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DROIT DE RÉ>PONS #8 (accès libre) : « Mais que se passe-t-il de si grave à Hong Kong ? » (Les plus grands détaillants de la planète déterrent la hache de guerre contre les marques suisses)

La révolte des détaillants de Hong Kong pose des questions qui intéressent toute la planète horlogère : on a exporté sur place trop de montres à des prix trop élevés qui se vendent désormais trop peu parce que le marché a trop changé. Et pas en bien...  ▶▶▶ LES RÉVOLTÉS DE HONG KONG« - 40 % de montres vendues à Hong Kong, mais + 22 % de montres exportées sur …


La révolte des détaillants de Hong Kong pose des questions qui intéressent toute la planète horlogère : on a exporté sur place trop de montres à des prix trop élevés qui se vendent désormais trop peu parce que le marché a trop changé. Et pas en bien...

 
LES RÉVOLTÉS DE HONG KONG
« - 40 % de montres vendues à Hong Kong,
mais + 22 % de montres exportées sur place :
cherchez l'erreur ! »
 
◉◉ IL Y A QUELQUES JOURS, et même le mois dernier, Business Montres (24 avril) a publié une lettre confidentielle de la Fédération des horlogers de Hong Kong à Leung Chun-ying, le « gouverneur » de cette région administrative spéciale, qui représente sur place le pouvoir central de Beijing (texte intégral : Business Montres du 28 avril). Qui sont ces détaillants et que nous disent-ils ? Business Montres a publié cette lettre confidentielle, mais n’attendez pas que les médias perroquets vous en parlent : circulez, il n’y a rien à voir. C’est la politique de l’autruche, un exploit pour des perroquets ! D’abord, ce sont des grands noms de la montre : leur Fédération représente à peu 90 % du business horloger à Hong Kong, qui est la première place commerciale d’exportation dans le monde pour les montres suisses (officiellement un peu moins de 20 % de la valeur de ces exportations, beaucoup plus officieusement). 
 
◉◉◉◉ CES DÉTAILLANTS NOUS DISENT qu’ils en ont ras-le-bol, que la crise est plus grave qu’on ne le dit à Hong Kong, que leurs ventes sont en baisse de 40 % par rapport à l’année dernière et qu’ils ont sur place de 6 à 10 mois de stocks invendus. Sans parler de ce qu’ils ont stocké de l’autre côté de la frontière, en Chine intérieure. Si on lit entre les lignes, ces détaillants ont deux cibles. Rappelons encore une fois qu’ils pèsent à peu 20 % de l’activité horlogère suisse. Première cible : les marques suisses, contre lesquelles ils viennent de déterrer la hache de guerre. Ces détaillants hongkongais les accusent de manœuvres sournoises sur le marché parallèle (les marques suisses vendraient directement des quantités phénoménales de montres sur les marchés parallèles, ce qui pourrit les marchés officiels). Ils accusent aussi les Suisses de manipuler les prix de vente sous prétexte de désordres monétaires internationaux (dollar, euro, rouble, yuan). On augmente les prix ici, on les baisse là, non pour assainir le marché, mais pour créer de nouveaux flux commerciaux générateurs de profit. Là, un premier commentaire : ces détaillants hongkongais sont eux-mêmes les plus grands parallélistes du monde. Depuis une vingtaine d’années, ils ont bâti des fortunes colossales, avec la complicité des marques suisses, en achetant des quantités invraisemblables de montres pour les écouler en Chine, hors circuits officiels : rappelons qu’une montre sur deux, sinon deux montres sur trois vendues en Chine ne passent pas par les revendeurs officiels des marques, ni par leurs boutiques. C’est donc l’arroseur arrosé…
 
◉◉ LA DEUXIÈME CIBLE DES DÉTAILLANTS HONGKONGAIS, c’est leur gouvernement de Beijing, dont ils sont proches économiquement et politiques. Aussi milliardaires soient-ils, ils ont tous fait allégeance à Xi Jinping et ils siègent, en tant que milliardaires de la nouvelle économie chinoise dans les instances représentatives du Parti communiste. Ils demandent implicitement à Xi Jinping de sévir contre ces marques suisses qui ont choisi de ne plus les respecter.  Une incitation à agir qu’il faut situer dans le cadre de la nouvelle politique d’incitation à la consommation du pouvoir central chinois. Là encore, Business Montres (29 avril) est le seul média horloger à en avoir parlé à ses lecteurs – parce que c’est très important, et même stratégique pour ce qui va se passer sur le marché horloger en Chine : ce ne sont pas les médias perroquets qui prendraient le risque de tirer la sonnette d’alarme à ce sujet. Ce qui est regrettable, parce que l’équipe de Xi Jinping a décidé de réorienter vers l’économie intérieure chinoise les 120 milliards de dollars dépensés chaque année par les touristes chinois hors de Chine. 120 milliards qui seront dépensés en Chine même (on met en place des zones commerciales spéciales, hors taxes) et qui muscleront un peu plus le yuan, dont les Chinois veulent faire une monnaie internationale pour remplacer le dollar. Il se vendra toujours des montres, beaucoup de montres (1,3 milliard de consommateurs) en Chine, mais uniquement sous le contrôle de l’Etat et des réseaux « autorisés » par le pouvoir – c’est-à-dire, à peu de choses près, sous le contrôle direct ou indirect des réseaux de détaillants hongkongais. Leur stratégie est donc simple : ils disent aux marques suisses « Attention, on va se fâcher » et ils disent en même temps au pouvoir central chinois « Intervenez contre ces marques suisses qui ne jouent pas le jeu avec nous »… 
 
