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@ENCHÈRES 2015 #5 : Les 10 tendances majeures qu'il faut absolument retenir des enchères de mai 2015 à Genève...

Pas plus qu'on ne fait un safari pour faire un bon repas, on ne saurait acheter une montre de collection pour avoir l'heure : dans les deux cas, il s'agit de se faire plaisir, d'être le plus fort et de rapporter un trophée de chasse qui épatera sa communauté. Images : merci au studio Hergé (Le Secret de la Licorne, Tintin)... ▶▶▶ HORLOGERIE DE COLLECTIONLes …


Pas plus qu'on ne fait un safari pour faire un bon repas, on ne saurait acheter une montre de collection pour avoir l'heure : dans les deux cas, il s'agit de se faire plaisir, d'être le plus fort et de rapporter un trophée de chasse qui épatera sa communauté. Images : merci au studio Hergé (Le Secret de la Licorne, Tintin)...

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▶ HORLOGERIE DE COLLECTION
Les dix tendances fortes
de ce printemps 2015
dans les salles d'enchères...
 
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◉◉ UNE LUTTE À MORT POUR LE LEADERSHIP : Xs contre PBR, le défi est lancé ! Retenez vos places pour le match du siècle... Xs pour Christie's. PBR pour Phillips-Bacs & Russo. L'ancien contre le moderne. Le leader historique contre l'audacieux challenger. La puissance de la notoriété contre l'influence de la célébrité. Il n'y aura qu'une couronne à ceindre et qu'un seul vainqueur sur la première marche du podium, celle où on peut attirer les meilleures montres des meilleures collections pour composer les meilleurs catalogues – et donc proposer les meilleurs prix aux vendeurs comme aux investisseurs. Pour l'instant, l'équipe Sotheby's se trouve reléguée en deuxième division, face à Antiquorum et aux autres outsiders aspirationnels [dont l'étoile montante des enchères en ligne : Auctionata, à ne pas perdre de vue]. Ce sera la grande bataille de la prochaine saison, dans tous les compartiments du jeu : de part et d'autre, il n'est pas question d'accepter de plier le genou et de se contenter d'une humiliante seconde place...
 
◉◉ LA QUESTION SOTHEBY'S RESTE POSÉE : autant Sotheby's écrase toute la concurrence sur le marché de joaillerie [149,8 millions de francs en une seule soirée, avec 400 millions, sinon 500 millions d'objectif annuel], autant la maison d'enchères s'affaisse sur le marché horloger, au point de ne plus réaliser qu'un peu plus de la moitié des résultats de Christie's et moins d'un tiers des résultats de Phillips-Bacs & Russo. Sotheby's, c'est l'« homme malade » des enchères horlogères – comme on le disait autrefois de l'empire ottoman agonisant. Le bureau de Genève fait de ce qu'il peut [assez peu], le département a encore quelques beaux restes [mais sans plus] et l'horlogerie semble le cadet des soucis de la direction britannique du groupe. Un repositionnement sur les montres est devenu indispensable, avec de nouveaux concepts de vente et d'approche du marché...
 
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◉◉ LE MARCHÉ EST DOPÉ PAR L'ABONDANCE DE NOUVELLES LIQUIDITÉS qui permettent l'émergence d'une nouvelle génération d'enchérisseurs, parfois plus spéculateurs et investisseurs que collectionneurs, mais pas toujours. Face à la volatilité des marchés boursiers, aux dangers des bulles immobilières et à l'instabilité des monnaies de référence, des objets comme les montres sont des actifs tangibles, accessibles à différents niveaux de prix, discrets vis-à-vis des administrations, facilement mobiles et généralement très « liquides » dans le monde entier. Avec la joaillerie, les montres forment un des meilleurs concentrés de hautes valeurs dans un volume très réduit. Dans le même temps, les montres sont aussi des objets de culture et des marqueurs socio-économiques de référence. On voit ainsi s'opérer un glissement entre les anciens collectionneurs [souvent âgés, portés par une vraie culture horlogère vers les montres de poche et les pendules historiques] et les nouveaux amateurs, plus jeunes et moins conservateurs, plus riches mais moins cultivés, qui privilégient la visibilité sociale sur la signification historique de la pièce ou leur valeur patrimoniale...
 
◉◉ DU FAIT DE CES NOUVEAUX AMATEURS, LE MARCHÉ EST HAUSSIER et franchement mûr pour voir de nouvelles fortunes s'investir dans des montres de collection, qui se trouve de fait décorrélé du marché des montres neuves : celles-ci se vendent aux enchères comme des pièces de seconde main [éventuellement comme de futurs collectors : il suffit d'y croire], alors que les montres de collection relèvent du marché des objets d'art. Quand le nombre des enchérisseurs potentiels [les nouvelles fortunes de la globalisation] augmente et que la ressource disponible [les montres de collection] a tendance à diminuer, les prix montent. Le fait qu'un certain nombre de ces montres exceptionnelles soient sanctuarisées dans des musées de marque ou des collections privées assèche le marché et crée un appel d'air pour revaloriser des marques jusqu'ici reléguées au second plan : on a ainsi vu Rolex, Breguet, Cartier ou Vacheron Constantin se faufiler dans l'aspiration de Patek Philippe, puis Omega dans le sillage de Rolex, et Tudor ou Longines sur la trace d'Omega et ainsi de suite. Cet effet d'aspiration garantit au marché une spirale haussière – au moins pour les montres rares et valorisables des marques considérées, d'autant qu'elles entrent à présent dans de nouvelles considérations patrimoniales (Zenith, TAG Heuer)...
 
