DÉCODAGE : Une horlogerie qui se globalise au risque de la géopolitique mondiale
Dans quelques jours, premiers buts du Mondial de football au Brésil : un événement planétaire qui va forcément mobiliser les médias, mais aussi les groupes de pression avides de visibilité. Née dans un pays neutre, l’industrie des montres ne peut plus arguer de sa neutralité face aux grands débats planétaires. ▶▶▶ GÉOPOLITIQUEAu coeur des tensions et des pressions,dans la tempête des convulsions planétaires...
Dans quelques jours, premiers buts du Mondial de football au Brésil : un événement planétaire qui va forcément mobiliser les médias, mais aussi les groupes de pression avides de visibilité.
Née dans un pays neutre, l’industrie des montres ne peut plus arguer de sa neutralité face aux grands débats planétaires.
▶▶▶ GÉOPOLITIQUEAu coeur des tensions et des pressions,dans la tempête des convulsions planétaires... ◉◉◉◉ LES FAMEUX « ANONYMOUS » – hackers redoutés – ont promis de perturber le Mondial du Brésil au prétexte de la corruption qui a gangrené toute la préparation de ce championnat du monde. Cibles : les marques partenaires de la FIFA – institution dont on aura remarqué qu’elle fait déjà l’objet de multiples attaques, dans le monde entier, pour cause de corruption [des supposés pots de vin payés par le Qatar pour se voir attribuer le Mondial 2022]. De quoi remettre en cause bien des stratégies marketing liées au football… ◉◉◉◉ À TOUT MOMENT, LES MARQUES DE LUXE peuvent se voir reprocher de commercer avec tel ou tel pays réputé « sulfureux ». On avait crucifié Chopard à cause des milliers de montres livrées autrefois au colonel Khadafi pour les 40 ans de sa prise de pouvoir. On se souvient également comment le Swatch Group s’était fait épingler par un lobby américain pour son activité en Iran (Business Montres du 22 août 2012) et comment il s’était empêtré dans une vaine polémique (Business Montres du 26 août 2012) sans rien comprendre aux règles de la communication de crise. On se demande rétrospectivement combien l’extinction de cet incendie a coûté au groupe et rapporté au groupe de pression accusateur. Toujours avec le même Swatch Group, qui s’est provisoirement acquis le silence révélateur de la presse suisse (en dépit des révélations de Business Montres), on peut s’attendre au pire quand sonnera l’heure du méga-procès de corruption intenté, en Inde, contre les organisateurs des Jeux du Commonwealth et leurs partenaires (dont le Swatch Group, à travers Swiss Timing). ◉◉◉◉ LA SIMPLE MONTRE D'UN CHEF DE L'ÉTAT – la Rolex de Nicolas Sarkozy – peut suffire à ostraciser durablement une marque et à plomber une campagne électorale. La collection de montres hors de prix d’un narco-trafiquant ou d'un dictateur discrédite toute une profession. En Chine, les « montres de corruption » ont envoyé en prison plus d’un amateur aux poignets un peu trop ostentatoires. Partout dans le monde, les blogueurs questionnent les poignets et prennent les montres en otages médiatiques de leurs contestations politiques… ◉◉◉◉ PLUS RÉCEMMENT, on se souvient de l’action des lobbies tentant de parasiter les jeux Olympiques d’hiver à Sotchi, actions qui peuvent reprendre demain à l’occasion de n’importe quelle compétition sportive internationale [attention, par exemple, au prochain Grand Prix de Russie de F1, à Sotchi, en octobre 2014 !], plus spécialement ceux qui se déroulent dans les pays qui correspondent pas aux critères éthiques de conformité édictés par le Département d’Etat américain. La morale géopolitique a ses raisons que la morale traditionnelle ne connaît pas… ◉◉◉◉ TOUT DERNIÈREMENT, après l’adoption par le sultan de Brunei [longtemps le meilleur client des montres suisses] de la charia islamique, ce sont tous les investissements occidentaux de ce sultanat qui ont été pris pour cible par les lobbies européens, qui ont appelé au boycott des hôtels de luxe à capitaux totalement ou partiellement gérés par l’Agence d’investissement du Brunei. Quand on découvre qu’un acteur majeur du luxe comme François-Henri Pinault (actionnaire dirigeant du groupe Kering) appelle, au nom des droits de l’homme, au boycott de ces hôtels brunéis, on se dit que le monde est décidément devenu complexe à comprendre… 
