GÉOPOLITIQUE # 2 : Le Swatch Group s'enferre dans la polémique iranienne
Le 25 / 08 / 2012 à 06:16 Par Le sniper de Business Montres - 1611 mots
Pas facile de se dépatouiller d'un dossier de crise comme celui des questions américaines sur le "soutien" du Swatch Group au régime iranien. Surtout quand l'affaire est mal engagée !
C'est encore pire quand on persiste dans ce qu'il ne faut jamais faire en communication de crise : se tromper de terrain... Errare humanum est, perseverare diabolicum...
••• Peut-on vendre des montres de luxe aux dignitaires du régime iranien ? Par nature, une entreprise n'a pas à choisir ses clients : …
Pas facile de se dépatouiller d'un dossier de crise comme celui des questions américaines sur le "soutien" du Swatch Group au régime iranien. Surtout quand l'affaire est mal engagée !
C'est encore pire quand on persiste dans ce qu'il ne faut jamais faire en communication de crise : se tromper de terrain... Errare humanum est, perseverare diabolicum...
••• Peut-on vendre des montres de luxe aux dignitaires du régime iranien ? Par nature, une entreprise n'a pas à choisir ses clients : on peut commercer avec l'Iran – nation dont tous les amateurs de montres ne sont pas des piliers du régime – sans pour autant cautionner la politique nucléaire du gouvernement des ayatollahs. Ça, c'est la théorie. La pratique, c'est que la tension monte au sein de l'opinion publique américaine au sujet de l'Iran : de multiples officines – peut-être liées à des intérêts israéliens, puisque Jérusalem semble vouloir en finir avec le dossier iranien avant les élections américaines de novembre – font feu de tout bois pour maintenir la pression et préparer les esprits à une frappe contre les installations nucléaires iraniennes...
••• Très en vue pendant les jeux Olympiques, la marque Omega était une cible de choix pour les lobbyistes anti-nucléaires de l'UANI, sorte d'ONG qui s'attaque médiatement aux entreprises (de préférence de luxe) actives sur le marché iranien pour les convaincre de s'en retirer. Des marques comme Porsche, Shell, General Electric ou Siemens ont déjà craqué et retiré leurs billes. Business Montres a raconté tout cela dès le 22 août, en expliquant à quel point le Swatch Group était juridiquement dans son droit et moralement en tort. Surtout après la réponse intempestive de Nick Hayek aux sommations d'UANI : voir, dans notre article, la liste des quatre premières erreurs impardonnables commises par le groupe suisse dans la gestion de cette communication de crise...
••• En dépit de tous les dangers et de la gaffe précédente, Nick Hayek persiste et signe ! Nouvelle et tragique erreur de communication : il descend sur le terrain de la polémique et somme à son tour UANI de préciser d'où proviennent les fonds de cette campagne anti-iranienne et à quoi ils sont utilisés. C'est évidemment le point faible de ces opérations de lobbying : il y a toujours des intérêts cachés derrière ces campagnes d'opinion, commandées par un émetteur pour incapaciter ou influencer un récepteur. En d'autres termes, à qui le crime profite-t-il ? Des groupes de pression comme UANI bénéficient à l'évidence de financements pas forcément avouables, ni forcément honorables...
••• Pour en savoir plus sur UANI, la notice Wikipedia [rédigée par l'organisation] est très révélatrice du professionnalisme de ce groupe de pression et de ses réussites auprès des grandes entreprises internationales, de même que la biographie de Mark Wallace, son CEO, s'avère très précieuse pour cadrer le sérieux et la détermination du personnage, ainsi que ses relations dans les cercles néo-conservateurs (les "faucons") de Washington. On appréciera également dans ces notices les dimensions du réseau médiatique d'UANI et de son président, qui est d'ailleurs marié à une éditorialiste du New York Times, elle-même ancienne directrice de la communication de l'ex-président américain George W. Bush...
