CHRONIQUES DE LA DÉBÂCLE #2 : Sans maîtrise de ses prix devenus illisibles, l’horlogerie va vivre une Année de la Chèvre qui méritera son nom…
Le 14 / 02 / 2015 à 08:06 Par Le sniper de Business Montres - 2235 mots
Patek Philippe baisse ces prix par ici pour les augmenter là. Et alors ? Modeler à sa guise son référentiel prix est un acte banal de management. Bon nombre de patrons l’ont fait avant Thierry Stern. D’autres le feront après lui. Sauf qu’on vient d’ouvrir la boîte de Pandore et que les risques sont aussi énormes qu’incontrôlables…
▶▶▶ DÉSINFLATIONOn vient d'ouvrir la boîte de …
Patek Philippe baisse ces prix par ici pour les augmenter là. Et alors ? Modeler à sa guise son référentiel prix est un acte banal de management. Bon nombre de patrons l’ont fait avant Thierry Stern. D’autres le feront après lui. Sauf qu’on vient d’ouvrir la boîte de Pandore et que les risques sont aussi énormes qu’incontrôlables…
▶▶▶ DÉSINFLATIONOn vient d'ouvrir la boîte de Pandore : bien malin qui peut prédire ce qui nous attend... ◉◉◉◉ C’ÉTAIT LE (FAUX) ÉVÉNEMENT DE LA SEMAINE, repris en boucle par les psittacidés de la non-information horlogère sur la base d’une circulaire officielle de Patek Philippe – Thierry Stern y annonçait un mouvement brownien dans ses listes de prix, augmentés sur certains marchés, abaissés sur d’autres. Techniquement, la manœuvre du président de Patek Philippe est habile : elle réintroduit un peu de logique dans les réactions désordonnées des différentes marques de montres après l’annonce du découplage entre l’euro et le franc suisse. Il est évident que l’envolée du franc suisse n’affectera pas de façon homogène tous les marchés, ni toutes les marques : Thierry Stern aura au moins prouvé par sa circulaire (à télécharger ici, en anglais) qu’il avait au moins une vision relativement lucide de ses marchés... ◉◉◉◉ SAUF QUE, COMME L’AVAIT SIGNALÉ BUSINESS MONTRES (19 janvier dernier), cette décision de baisser les prix sur les marchés asiatiques succède à d’autres baisses de prix antérieures (de 10 % à 22 % selon les pays et les modèles). Autant dire que la déflation sur les tarifs Patek Philippe n’est plus un risque hypothétique, mais une réalité, qui affecte l’ensemble de la chaîne de création de valeur de la marque. Pour certains clients [on nous a soumis le cas concret], le prix officiel d’un modèle a baissé de 44 % en deux ans et demi ! Mettons-nous à la place du client, auquel on avait vanté « l’art Patek Philippe de rendre les montres éternelles », les « valeurs intemporelles » de la marque et son caractère de « placement de père de famille » à se transmettre de génération en génération : « Vous en serez juste le gardien pour les générations futures ». Avec une valeur faciale presque divisée par deux entre deux ans et demi, on est loin du compte… ◉◉◉◉ QUAND ON SAIT QUE LE PRIX DES MONTRES DE COLLECTION Patek Philippe s’est sérieusement tassé aux enchères [du moins pour les modèles qui ne sont pas exceptionnels et « fleur de coin », ceux-là s’envolant vers des sommets fascinants qui cachent le vrai paysage], on s’interroge sur la perception que les clients de la manufacture peuvent avoir de la marque, de la résistance de son patrimoine à l’érosion du temps et de la capacité de sa direction à défendre l’éthique de la maison. On sait aussi que les marchés parallèles sont saturées de montres Patek Philippe pas vraiment recherchées par les amateurs, mais surproduites pour optimiser l’appareil de production et maximaliser les profits commerciaux dans les relations avec le réseau de distribution : chez les professionnels du « marché gris », la décote de ces pièces (-30 % à -50 % par rapport aux prix catalogue) est impressionnante pour une marque qui prétend conserver l’intégralité de sa valeur au fil des années… ◉◉◉◉ ON PEUT DONC PARLER D’UNE SPIRALE DÉFLATIONNISTE, d’autant plus perverse qu’elle est initiée par la manufacture qui sert de parangon, sinon de clé de voûte, à tout l’édifice des manufactures suisses de référence. Aussi logique et « normale » soit-elle, l’initiative de Thierry Stern opère au mauvais moment, avec les mauvais outils, sur le mauvais marché. D’autant que, selon les détaillants locaux, il faut distinguer la lettre et l’esprit de la circulaire officielle : les 5 % de baisse officielle en Asie (7 % à Hong Kong), qui succèdent déjà une précédente baisse de 15 % [toujours sans compensation pour les distributeurs, les détaillants et les clients] permettent de penser qu’une baisse effective située entre 20 % et 25 % des prix 2014 vient d’être opérée. Certes, les prix des montres suisses – Business Montres ne cesse de le rappeler – étaient beaucoup trop élevé, mais le retour au réel est brutal. Patek Philippe ayant un capacité mécanique d’entraînement sur les autres marques, il serait tout aussi logique d’assister à un mouvement général de décroissance des prix après la valse des étiquettes constatées dans la panique du découplage euro-franc