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◉◉ DANS CETTE LOGIQUE, LES VENTES THÉMATIQUES VONT EXPLOSER : une vente réussie doit aujourd'hui associer plusieurs partenaires. Une marque dont la production est à la fois repérable, mémorisable et segmentable : c'est la chasse aux icônes. Il faut aussi une communauté de collectionneurs, accros à ces icônes, prêts à vendre certains de leurs trésors pour enrichir leur collection ou prêts à acheter sur le marché de quoi renforcer la valeur de leur collection. Il faut enfin un auctioneer prêt à prendre le risque d'un approfondissement thématique de son offre : Osvaldo Patrizzi avait bâti sa réputation sur la vente Patek Philippe de 1989, de même qu'Aurel Bacs a couronné la sienne avec la dispersion Daytona de 2013 (« 100 000 CHF adjugé par minute de vente »). On pourrait aussi admettre que Sotheby's a longtemps entretenu la sienne avec la vente du Time Museum ou, récemment, celle de la Patek Philippe « Graves », record du monde inégalé. L'avenir appartient donc aux ventes thématiques, très précisément ciblées, à la fois créatrices et confirmatrices d'icônes horlogères, mais aussi génératrices d'événements mondains à forte résonance médiatique...
 
◉◉ L'ABONDANCE DE LA RESSOURCE CRÉE DE NOUVELLES NICHES : la plupart des grandes collections contemporaines de montres de collection ont été constituées à partir de la fin des années 1980, soit il y a plus de trente ans. Ces nouveaux collectionneurs avaient évincé les anciens amateurs d'horloges, de pendules et de montres de poche. Pour des raisons démographiques évidentes, ces nouveaux collectionneurs arrivent au terme de leur parcours. On peut s'attendre à d'importants reclassements patrimoniaux, accélérés par l'impossibilité pour ces collectionneurs d'aller beaucoup plus loin dans l'escalade vers l'exceptionnel, dont les prix ont explosé : plutôt que de se tourner vers d'autres montres et d'autres marques, ils préfèrent souvent se refaire plaisir dans l'art contemporain ou les voitures de collection. La nouvelle génération des nouveaux amateurs [souvent asiatiques, déjà lassés des compilations de montres neuves de grandes marques, dont la valeur n'est pas garantie] est plus éclectique. Comme nous l'avons dit, la demande globale se segmente en sous-marchés très distincts, rendus possibles par l'inflation de la documentation disponible : on est ainsi passé de la collection de Rolex à la collection généraliste de Day-Date, la prochaine étape pouvait être telle ou telle autre référence de Day-Date ou les seules Day-Date « Stella » [les collectionneurs ont l'instinct des séries]. Avez-vous remarqué comme on rebaptise les montres sur ce nouveau marché ? Hier, on citait la référence de la montre. Aujourd'hui, on personnalise la pièce avec un nouveau nom connu des initiés (« Big Kahuna », « The doctor », « The Jack of Diamonds »). Sur ce nouveau marché, les montres ne sont pas des montres, ni même des objets de collection, mais des fétiches chargés de sens [aux yeux d'une communauté de pairs] et des trophées de chasse pour parader entre néo-milliardaires [c'est une autre des fonctions d'Instagram]. Pas plus qu'on ne fait de safari pour se nourrir, mais pour le plaisir de la traque et la gloire d'avoir tiré un des Big Five, on n'achète des montres de collection pour se nourrir : c'est l'adrénaline de l'enchère qui compte ; c'est la vanité d'avoir remporté la compétition qui importe – avec la secrète jouissance d'exhiber le trophée à son poignet... 
 
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◉◉ UN MARCHÉ D'ACHETEURS SUCCÈDE À UN MARCHÉ DE VENDEURS : après des années de domination des ventes par une camarilla de marchands, généralement italiens, qui imposaient leurs usages et leurs marchandise au monde entier, on voit se profiler un nouveau marché dominé par les amateurs qui peuvent s'offrir, à des prix supérieurs aux achats rationnels des marchands [qui doivent revendre], des montres de collection qui méritent les adjudications inflationnistes constatées. Alors qu'ils faisaient la loi, les musées de marque fléchissent face à ces amateurs [on a pu le vérifier avec la défaite de plusieurs d'entre eux face à des collectionneurs, au cours de ces enchères du mois de mai]. Même s'ils voient leur stock de facto revalorisé par ces adjudications records, les marchands ont partiellement perdu la main au profit des nouveaux collectionneurs qui assument leurs caprices. Ou ils suivent, et il leur faudra une solide trésorerie pour attendre plusieurs années la revente du lot acquis au prix fort, ou ils calent et ils se contentent alors de gérer des montres ordinaires – alors que la demande de montres extraordinaires explose. Le rapport de forces a changé, mais il n'est pas déflationniste. Au contraire !
 
