ENCHÈRES 2014 : La mise en faillite d'Antiquorum (sous pavillon Izzi Trip) est l'indice d'une coagulation des facteurs de déstabilisation...
Le 30 / 05 / 2014 à 13:27 Par Le sniper de Business Montres - 2868 mots
Commercialement, tout va pour le mieux sur le front des enchères horlogères. Sauf que le marché reste durablement déstabilisé par ses mutations en cours : la décision des juges genevois de déclarer Antiquorum-Izzi Trip en banqueroute n'est qu'un indice révélateur de ce malaise...
▶▶▶ « GOING, GOING, GONE »
Les enchères ne sont plus du tout un long fleuve tranquille... ◉◉◉◉ APRÈS LE DÉPART-SURPRISE D'AUREL BACS FIN 2013, on pouvait penser le département Montres de …
Commercialement, tout va pour le mieux sur le front des enchères horlogères. Sauf que le marché reste durablement déstabilisé par ses mutations en cours : la décision des juges genevois de déclarer Antiquorum-Izzi Trip en banqueroute n'est qu'un indice révélateur de ce malaise...
▶▶▶ « GOING, GOING, GONE »
Les enchères ne sont plus du tout un long fleuve tranquille... ◉◉◉◉ APRÈS LE DÉPART-SURPRISE D'AUREL BACS FIN 2013, on pouvait penser le département Montres de Christie's passablement affecté, sinon déstabilisé. Le catalogue de mai a prouvé qu'il n'en était rien, du moins apparemment : lots superbes, enchères brillantes [remarquables pour Rolex, un peu moins étincelantes pour Patek Philippe], résultat final au double de Sotheby's, qui avait pourtant sorti son catalogue le plus consistant de ces dernières années. Sauf que la sérénité n'est plus de mise : de nombreux signaux, plus ou moins faibles/forts, trahissent un ébranlement en profondeur d'un marché des montres de collections qui est loin d'avoir retrouvé son calme et sa vitesse de croisière. Quels sont ces indices de déstabilisation ? ◉◉◉◉ EN SOI, LA FAILLITE D'ANTIQUORUM (IZZI TRIP) n'est que le plus récent des multiples épisodes judiciaires qui ont meublé la chronique depuis le limogeage d'Osvaldo Patrizzi, en 2007. Ne revenons pas sur cet épisode, largement couvert par Business Montres depuis sept longues années, sinon pour remarquer que ce putsch anti-Patrizzi – viré comme un délinquant, et par ses propres « amis » (alliés et actionnaires), de la maison qu'il avait créé – était un séisme dont le marché subit encore les répliques. Entraînant Antiquorum dans un déclin spectaculaire, l'éviction d'Osvaldo Patrizzi a permis à Aurel Bacs (Christie's) de devenir la superstar des enchères, ce qui était en soi un facteur de déséquilibre, d'autant que Sotheby's n'arrivait pas clairement à tirer son épingle du jeu. Facteur supplémentaire : le gonflement d'une sorte de « bulle » dans les salles de ventes, avec des montres récentes qui servaient de « monnaie parallèle » [les fameux « biens tangibles », faciles à transporter et fongibles n'importe où dans le monde sans perdre trop de valeur] et des montres de collection qui calquaient leur valorisation sur les oeuvres d'art... ◉◉◉◉ CETTE MISE EN FAILLITE D'IZZI TRIP (nouvelle raison sociale de l'ancienne Antiquorum SA, qui avait transféré tous ses actifs à Antiquorum Genève : indiscrétion Business Montres du 23 mai dernier) n'est cependant pas que la banale condamnation d'une « coquille vide », dont le nom de baptême tenait de la mauvaise parodie (révélation Business Montres du 12 mars 2013). Faute de pouvoir payer ce qu'elle devait à ses créanciers (dettes sociales et remboursements de clients), l'entreprise Izzi Trip a été déclarée en faillite pour les juges genevois. Drôle de drame que cette faillite ! On ne comprend pas comment Evan Zimmermann (l'actuel CEO, chef de file des putschistes anti-Patrizzi, qui venait pourtant de signer un accord financier avec de nouveaux partenaires : voir ci-dessous) a pu commettre une telle erreur stratégique : faute de 750 000 CHF, il va permettre à ses adversaires [Osvaldo Patrizzi était toujours actionnaire] d'avoir accès aux comptes de l'entreprise. Avec une dangereuse rétro-activité de deux ans : période qui va également permettre à l'Office des faillites de se pencher sur les conditions de ce transfert d'actifs entre Izzi Trip et Antiquorum Genève, d'autant que ces dettes fatales n'avaient pas été provisionnées par les deux administrateurs (Evan Zimmermann et Julien Schaerer) et qu'il peut y avoir des soupçons d'évasion fiscale pour la minoration de ces actifs. Là, dans le cadre de possibles poursuites pour faillite frauduleuse, on sort du civil pour relever du pénal. Rappelons que le contentieux entre Antiquorum et le camp Patrizzi porte au total sur... à peu près 35 