◉◉◉◉ LES MARQUES HORLOGÈRES SONT ÉGALEMENT confrontées aux convulsions d’une planète déstabilisée par l’émergence de nouvelles puissances et travaillée par des ferments pathogènes. Elles peuvent aussi subir de plein fouet les conséquences de conflits localisés sur leurs marchés de référence : la guerre civile en Ukraine a non seulement mis un coup d’arrêt brutal au commerce local des montres [environ 5 % des exportations horlogères suisses, légales ou parallèles], mais le marché grand-russe – stratégique pour les maisons horlogères – a subi par contagion les conséquences directes de cette instabilité régionale : selon les marques de montres, le business local a plongé de 50 % à 80 %. Pas bon du tout dans un contexte de décroissance. ◉◉◉◉ LES TENSIONS INTERNATIONALES POURRAIENT demain parasiter les opérations commerciales avec toute la Russie [en cas de sanctions occidentales, assorties de contre-sanctions russes], mais aussi avec tous les pays russifiés d’Asie centrale et, au-delà, avec la Chine [l’actuelle « lutte contre la corruption » est une forme de protectionnisme déguisé] et, pourtant pas, avec les rives du Pacifique (Thaïlande, Malaisie, Indonésie), dont les marchés restent porteurs d’une fragile croissance. Ceci pour ne rien dire de l’Afrique méridionale, qui aurait tout pour devenir une « nouvelle Chine » (Afrique du Sud, Angola, Mozambique, voire Nigéria ou Côte d’Ivoire), mais dont l’instabilité géopolitique terrifie les marques de luxe… ◉◉◉◉ TROIS FACTEURS PARTICULIÈREMENT TOXIQUES dans cette carte mondiale des nouveaux périls : d’une part, le pouvoir de conviction autant que de confusion né de la diffusion massive d’Internet, place publique planétaire où s’entremêlent toutes les guerres d’influence entre des lobbies qui s’autoproclament comme autorités morales et des raisons d’Etat jamais très morales. D’autre part, il faut compter avec l’évolution collective des mentalités vers de nouvelles exigences éthiques, qui rendent intolérables les atteintes (à géométrie variable) aux droits de l’homme autant – voire surtout – que les faits de corruption et, dans une moindre mesure, les saccages de l’environnement. ◉◉◉◉ ENFIN, LA PLANÈTE N'EST PLUS CE QU'ELLE ÉTAIT, avec la naissance de véritables « Etats voyous », la prise de pouvoir régionale de puissances mafieuses plus ou moins clandestines (narco-jihadistes en Afrique, terrorisme institutionnalisé, groupes armés non étatiques, etc.) et la libération parfois téléguidée de particularismes régionaux. Le cocktail Internet + moralisme + séparatisme est devenu géopolitiquement explosif… 
◉◉◉◉ LES MARQUES DE LUXE ONT HORREUR de ces chantages éthiques et de ces pièges que sont devenus les conflits régionaux. Autrefois (c’est-à-dire il y a moins de vingt ans), le métier horloger était relativement simple. On préparait un catalogue en fabriquant quelques échantillons de montres, on rencontrait une fois par an, à Bâle, les agents et les distributeurs chargés de les revendre à travers le monde et on repartait dans ses vallées pour les fabriquer et les livrer, avec les mêmes routines reconduites d’année en année. ◉◉◉◉ IL FUT UN TEMPS OÙ LES MONTRES IWC servaient à rémunérer les informations recueillies en Russie par les agents secrets européens. Même les pays arabes n’ont jamais pu imposer le boycott des marques qui commerçaient avec Israel. Personne n’aurait reproché à Rolex de commercer avec la Chine de Mao ou de vendre ses montres à Fidel Castro : après tout, James Bond portait une Rolex et SAS une Seiko [avec une Tissot pour OSS 117]. L’ordre géopolitique était d’autant plus simple à comprendre qu’il était tétanisé par la guerre froide… ◉◉◉◉ LA GLOBALISATION DES ÉCONOMIES a obligé l’horlogerie suisse à changer d’échelle, en poussant