◉◉ APRÈS LES VENTES AUX ENCHÈRES, LES VENTES AUX SURENCHÈRES : les nouveaux collectionneurs ont les mêmes réflexes que sur le marché de l'art contemporain. La vie est trop courte pour d'incertains calculs sur le long terme. C'est ici et maintenant qu'on doit profiter de sa fortune. L'exceptionnel, le plus rare, le plus abouti dans ce qu'il y a de plus difficile à trouver, tout cela peut et doit se payer au prix fort. Le plus beau mérite d'être le plus cher, sans limite rationnelle. Si on paye 179 millions de dollars pour un tableau de Picasso, pourquoi ne pas aller beaucoup plus loin que les records actuels pour des montres dont la quantité est finie, alors que la convoitise des amateurs est infinie. C'est la prime à l'ultime, qui favorise des enchères à deux vitesses : d'une part, les déballages de seconde main ; d'autre part, les ventes aux surenchères. La logique y perd ce que le spectacle y gagne, mais les qualités dramatiques de l'auctioneer commencent à primer sur son expertise technique. Rançon de la gloire : dans ces ventes aux surenchères, les lots normaux ordinaires vendent... bien que les lots extraordinaires [comme on a pu le vérifier chez Phillips-Bacs & Russo]. Voici le temps des ventes-événements : l'auction marketing pratiqué par les marques se mue en auction show dont la réussite conditionne prix élevés et fidélité des collectionneurs. C'est d'ailleurs ainsi que le public l'entend, avec applaudissements, relais sur les réseaux sociaux et smartphones dégainés à la moindre occasion. Un show dont les exigences propres auront une influence énorme sur la sélection des montres offertes, sur la rédaction du catalogue et sur la scénographie de la vente [à l'âge du streaming, on en est restés à la télévision en noir et blanc]...
 
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◉◉ LES VENTES AUX SURENCHÈRES ONT UN NOUVEAU ROI : Aurel Bacs, après dix-huit mois d'éclipse [qui étaient autant de mois d'un intense travail de préparation du grand retour], reste le Wonder Boy qu'il était déjà chez Christie's, mais un ou deux tons au-dessus – parce qu'il a enfin les mains libres et qu'il n'a plus personne en face, du moins pour l'instant. Il a su habilement recréer un réseau d'aficionados médiatiques en plus de son fan-club chez les collectionneurs : sur les réseaux sociaux, c'est « Aurel Super-Star », alors que son rôle de président du jury pour le Grand Prix d'Horlogerie de Genève le place au coeur d'un système très élaboré d'influence sur le milieu horloger ! On le vérifiera lors de la vente Only Watch, en novembre prochain [ce sera sa vente thématique de fin d'année, soigneusement travaillée comme telle, et non comme un charity de plus à la mode Antiquorum]. Aurel Bacs n'en est pas moins faillible : il a laissé filer comme invendus certains lots qui auraient dû trouver preneur et il n'a pas encore prouvé son omnipotence dans tous les compartiments du jeu (notamment, les pièces vintage sans argument particulier ou les montres de poche). Jupiter rendant fous ceux qu'il veut perdre et la roche Tarpéienne étant proche du Capitole, le danger de tomber dans l'hubris n'est pas mince, mais la lucidité est une des qualités maîtresses de « Magic Aurel » – même dans la situation de quasi-monopole qu'il a fini par acquérir.
 
◉◉ LA CULTURE HORLOGÈRE N'EST PLUS CE QU'ELLE ÉTAIT : qui achèterait encore les extraordinaires montres émaillées « chinoises » si le musée Patek Philippe ne s'en chargeait pas ? Qui seront les acheteurs de la non moins extraordinaire série de pièces émaillées et d'automates « chinois » que Sotheby's New York dispersera en juin prochain (voir nos articles sur le serin chanteur des empereurs de Chine) ? Risquons une statistique intuitive, mais parlante : au moins 80 % des acheteurs de montres de poche antérieures au XXe siècle avaient au moins 70 ans ! Ce n'est pas de la nostalgie réactionnaire, mais un constat. La transmission de l'héritage des connaissances n'a pas vraiment eu lieu et les catalogues sont minables sur ce sujet : on a vu chez Sotheby's des trésors de la tradition horlogère [souvent des pièces rendues « uniques » par leurs trois siècles de survie] partir au quart du prix qu'ils auraient mérité voici dix ou quinze ans. La jeune génération des auctioneers s'y intéresse beaucoup moins que l'ancienne – et le plus souvent à travers les marques plus qu'à travers l'intérêt historico-mécanique : sans une Sabine Kegel chez Christie's, sans un Osvaldo Patrizzi qui consulte pour Sotheby's, cet affaissement de l'horlogerie traditionnelle dans les grandes maisons serait encore plus marqué. Et encore plus regrettable : sans cette culture, on en est réduit au seul marketing des marques – ce qui est tragique...
 
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