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COMME TOUS LES MARDI (accès libre)
Et si le plus tragique était devant nous, avec la sortie annoncée du confinement ?

Des statistiques horlogères pas si dramatiques, des manufactures qui redémarrent, des nouveautés qui se profilent sur les écrans : serait-ce le printemps pour l’horlogerie ? Il suffit d’y croire ! Mais on peut aussi redouter que le pire soit à venir, dès qu’on pourra commencer à évaluer les dégâts de ce premier trimestre sabbatique…


POURQUOI LA « RENTRÉE »

DE LA SEMAINE PROCHAINE

DEVRAIT EFFRAYER LES BISOUNOURS 

(éditorial)

Faisons confiance aux ravis de la crèche pour se réjouir doublement ces jours-ci. Que de bonnes nouvelles, en effet ! D’une part, l’horlogerie sera à peu près totalement sortie du confinement d’ici à la fin du mois : c’est formidable, on va pouvoir recommencer comme avant à produire et à exporter, alors même que les boutiques horlogères vont rester fermées sur les deux-tiers des marchés (Europe, Amériques) et tout juste rouvertes sur le dernier tiers restant (Asie). D’autre part, les statistiques d’exportations horlogères du mois de mars ne sont pas si tragiques que ça : 21,9 % de baisse en valeur, alors que tout était à l’arrêt, n’est-ce pas merveilleux, presque miraculeux [nous reviendrons un peu plus bas sur cette génération spontanée].

De là à croire à une « reprise » imminente et à un héroïque « rebond », voire à un magique « retour à la normale », il n’y a qu’un pas que les ravis de la crèche ont joyeusement franchi dès ce matin avec un énorme soupir de soulagement. Effectivement, quand on regarde la légendaire « moyenne mobile » de ces exportations (ci-dessus), on se dit que tout ne va pas si mal et qu’on est très loin de cette chronapocalypse dont parle si souvent Business Montres. Effectivement… Sauf que, bien sûr, ce graphique lénifiant et optimisant (ci-dessus) ne reflète en rien la situation réelle de l’économie des montres. Toujours aussi visionnaire et anticipateur, Jean-Daniel Pasche, le président présumé disparu de la FH (Business Montres du 21 avril), nous annonce cependant une « probable » détérioration des exportations le mois prochain (ci-dessous). « Probable » ? Avec tout ce qu’on peut constater sur les marchés, ce candide « probable » relève de l’hyper-optimisme et de la méthode Coué, mais on pourra au moins déjà se féliciter que le président de la FH ait commencé à comprendre qu’il y avait le feu dans la maison…

Derrière les chiffres « positifs » qui circulent ici et là, une évidence : c’est le Parti communiste chinois qui est à la manœuvre, à la fois pour sauver la mainmise du pouvoir de Xi Jinping sur la Chine [l’instabilité politique ne cesse de croître et la stabilité du régime est menacée] et pour tenter de reprendre la main sur le plan géopolitique : la Chine exploite très habilement l’état de déréliction de l’Europe et des Amériques pour se poser en sauveur de l’ancienne économie globalisée et en futur leader de cet ancien monde où tout continuerait comme avant. Autant dire qu’il faut rester prudent sur les éléments de langage optimistes que peuvent diffuser, sur place, les officiels chinois et leurs relais économiques ou médiatiques. Ceci en admettant que, si frémissement dans les boutiques il y a, ce ne sont le plus souvent que des transactions qui avaient été décidées en début, avant ou pendant le confinement, pour des biens dont la livraison n’avait pas été possible du fait de la fermeture des boutique et du blocage des chaînes logistiques : ce ne sont pas vraiment des ventes, mais des reports, des régularisations et des « récupérations » (voir notre article sur une fantastique et démonstrative désinformation à propos d’une boutique Hermès à Guangzhou : Business Montres du 14 avril). Cumulés sur quelques jours, ces montants peuvent impressionner, mais ils ne disent rien de la demande réelle – plutôt faible, sans être nulle, selon les témoignages dignes de foi…

Qui ne se réjouirait de voir les manufactures horlogères relancer l’activité dans leurs ateliers de l’arc romand ? Qui ne se réjouirait du retour au bureau des services jusqu’ici confinés en télétravail ? C’est là que le bât blesse et qu’il vaudrait mieux ne pas se réjouir trop vite de ce retour à une activité « normale » et de cette « lumière au bout du tunnel ».

• Parce que c’est maintenant, avant tout une reprise des opérations, pas un sursaut du business !

• Parce que c’est maintenant, une fois passé l’éblouissement de cette lumière dont on avait perdu l’habitude dans le tunnel, qu’on va réaliser l’ampleur des dégâts et le champ de ruines de ce qui s’annonce comme la pire récession horlogère depuis la dépression des années 1930 !

• Parce que c’est maintenant qu’on va commencer à dénombrer les victimes et à faire les comptes sur les marques qui vont partir en faillite une fois consommé le prêt accordé par la Confédération !