◉◉ ON POURRAIT EN RIGOLER s’il ne s’agissait pas, en ajoutant à Hong Kong le marché chinois, de plus de 30 % des exportations chinoises, mais aussi de 60 % des ventes de montres dans le monde en comptant tout ce que peuvent acheter ces touristes chinois hors de Chine, en Asie, en Europe, dans le Pacifique et aux Etats-Unis… Deux montres suisses sur trois : ça vaut le coup de s’y arrêter et d’y prêter attention. Ça mérite surtout d’y réfléchir, parce que ces détaillants de Hong Kong nous racontent tout ce dont l’industrie des montres suisses souffre et toutes les pratiques qui la mettent au plus mal alors qu’elle est attaquée par les montres connectées. Ce qui se passe à Hong Kong est révélateur de ce qui se passe partout dans le monde. Il y a trop de stocks sur tous les marchés, où les prix de vente sont trop élevés parce qu’on dépense trop en marketing pour vendre trop de montres qui se ressemblent trop pour créer de vraies émotions. L’industrie suisse produit trop de montres, qui ont été trop vite mises sur le marché pour y trouver leur place. Trop de nouveautés tuent le désir. Trop de surenchère dans le bullshit marketing éteint la passion. Avant la création de la bulle horlogère, au début des années 2000, on n’imaginait pas qu’on pouvait vendre autant de montres sur cette planète. À présent, avec l’explosion de la bulle horlogère, on n’imagine pas qu’on ne puisse plus en vendre autant.
 
◉◉◉◉ IL FAUT POURTANT SE FAIRE À CETTE IDÉE : la fantastique demande chinoise – celle qui a sauvé l’horlogerie suisse en 2009, alors que la crise bancaire et financière commençait à naufrager le marques – cette fantastique demande était causée par une non moins fantastique bulle du crédit en Chine, pays épargné par la crise bancaire pour cause de déconnexion de l’économie mondiale. En 2009, non seulement l’« atelier du monde » regorgeait de liquidités (excédents de change), mais le pouvoir central a décidé d’amplifier les effets de cette richesse en maintenant le yuan très bas. Les enrichis de la Chine, qui ne savaient plus quoi faire de leur argent, ont investi dans des actifs qui leur paraissaient tangibles et culturellement valorisants comme les montres suisss. Aujourd’hui, c’est fini : non seulement la lutte anti-corruption a calmé les appétits de montres suisses chez les élites, mais la classe moyenne ne veut plus que des montres « normales » – aujourd’hui encore suisses, demain chinoises. Le marché ne pourra donc plus absorber les phénoménales quantités qu’il ingurgitait hier. Il ne pourra pas mieux éponger des stocks qu’on peut évaluer entre un et deux ans de consommation d’avance (c’est variable selon les niveaux de prix et les gammes de montres).
 
◉◉◉◉ HONG KONG, C'EST AUSSI LE PARADIS du marché parallèle : c’est par nature un marché de ré-exportation. Les problèmes des détaillants locaux sont ceux des détaillants du monde entier, obligés de passer des commandes supérieures à leurs ventes – ceci sous la pression, sinon sous le chantage des marques. Quand la bulle se gongle et quand les marchés croissent, c’est moins grave. Ça devient dramatique quand la décroissance s’installe : plus question de remplir des tuyaux qui débordent. Le marketing devient inefficace pour résorber les surstocks. Les boutiques sont désertes. La purge fait toujours très mal. Personne ne veut voir cette réalité. Les uns par rapacité (ils ont la terreur de gagner moins), les autres par myopie ou par manque d’intelligence stratégique. Les signaux faibles de cette débâcle annoncée étaient repérables et assez faciles à interpréter : Business Montres ne s’en est pas privé, mais le crétin regarde toujours le doigt quand on lui désigne un de ces signaux faibles. Il faut aussi compter avec le conformisme des managers qui barbotent dans le mainstream de la pensée unique horlogère : cette routine intellectuelle va se payer cher et les détaillants de Hong Kong ont commencé à présenter la facture.
 
◉◉◉◉ UN DÉTAIL : on est à moins 40 % à Hong Kong (selon les détaillants eux-mêmes), mais les statistiques suisses nous apprennent qu’on a exporté + 22 % de montres vers cette zone au mois de mars. Cherchez l’erreur ! Nous en sommes là et ça ne sent pas bon. À bientôt pour un nouveau Droit de Ré>Pons... 
 
Photo du 09-05-2015 à 14.17
 
 
 
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