essentiellement). Ce sacre international a son revers : personne ne peut se passer de Baselworld, mais Baselworld doit se passer d'une partie de son public historique (les petits détaillants, les petites structures de distribution) pour accompagner les mutations de la profession et celle de la société (omnipotence d'Internet), tout comme pour ne pas succomber sous le poids de sa propre puissance. En 2015, première année d'une crise qu'on devine durable, Baselworld était à la croisée des chemins entre l'insolence du luxe ostentatoire [celui qui frappe ceux qui y viennent pour la première fois : « Tout ça pour des montres ? »] et la discrétion générationnelle qui sied aux nouvelles élites du luxe [qui préfèrent l'intelligent et le festif convivial au statutaire diamanté sur tranche]. En revanche, il ne faut pas se dissimuler une réalité connexe : le triomphe de l'horlogerie à Bâle y rend encore moins évidente, indispensable et intéressante la présence des grandes maisons de joaillerie...
 
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7]
◉◉ BASELWORLD EST DE MOINS EN MOINS UNE « MACHINE » CAPABLE D'ÉVOLUER, CE QUI EST DANGEREUX : décidé dans les années de bulle horlogère pour y loger une demande plus forte que l'offre, le gigantisme des grandes halles condamne le salon à en faire toujours davantage à des prix toujours plus élevés. Ce qui est un péril mortel quand la conjoncture se retourne, ce qui est le cas actuellement. La globalisation marque le pas (en Chine, en Russie, dans les BRICS) et les tensions internationales freinent les déplacements internationaux. Il n'a pas été forcément facile de remplir toutes les halles en 2015 et les promotions de dernière heure étaient substantielles. La formule même du salon – ces halles où s'empilent en désordre les marques – mérite un lifting en profondeur, pour gagner en cohérence et en ergonomie de fréquentation : Business Montres défend depuis longtemps l'idée d'un regroupement de toutes les marques indépendantes et créatives dans le Hall 2, pour créer un pôle et un contrepoids à la toute-puissance stérilisante des « grandes marques » du Hall 1.0 – ce qui réclamera un effort de compréhension tarifaire pas vraiment gravé dans le marbre de la culture bâloise. De même, Baselworld devrait veiller à garder deux fers au feu et à ne pas se laisser dépouiller de sa légitimité dans les bijoux et la joaillerie par des salons concurrents : si on prend pour hypothèse ultra-crédible que la joaillerie est le prochain champ de bataille des groupes de luxe, on ne voit pas comment cette rivalité féroce pourra s'exprimer à Baselworld dans la géométrie actuelle du salon. De même, si on cesse de s'interroger sur les montres connectées en admettant qu'elles joueront un futur grand rôle dans notre quotidien, on ne comprend pas où les marques qui émergeront de ce nouveau marché des objets de poignet pourront trouver leur territoire à Baselworld – espace de légitimation dont elles ont besoin. Comme pour l'horlogerie, la mutation qui attend Baselworld s'annonce aussi brutale qu'irrémédiable...
 
◉◉ POUR TOUTES CES RAISONS, SI BASELWORLD N'EXISTAIT PAS, IL FAUDRAIT ABSOLUMENT L'INVENTER : c'est le creuset d'une culture conviviale retrempée annuellement dans l'amitié, dans les « mots de passe » d'une communauté heureuse de se retrouver, dans les rites ordinaires et extraordinaires de cette « secte » horlogère qui se passionne pour le plus futile et le plus chargé de sens de tous les objets de notre quotidien, la montre ! Cette industrie horlogère a besoin de l'oxygène bâlois comme elle a besoin du coup de fièvre médiatique qui entretient la passion sur les bords du Rhin. Si Baselword ne nous était plus conté, nous nous empresserions d'en rebâtir la légende pour l'édification des nouvelles générations [les illustrations de cette page proviennent d'anciennes affiches du rendez-vous de Bâle]... 
 
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