millions de francs suisses ! En même temps que son nouveau droit de regard sur les comptes (qui a payé quoi, quand, comment, à qui et à quel prix ?), Osvaldo Patrizzi gagne également l'extinction de multiples actions juridiques annexes liées au dossier Antiquorum-Izzi Trip : autre conséquence de l'erreur stratégique ! Pour les amateurs de montres de collection, Antiquorum est donc plus roguetioneer (rogue auctioneer) que jamais, le volet new-yorkais de l'affaire étant également plutôt mal engagé pour l'actuelle direction... ◉◉◉◉ ET QUE DEVIENNENT LES NOUVEAUX INVESTISSEURS ANNONCÉS PAR ANTIQUORUM ? Généralement, une entreprise se félicite de voir arriver des nouveau investisseurs capables de développer son activité. Sauf que, depuis l'annonce de son alliance avec le fonds suisse Fides Business Partner, Antiquorum se refuse à toute communication un tant soit peu précise à ce sujet : un surprenant « No comment » est opposé à toute question, y compris du côté du partenaire Fides Business Partner – ce qui est un peu inquiétant pour un investisseur apparemment persuadé qu'Antiquorum, leader dans son métier, vend les plus belles montres du monde, aux meilleurs prix et avec le meilleur service. On a connu des investisseurs plus loquaces – et surtout plus rassurants pour les collectionneurs. Cette opacité, conjuguée aux mauvaises nouvelles venues du front judiciaire, ne sont pas des facteurs de confiance pour les amateurs, alors que le marché envoie d'autres signes troublants... ◉◉◉◉ INDICE MAJEUR DE DÉSTABILISATION : la multiplication des rumeurs. Depuis quelques semaines, les annonces de départs et d'arrivées des uns et des autres, les uns chez les autres, ne cessent d'interpeller le microcosme. S'il est exact que Sam Hines – qui avait la co-responsabilité des montres chez Christie's – quittera cet été cette maison (c'était un révélation Business Montres du 25 mars), il est encore prématuré de l'annoncer ailleurs, même si on peut penser que ce sera chez Philipps, qui se relancerait sur le marché des enchères horlogères. Le départ de Tim Bourne de la direction des montres Sotheby's semble relever l'intox plus que de l'info, même s'il est probable de voir bientôt débarquer chez Sotheby's une « pointure » des enchères. On signale encore ici et là des chaises musicales. Aurel Bacs est annoncé un peu partout : des journalistes imaginatifs ou visionnaires l'ont même vu enchérir pour le compte de ses « clients » dans des salles de ventes où il n'était pas présent, voici quelques semaines. Il suffit pourtant de consulter les registres du commerce de Genève pour découvrir qu'il a récemment déposé les statuts de sa propre société de négoce en montres, Bacs & Russo SA, au capital de 100 000 CHF, avec Aurel Bacs comme président et Livia Russo (son épouse) comme administrateur. Comme il est de toute façon toujours lié à Christie's par une clause de non-concurrence, il est douteux de le voir réapparaître sur le marché avant les ventes de fin d'année... ◉◉◉◉ CE RECLASSEMENT DES ACTEURS DU MARCHÉ ne concerne pas que ceux qui tiennent le marteau. En rupture avec son fonds d'investissement horloger Precious Time, qui semble en hibernation pré-léthale, Alfredo Paramico intervient directement comme intermédiaire entre les collectionneurs dont il est une des références transatlantiques. il est probable qu'Aurel Bacs – qui sait exactement qui possède quoi et qui veut acheter ou vendre, puisqu'il a vendu les plus belles montres de ces dix dernières années – occupera la même position sur un second marché où les frais imposés par les maisons d'enchères (pas loin de 30 %) sont loin de faire l'unanimité. De même, on voit exploser le nombre des marchands de montres vintage, mais « en chambre », alors même que les grandes maisons d'enchères mettent en place des structures de vente en directe, sinon, comme Christie's, de véritables boutiques pour accélérer les transactions sans attendre les catalogues des grandes ventes. Lesquelles sony de plus en plus vouées aux lots exceptionnels porteurs d'image. Le paysage des enchères horlogères se reconfigure donc à une vitesse inattendue : les leaders d'hier ne sont plus ceux de demain et les nouvelles stars attendent de nouveaux publics, pendant qu'émerge un vigoureux marché des transactions privées... ◉◉◉◉ L'OFFRE ELLE-MÊME NE CESSE D'ÉVOLUER alors que le nombre des amateurs intéressés par les montres de collection a été multiplié par cinq ou six au cours de ces dernières années. Alors que les ventes ne concernaient guère que l'Europe [et encore, uniquement Genève !], à