• Parce que c’est maintenant que les directions vont commencer à envisager, après les mesures de chômage partiel qui ont adouci le confinement, à quel point les trains de licenciements sont nécessaires : une industrie qui perd la moitié de ses volumes en trois mois peut-elle conserver le même niveau d’emploi ?

• Parce que c’est maintenant que ces directions vont étudier les contractions de la masse salariale nécessaires à leur survie de leurs entreprises (réductions de salaires qui concerneront aussi, on l’espère, les directions en question, jusqu’à présent pas très pressées de suivre l’exemple de Bernard Arnault) !

• Parce que c’est maintenant que les actionnaires vont réaliser qu’il est temps de tirer la prise pour limiter la casse (on peut s'attendre à des changements de tour de table, voire à des descentes en vrille) et que les analystes boursiers, très « gentils » avec les horlogers ces jours-ci, vont commencer à sanctionner une branche qui peut déjà faire de 2020 une année sabbatique…

À tel point qu’on peut se demander si la récession en cours, qui devrait se traduire par une baisse d’activité globale de 30 % à 50 % d’ici à la fin de l’année, ne se muera pas très vite en dépression, l’horlogerie n’étant qu’un des secteurs les plus sinistrés d’une économie mondiale globalement récessive et bientôt dépressive. Même s’il est probable que l’économie du luxe repartira [quoique sur d’autres bases que dans l’« ancien monde », avec d’autres valeurs et d’autres piliers que les montres], on peine à comprendre où l’horlogerie traditionnelle pourrait trouver de nouveaux clients dans une ambiance économique aussi négative et aussi « nationaliste » [priorité aux acteurs locaux !] : la demande solvable sera de moins en moins sur les marchés qui avaient assuré le gonflement de la bulle, mais elle peut rester forte sur les marchés traditionnels si l’offre s’adapte en devenant plus créative, plus ludique et plus accessible. C’est même la condition sine qua non qui permettra de relancer des volumes significatifs pour éviter à l’horlogerie suisse une archipellisation en niches menacées par l’érosion et la submersion des montres connectées. On vous laisse réfléchir là-dessus…

LES BONNES,

LES MOINS BONNES

ET LES AUTRES NOUVELLES DU JOUR

❑❑❑❑ LE MIRACLE DU JOUR : c’est tout de même une performance que l’horlogerie suisse ait pu exporter au mois de mars 900 000 montres, pour une valeur de 1,3 milliard de francs suisses, alors que toutes les boutiques horlogères étaient fermées dans le monde, ainsi que toutes les manufactures ! Miraculeux ? Pas vraiment : c’est seulement l’indice de ce que nous pressentions dans nos éditions précédentes : même confinés en télétravail à domicile, les logisticiens des marques ont suivi et appliqué sans coup férir les stratégies de livraisons décidées en début d’année. Stratégies qui relèvent de la rotation des stocks plus que de l’activité commerciale, mais on ne va demander au service des expéditions à quoi servent les montres qu’on déplace sur les marchés. La preuve de ces translations, qui ne sont qu’improprement qualifiées d’exportations, et qui relèvent du bonneteau plus que de la rigueur économique : + 21 % d’exportations vers des Etats-Unis en pleine crise sanitaire ou + 10,5 % vers la Chine, c’est du rapatriement, de l’anticipation ou du kriegspiel logistique ?

❑❑❑❑ L’AVERTISSEMENT DU JOUR : tiens, la FH se soucie de la décorrélation de ses statistiques avec les ventes réelles sur le terrain. Petite note en bas de communiqué, avec la touche de cosmétique lénifiante de rigueur : « Bien que très négatif, le résultat de Hong Kong (-41,3%) est encore loin de la baisse réelle du sell-out et reflète en partie la moins mauvaise situation des marchés de réexportation alentours ». Effectivement, quand ce qui était le principal marché d’exportation des montres suisses plonge à ce point (-36 % depuis le début de l’année et même depuis 2018), il est temps de se poser des questions sur l’avenir de ce marché, qui n’est plus la plateforme de réexpédition qu’il était. On voit ainsi apparaître dans les trente premiers pays importateurs de montres suisses les Philippines (28e place, +10 % depuis 2018)…

❑❑❑❑ LES SURPRISES DU JOUR : que se passe-t-il pour que la République tchèque se hisse à la trentième place des pays importateurs, avec 40 % de hausse des exportations suisses en mars ? Même question pour les Philippines (ci-dessus) ou le Canada (+5,7 %, sans doute un transfert pour pallier la fermeture des frontières américaines). On laisse de côté les plus de 1 000 % constatés pour l’Irlande : c’est essentiellement une question de facturation sur place de la logistique délocalisée pour Bvlgari et quelques autres marques [l’Irlande est un paradis fiscal européen pour qui sait y faire]. On relèvera aussi les 57,6 % de baisse des exportations vers l’Italie et les -48 % du marché français, l’Allemagne contenant l’effondrement à -33,1 %, l’Espagne à 35,9 % et les Pays-Bas à 33,7 %.

