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Blancpain perd son trois-étoiles
Étoiles gastronomiques, s’entend, mais aussi étoiles para-politiques (à la mode helvétique) et étoiles logistiques (en mode copinage) : après vingt années de bons et loyaux services bien arrosés, Alain Delamuraz devrait rapidement quitter la manufacture Blancpain, dont il était le fervent défenseur auprès des grandes toques européennes. Sans doute n’avait-il plus les pieds assez... palmés et l'eau d mer n'était-elle pas son liquide favori ! En tout cas, on lui a fait porter le sombrero…
La nouvelle devrait être confirmée en interne dès demain : alors qu’on le disait depuis de longs mois tentés par un départ laborieusement négocié, Alain Delamuraz (ci-dessous, à gauche, avec Marc Hayek) ne sera plus le vice-président de Blancpain dans les semaines qui viennent. Il sera évidemment « remercié » pour tout ce qu’il a pu apporter à la marque depuis une vingtaine d’années. Il s’agit d’une décision personnelle [pas forcément si consensuelle qu’on le dira] de Marc Hayek, le président de la marque, qui intervient à la suite d’un cafouillage absolument incroyable – décision qui illustre parfaitement les douteuses méthodes de gouvernance d’une maison qui n’est plus vraiment présidée [sauf pour ce qui est de la plongée sous-marine] et qui est devenue le champ clos d’ambitions personnelles et de stratégies familiales pas forcément faciles à décrypter.
En admettant que le départ d’Alain Delamuraz ait été planifié de longue date [en Suisse, on ne « vire » pas sans ménagement le fils d’un ancien et toujours très politiquement influent président de la Confédération], la récente mésaventure de Blancpain au Mexique a certainement accéléré la disgrâce d’Alain Delamuraz, un vice-président absolument indispensable à la bonne marche de la maison dont on savait pourtant depuis longtemps qu’il avait de la peine à rester opérationnel au-delà des premières agapes de la matinée [« Blanc ou rouge » : sans concerner la couleur des cadrans, cette question chromatique était existentielle au sein de l’état-major Blancpain]. Il était ainsi prévu d’organiser, au Mexique, un immense événement planétaire pour la relance de la montre Fifty Fathoms, qui va sur ses 65 ans. 150 à 200 personnes étaient mobilisées dans le monde entier, avec la construction d’un village sur une plage de rêve et le débarquement sur place de plusieurs dizaines de tonnes de matériel. Les décorateurs étaient sur les dents ! Les invitations étaient lancées et Marc Hayek se réjouissait déjà d’enfiler sa combinaison dans un des plus beaux spots du monde. Quelques journalistes et certains détaillants avaient même prévu de prolonger cette invitation par des vacances familiales. Tout a dû être débranché à la dernière minute, avec une facture de plusieurs millions gaspillés en vain. Une annulation in extremis qui aura été fatale pour Alain Delamuraz, lequel va maintenant porter le chapeau – pardon, le sombrero – de cette Apocalypse Now helvéto-mexicaine…
En soi, ce serait risible si l’épisode ne révélait le délabrement tragique de la maison Blancpain, à la survie de laquelle un Alain Delamuraz – qui était un des personnages les plus sympathiques de la scène horlogère – aura beaucoup contribué par son entregent, son légendaire sens de l’hospitalité, sa dilection pour les grandes tables et l’onctuosité de sa patience vis-à-vis du calife tout-puissant dont il était le grand vizir. Si on devait lui reprocher quelque chose, ce n’est pas la lente mais irrésistible décadence d’une marque qui avait tous les atouts pour imposer son identité sur le marché du « sport chic » de luxe, c’est plutôt sa naïveté bonnasse qui l’empêchait de prendre la mesure des complots au sein du microcosme Blancpain et des intrigues de la cour dont il était la clé de voûte comme vice-président de référence. Certes, personne n’est irremplaçable, mais Marc Hayek – qui n’aime décidément pas s’impliquer dans le pilotage de ses marques – aura du mal à trouver un capitaine assez fiable pour redresser la barre d’un bateau qui court sur son erre depuis trop longtemps.
Splendeurs et misères de la haute horlogerie suisse. Grandeur et décadence d'une marque qui avait été pionnière dans la renaissance des belles montres mécaniques. Le monde de la haute gastronomie horlogère est en deuil. Les drapeaux de la haute oenologie mécanique sont en berne. Pas de souci : « Tout va très bien, madame la Marquise » et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour un Swatch Group dont l'action fait des étincelles à la Bourse de Zürich. La vraie question est désormais de savoir s'il y a encore un pilote dans l'avion Blancpain et dans le pôle luxe de ce Swatch Group...