peine les Etats-Unis et tout juste Hong Kong, elles sont désormais suivies dans toute la planète : on compte en ligne ou sur place des amateurs venus d'une cinquantaine de pays différents. Sociologiquement et culturellement différents, ces amateurs ont forcément des goûts et des demandes différentes. Hormis pour quelques objets exceptionnels [ce n'est même pas sûr], le marché des montres et pendules anciennes (du XVIe au XIXe siècle) est en train de s'effondrer, avec des prix moyens divisés par deux, voire beaucoup plus, au cours de la dernière décennie et des collections qui vieillissent avec leurs collectionneurs faute de transmission de la passion. La passion éphémère des Chinois pour les montres émaillées était un feu de paille. Les exceptions à cette règle ne feraient que confirmer la tendance générale au stretching du marché : envolée des cours pour les lots de qualité musée et tassement pour les lots courants. C'est la prime au leader, même si le leader absolu de ces dernières années – Patek Philippe – voit désormais ce statut contesté par le retour en force de marques comme Rolex ou Vacheron Constantin. Si elle relève aussi de la création permanente d'une « monnaie parallèle » pour les échanges [et le blanchiment] internationaux, la cote soutenue des montres neuves ou quasi-neuves sous le marteau confirme les goûts changeants d'une clientèle d'amateurs pressés d'exhiber leurs hochets contemporains... ◉◉◉◉ ON VÉRIFIERA CETTE MUTATION DE LA DEMANDE lors de la vente Sotheby's de New York du 10 juin prochain. Elle regroupe quelques propositions mémorables, dont on pourra analyser les performances réciproques : les collectionneurs dotés d'une solide culture horlogère seront sensibles aux charmes uniques du chronographe à rattrapante Patek Philippe (voir Business Montres du 22 mai et découvrir la chronique d'Osvaldo Patrizzi du 26 mai), tandis que les amateurs plus sensibles à des pièces uniques contemporaines se régaleront avec la série des Patek Philippe en titane, dont une ou deux sont potentiellement « millionnaires » (en bas de la page). Quoiqu'il ne doive pas échapper, comme à l'époque, au musée Patek Philippe, le chronographe Patek Philippe de 1923 (ci-dessus) doit absolument atteindre, sinon dépasser, les 3,3 millions de dollars de son enchère de 1999 (en dollars constants). Sinon, c'est qu'il y a un problème. Ce ne serait pas un signal positif adressé au marché pour la Patek Philippe « Graves » (ci-contre) que Sotheby's revendra en fin d'année à New York et qui est supposée avoir conservé sa valeur de 2002 – 11 millions de dollars (Business Montres du 28 mai) – ce qui est loin d'être gagné d'avance... ◉◉◉◉ UN DERNIER FACTEUR ENDOGÈNE DE TROUBLE après tous ces facteurs exogènes : alors que les mutations en cours remodèlent le modèle de ventes aux enchères pour les montres de collection, force est de constater que rien ne change en interne. Autant les décennies précédentes avaient vu exploser les initiatives « révolutionnaires », autant il ne s'est rien passé depuis... le départ d'Osvaldo Patrizzi d'Antiquorum ! Ce dernier avait inventé les ventes aux enchères pour les montres-bracelets, matrice de tout le futur auction marketing pour les marques, les catalogues détaillés et illustrés, les ventes thématiques, les enchères délocalisées dans les capitales du monde, les enchères en ligne, les ventes silencieuses et on en oublie. Il avait inventé le microcosme des collectionneurs, ce mélange détonnant et suractif de marchands et de grands collectionneurs rituellement réunis tout au long de l'année dans quelques salles de culte. Depuis 2007, le métier vit sur cet héritage : certes, les catalogues sont plus élaborés, les ventes mieux scénarisées, les online bidders plus vifs et les experts mieux informés, mais on aimerait un peu d'idées fraîches et de sang neuf... ◉◉◉◉ NE JAMAIS OUBLIER QUE, POUR LES MARQUES, le marché des enchères est absolument décisif, même s'il ne pèse guère sur le seul plan économique [moins de 300 millions de dollars de chiffre d'affaires pour les montres aux enchères, contre près de 25 milliards de dollars pour l'horlogerie internationale] : c'est une question d'image, d'évaluation réciproque entre les « cotes » des marques, de baromètre régulièrement remis à jour, de confiance des amateurs dans la pérennité de leur investissement, de dialogue entre les maisons historiques et leurs collectionneurs. Au-delà du marketing patrimonial, les enchères sont le réacteur vital du marché des montres... D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...