suisse… ◉◉◉◉ QUE SE PASSE-T-IL QUAND S’AMORCE UNE TELLE SPIRALE de déflation dans les prix de référence ? Le phénomène est archi-connu et archi-étudié par les économistes, surtout pour des biens de luxe qui ne sont pas des produits de première nécessité : les consommateurs freinent leur consommation et répriment leur compulsion d’achat pour attendre et faire de meilleures affaires. Si telle collection Patek Philippe est affichée en vitrine à –40 % par rapport à 2012-2013, pourquoi acheter « plein pot » ce qu’on devrait pouvoir se procurer encore moins cher dans quelques semaines ? Comme le différentiel de prix entre les produits de luxe vendus en Europe et ceux qui sont proposés en Chine peut à présent atteindre et dépasser les 50 %, autant acheter ces marchandises sur le daigou (marché gris) alimenté par les achats des touristes (global shoppers, de plus en plus personal shoppers professionnels) chinois un peu partout à travers le monde. Un exemple non horloger : on constate actuellement 60 % de différence entre le prix d’un sac Kelly vendu en détaxe à Paris et celui du même sac vendu toutes charges comprises à Beijing… ◉◉◉◉ ET ENCORE, IL N’EST PAS QUESTION ICI de ce qui se passe sur le marché grand-russe, totalement déstabilisé par le double choc de l’effondrement du rouble [miné par les attaques économiques sournoises des pays occidentaux, soit au nom des « sanctions » ineptes, soit pour cause de spéculations sous la ligne de flottaison] et du renchérissement du franc suisse : certains marques suisses ont augmenté leurs prix locaux de 70 %, ébranlant un peu plus les réseaux commerciaux de l’ex-Union soviétique et renforçant l’attractivité des parallélistes locaux – la circulaire de Thierry Stern semble indiquer que Patek Philippe n’a rien changé à ses prix en Russie. ◉◉◉◉ QUE SE PASSE-T-IL QUAND UN TREMBLEMENT DE TERRE bouscule quelques colonnes du temple ? Le fronton est si menacé qu’il risque de s’effondrer à tout moment. On en est là... Et il est temps de reconstruire tout l’édifice horloger ! Thierry Stern a ouvert une boîte de Pandore dont nul ne peut plus prévoir ce qu’il peut désormais en sortir. L’héritier familial de Patek Philippe n’est sans doute pas vraiment responsable de cette situation, même si l’éminence de sa maison le place sous les projecteurs à la moindre de ses décisions managériales. Précisément parce qu’elle constraste avec la fébrilité des annonces d’augmentation faites pendant le SIHH, l’intelligence de sa décision de variation ponctuelle et dissociée des prix est indéniable. Le problème est qu’elle intervient à contre-cycle et à contre-tendance. ◉◉◉◉ LES DÉTAILLANTS LOCAUX SONT SOUS PRESSION : sous peine de perdre la vente, comment refuser aux clients des discomptes que leur offrent les circuits parallèles ? Pour eux, l’année de la Chèvre mérite plus que jamais son nom. L’effondrement des marges devient aussi inexorable qu’inéluctable. C’est toute la structure traditionnelle de la distribution commerciale des montres qui menace ruine. Une mutation profonde est à l’œuvre, en conjonction avec les mutations internationales des marchés, de l’amont industriel et des motivations d’achat. Les clients sont eux aussi sous pression : comment se rassurer face à des montres suisses dont les prix jouent aux montagnes russes et face à des revendeurs tirés à hue et à dia au fil de contorsions monétaires internationales qui les dépassent ? ◉◉◉◉ LA DÉSINFLATION EST UN CANCER ÉCONOMIQUE qui ronge les défenses immunitaires des acteurs en cassant la confiance et en affaiblissant leurs capacités de réaction. Pour s’être trop longtemps reposée sur ses lauriers, à l’abri de l’effet d’aubaine procuré par la décision – macro-écononomiquement sidérante – de la Banque nationale suisse d’arrimer le franc suisse à l’euro, l’industrie horlogère se réveille un peu tard et avec une sacrée langue de bois : les rentes d’un franc suisse arbitrairement dévalué ont été convertis [comprenez : gaspillées] en dépenses somptuaires, en revenus personnels inconsidérés, en partenariats ahurissants et en opérations commerciales plus que douteuses (explosion des frais d’accès au marché, ouvertures de boutiques improductives, campagnes publicitaires égocentriques, etc.). Les cigales flambeuses n’avaient pas anticipé la fin de la bulle : ayant chanté tout l’été, elles se trouvèrent donc « fort dépourvues quand la bise fut venue ». Au point de confondre leurs clients avec des pigeons à cuisiner à toutes les sauces… ◉◉◉◉ PLUS INDÉPENDANTES DE LA CONJONCTURE et de leur égo de marque, les fourmis, elles, n’augmenteront pas leurs prix inconsidément. Elles vont imaginer de nouvelles formes d’accès au client final. Elles préparent déjà de nouveaux concepts capables de faire pièce aux montres connectées. Elles sauront travailler l’émotion et la passion plus que l’ostentation et la surexposition marketing. Aux innocents les mains pleines… D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...