ses marques – souvent tombées dans le périmètre de groupes de luxe et de conglomérats financiers – à s’implanter dans le monde entier. Une maison qui ne serait pas distribuée dans une cinquantaine de pays ne serait plus aujourd’hui une marque de référence, d’où la prime aux leaders et la crise d’obésité foudroyante de ces marques : 50 pays, avec 1 million de frais promotionnels par marché [ce qui est parfaitement grotesque pour des pays de taille même modeste], c’est déjà 50 millions de budget publicitaire, soit un minimum de 200 millions de chiffre d’affaires ! On comprend pourquoi, en temps de crise, les gros grossissent quand les maigres maigrissent. ◉◉◉◉ LE PROBLÈME EST QUE CE TERRAIN DE JEU GLOBALISÉ a également globalisé les risques directement encourus par les marques, qui sont impliquées sur des marchés aux codes culturels antagonistes. Exemple : la belle idée d’une Big Bang Hublot en hommage à la Déclaration des droits de l’homme, dont le texte était gravé sur la montre. Un concept porteur en Occident, mais il a suffi que la Chine fronce les sourcils pour que la pièce disparaisse instantanément des vitrines ! Le nouvel ordre géopolitique d’un monde qui cherche encore à stabiliser sa multi-polarité n’est plus simple du tout à décoder – et encore moins sous la pression permanente d’Internet, qui accélère la globalisation des éruptions fébriles. Même l’Europe (Kosovo, Ukraine, etc.) n’échappe plus à la prolifération des crises… 
◉◉◉◉ LA GÉOPOLITIQUE EST DEVENUE UN RISQUE MAJEUR pour le commerce horloger, mais on ne trouve aucun spécialiste de la gestion de ces risques dans les états-majors suisses. C’est ce qui rend les montres plus sensibles que jamais à ces fureurs du siècle. L’exposition aux risques éthiques est maximum, avec une vertigineuse montée en puissance des soupçons de corruption, qui sont aujourd’hui le facteur le plus dangereux – parce que le moins prévisible et le plus difficile à combattre de façon convaincante. Des sanctions – étatiques ou médiatiques – peuvent tomber à tout moment, alors que les pays développés les plus exposés à cette corruption figurent malheureusement parmi les meilleurs clients de l’horlogerie suisse de prestige. ◉◉◉◉ LES ENTREPRISES DE LUXE SONT D'AUTANT PLUS FRAGILES qu’elles ne sont pas auto-immunes et qu’elles représentent, en termes sémiologiques, des cibles faciles, sensibles et solvables, donc rémunératrices : qu’on se souvienne ici de l’empressement des parfums Guerlain a éteindre – financièrement et matériellement – une campagne antiraciste née et exacerbée par des propos imbéciles d’un représentant de la famille Guerlain, qui était depuis longtemps sorti de l’entreprise ! Le nom est une valeur fragile et facile à salir. Les lobbies activistes s’en donnent à cœur joie ! ◉◉◉◉ C'EST ENCORE PLUS SENSIBLE POUR LE LUXE HORLOGER, qui ne vend que des objets superflus, chargés de valeurs (dans tous les sens du terme) immatérielles à forte résonance symbolique et dotées de puissantes intensités métaphoriques. Le moindre soupçon attaché à la réputation – un parfum de corruption, des diamants de sang, un scandale sexuel – peut éclabousser les dirigeants, fracasser le rêve et engendrer des dégâts d’image considérables. Or, à l’ère du soupçon, aucune marque ne peut rester – même si elle le doit – rester insoupçonnable sous le regard aiguisé et avide des « patrouilles du bien » auto-proclamées… ◉◉◉◉ HIER, LA LOI ET L'ORDRE SUFFISAIENT pour définir ce qu’était un « bon » marché et un bon cadre de travail. Aujourd’hui, c’est le règne de la morale et du soupçon, avec une ambiance assez terroriste de « dictature du bien » contrôlée de près par le bas clergé numérique et ses relais médiatiques : Fair business is clear business – mais on n’apprend pas vraiment la transparence et l’éthique dans les écoles de commerce. Dans ce contexte de realpolitik moralisante à outrance, la géopolitique est devenue un risque majeur. Attention aux dégâts ! 
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