••• Nick Hayek a, une fois de plus, intellectuellement raison de pointer du doigt cette faiblesse d'UANI (l'opacité de ses financements en tant qu'organisation non-profitable), mais il a techniquement tort de descendre lui-même dans l'arène pour y mettre en cause son adversaire sur ce point précis. C'est à la fois (très) bien vu et (très) mal exécuté. Une telle erreur tactique est confondante : on tend les verges à l'adversaire pour qu'il vous humilie ! Et c'est très dangereux dans le cadre d'une guérilla éthico-sociétale comme cette polémique anti-iranienne, avec une opinion publique pré-conditionnée pour ne voir que des méchants dans le camp des "amis" supposés de l'Iran...
••• UANI – décidément très habile dans ce ju-jitsu médiatique – ne laisse pas passer une si bonne occasion et impose à nouveau ses éléments de langage : d'accord pour mettre cartes sur table [sauf pour les sources financières que cette publicité pourrait menacer de mort en Iran : autant dire qu'on ne dira rien], à condition que le Swatch Group prouve qu'il ne bénéficie d'aucun soutien – clients, partenaires commerciaux ou managers – au sein du régime de Téhéran et des Gardiens de la révolution (source : UANI). En substance, UANI lance au Swatch Group : prouvez ce que vous avancez, à savoir que vos clients sont "des personnes, et non un régime" !
••• En voulant contre-attaquer, Nick Hayek se retrouve repoussé dans les cordes : c'est, une fois de plus, à lui de se justifier sur la présence du Swatch Group en Iran. Plus il s'enferre, plus il cautionne cette présence en paraissant défendre le régime des ayatollahs. Le président du Swatch Group ne peut évidemment rien dire au sujet de ses clients, ni à propos de ses managers, qui ont forcément, quelque part, des attaches au sein du pouvoir iranien : il s'est donc condamné lui-même à ne pas pouvoir argumenter dans une polémique qu'il a pourtant lancée. S'il fallait effectivement tenter de délégitimer UANI à propos de ses sources de financements et de ses motivations géopolitiques obscures, il ne fallait pas le faire d'une façon aussi naïve, abrupte et sourcée. Pour ne pas laisser la pluie gâcher son beau costume tout neuf, le Gribouille de la comtesse de Ségur se jetait dans une rivière...
[caption id="attachment_5554" align="aligncenter" width="527" caption="Citation de la comtesse de Ségur : « Fin comme Gribouille, qui se jette dans l'eau par crainte de la pluie »"][/caption]
••• Le schéma stratégique est maintenant bien campé et le scénario impeccablement rédigé. Les rôles sont bien répartis entre les acteurs pour les scènes suivantes. Le challenger (UNIA dans le rôle de David, le petit et le gentil, qui se bat pour la morale) se victimise en acceptant de jouer la transparence, presque au prix de révélations mortelles pour ses soutiens. De son côté, le Swatch Group (Goliath, le gros, le riche et le "méchant" ami des Iraniens, qui se bat pour l'argent) est obligé de se taire et de s'enfoncer dans son silence – ce qui est forcément suspect. Plusieurs règles élémentaires et basiques d'une communication de crise bien comprise ont été piétinées ou ignorées. Les postures sont médiatiquement idéales pour un duel perdu d'avance...
••• Comme Business Montres le pressentait dans son précédent article, l'affaire est loin d'être terminée. UANI a planté ses crocs dans un mollet qu'il n'espérait pas aussi juteux, ni aussi tendre, ni aussi mal défendu : les activistes anti-iraniens ne vont pas lâcher le morceau de sitôt... S'il y avait un conseil à donner maintenant à Nick Hayek, qui n'en a évidemment pas besoin tellement il est entouré de génies de la communication de crise, c'est d'embaucher à son tour un lobbyiste américain pour régler ce problème au plus vite, sans laisser pourrir la situation. Solution possible : faire un gros chèque à Mark Wallace, le président d'UANI. C'est incroyable ce qu'une poignée de dollars peut débloquer avec ces professionnels du chantage aux entreprises...
••• Nous sommes évidemment désolés de n'avoir que les informations d'UANI comme sources de première main dans cette enquête, mais le Swatch Group se refuse évidemment à tout commentaire à ce sujet, pas même la moindre communication du moindre document de sa correspondance polémique avec la direction d'UANI...
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