❑❑❑❑ L’INVITATION DU JOUR : un séminaire en ligne pour débattre de l’avenir de l’horlogerie ? On dit webinaire, en précisant live et interactif pour faire chic. Thème : « L’industrie horlogère est à un tournant. Vers quoi ? ». Tenteront de répondre à cette question Myret Zaki : journaliste et experte en communication, Olivier R. Mueller : Analyste et consultant luxe, Ariel Adams : Fondateur aBlogtoWatch, consultant luxe, Pierre-Yves Donzé : Historien, spécialiste horloger, Thierry Huron : Fondateur The Mercury Project et Emeric Delalandre : Fondateur Meotion. C’est jeudi 23 avril et vendredi 24 avril (renseignements)…

❑❑❑❑ LA BANDE-SON DU JOUR : tiens, pour changer et pour se remuer les jambes, pour s’aérer les neurones et pour se refaire un moral, un peu de vraie pop music (teintée de rock), avec le Beat It de Michael Jackson (1983). Entre autres paroles, le refrain qui défie le confinement : « Just beat it, beat it, beat it, beat it / No one wants to be defeated / Showin' how funky and strong is your fight / It doesn't matter who's wrong or right / Just beat it (Beat it) ». Rappelons que Business Montres a décidé de créer une play-list optimiste et nostalgique pour aider tout le monde à se déconfiner mentalement…

❑❑❑❑ JE JEU-TEST DU JOUR : un peu de culture horlogère pour ne pas mourir idiot du coronavirus ! Les bonnes réponses à précédent quiz de confinement (Business Montres du 20 avril) étaient : Espace-A ; Quantième perpétuel-E ; Breitling-G. Voici maintenant trois nouvelles questions tirées d’un de nos précédents « Tour des montres en 80 tests ». Rendez-vous dans notre prochain numéro (mercredi) pour les bonnes réponses d’aujourd’hui !

❑ Pour les horlogers, le « rochet » est… A) le râteau denté qui soulève les levées du marteau pour la frappe des heures dans les montres à sonnerie ? B) la roue dentée qui est fixée par un carré sur l’arbre du barillet ? C) le pignon coulant qui permet d’armer par la couronne le ressort de remontage de la montre ?

❑ Le « stop secondes » de la montre Benu que propose la manufacture allemande Moritz Grossmann est constitué d’un frein… D) réalisé avec les cheveux blonds de Christine Hutter, la présidente de la marque ? E) des barbes de duvet des cygnes élevés librement dans la Müglitz, rivière qui borde la manufacture ? F) de moelle de rameaux de sureau récoltés à l’automne sur les hauteurs du Weicholswald, au-dessus de Glashütte ?

❑ La montre Jack Pot de Girard-Perregaux est une sorte de « bandit manchot » de poignet développé avec l’horloger… G) Frédéric Garinaud (Renaud Papi) ? H) Mathias Buttet (BNB) ? I) Christophe Claret ?

❑❑❑❑ UN GESTE UTILE : a vez-vous pensé à « liker » ou à signaler à votre communauté notre vidéo sur la fausse reprise et le « rebond » purement théorique de l’horlogerie suisse ? Pensez aussi à vous abonner et à faire s’abonner vos proches ! 0 % publicité, 100 % liberté : il revient à nos lecteurs de nous soutenir en favorisant la diffusion de nos interventions, qu’elles soient éditoriales (comme cette page du Quotidien des montres) ou audiovisuelles comme la vidéo ci-dessous

`❑❑❑❑ LE DESSIN DU JOUR : pour une fois, ce n’est pas un dessin, mais une petite annonce (séquence « Sérieux s’abstenir » : Business Montres du 18 avril). Tout commentaire serait superflu, mais certains croient encore à la survie possible de Baselworld…

❑❑❑❑ À NOS AMIS LECTEURS

Alors que l’horlogerie est au point mortavec ses manufactures et ses ateliers fermés ou très ralentis, nous profitons de cette chronapocalypse pour proposer un supplément de pages en accès libre. C’est notre contribution à l’« effort de guerre » de toute la communauté horlogère, pour la soutenir dans les difficultés qu’elle affronte et qui ne font que commencer. Nos lecteurs, anciens et surtout nouveaux, pourront ainsi mieux profiter des loisirs que leur offre le confinement. À vous, en retour, de nous soutenir par un geste simple et très efficace : vous abonner (moins de 70 centimes par jour) pour bénéficier tranquillement de toutes nos informations, de toutes nos chroniques et de toutes nos analyses. Nous comptons sur vous comme vous pouvez compter sur nous pour ne pas vous abandonner dans cette crise aux conséquences incalculables…


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