UKRAINE (accès libre)
Il aura fallu une semaine de combats pour qu’on commence (à peine) à sortir du silence radio
« Business Montres » a attendu quatre jours, cinq jours et même six jours avant d’opter pour un coup de gueule qui semble avoir réveillé la profession. On est cependant encore très loin d’une prise de conscience collective et de prises de position un tant soit peu mobilisatrices. On vous prépare cependant une bonne surprise, en direct du front…
« Mais qu’est-ce qu’il te prend ? », nous disait-on, ce mercredi, après la publication de notre chronique « Sans filtre » (Business Montres du 2 mars), en nous répétant qu’on ne devrait jamais parler de politique dans le business ! Après une semaine de batailles en Ukraine, il fallait pourtant bien que quelqu’un se décide à donner un coup de gueule pour rappeler la communauté horlogère à un minimum de common decency (voir notre vidéo ci-dessous). Nous avions déjà attendu quatre jours, puis cinq jours et enfin six jours pour décider de parler, après avoir vainement espéré, dès le week-end dernier, qu’une mobilisation des consciences était en train de s’opérer au sein de l’établissement horloger. Rien n’est venu, à part la réaction publique d’un Georges Kern, dont on nous dit à présent, dans les milieux horlogers ukrainiens, qu’il est en train de devenir un héros local – une sorte de Guillaume Tell suisse ! Pourquoi pas ? Signalons tout de même la très courageuse lettre ouverte de Dan-Andrei Kluska (Watch I love) pour rappeler l’industrie des montres à ses devoirs moraux…
Depuis notre chronique de mercredi, quelques évolutions se font sensibles. Kering a promis une aide substantielle pour les réfugiés. Immédiatement après, LVMH a annoncé un chèque de cinq millions d’euros pour aider la Croix-Rouge : pour un groupe qui pèse 340 milliards d’euros à la Bourse et qui a réalisé 12 milliards de profits en 2021, c’est déjà bien ! Ici et là, on entend parler de collectes qui s’organisent dans les entreprises et dans les groupes au profit des collègues en poste en Ukraine. Une vague solidarité semble se dessiner, mais à des échelons subalternes et certainement pas au niveau des directions [aucune n’a encore risqué de prise de position officielle], du top management [à part Georges Kern], des marques et des groupes : nous ne doutons pas de la modestie de certaines marques, qui poussent l’esprit charitable jusqu’à refuser de communiquer sur les bienfaits solidaires dont elles font preuve à l’occasion de ce conflit ukrainien, mais on aimerait des vraies preuves d’amour plutôt que des paroles d'amour et des envolées lyriques proférées en off et à la sauvette. Visiblement, l’horlogerie a beaucoup de mal à réagir avec la même rapidité que la mode, qui en fait parfois un peu trop – comme si les marques n’avaient pas encore compris que nous avions changé d’époque et qu’on attendait maintenant d’elles un minimum de responsabilité sociale et d’engagement citoyen...
On note bien sûr, ici ou là, quelques tactiques défensives : c’est tel groupe qui annonce vouloir cesser toutes ses opérations commerciales avec les belligérants dans la zone du conflit ou c’est tel autre groupe qui fait savoir qu’il abandonne ses activités de commerce en ligne avec les pays concernés. On a un peu l’impression que, dans la maison en feu, certains songent en priorité à sauver l’argenterie plutôt qu’à combattre les flammes. De toute façon, comme tout est désorganisé sur place, qu’il n’y a plus ni trafic aérien, ni fret dans les ports et que les hommes valides sont mobilisés en Ukraine pour la défense de leur pays, personne ne prend un grand risque à annoncer une suspension du business ! On aurait préféré que ces groupes se soucient davantage de leurs personnels sur place et de leurs partenaires commerciaux locaux, sachant que ce n’est pas en cessant d’y faire des affaires qu’on va aider ces personnels et ces partenaires à maintenir leurs ressources et à pouvoir survivre avant de tout reconstruire…
On passera ici sur les réflexes désarmants d’égoïsme de quelques CEO, qui ont d’abord cherché à savoir si leurs approvisionnements venus d’Ukraine étaient garantis ou si leurs stocks sur place étaient bien assurés : une telle générosité vis-à-vis d’un peuple sous les bombes laisse pantois. Que pèsent quelques caisses de composants et quelques montres de luxe face au martyre d’une population prise en otage par des ambitions géopolitiques qui la dépassent ? On s’abstiendra aussi de commenter les déclarations ahurissantes d’autres CEO, qui se félicitaient récemment [et publiquement, c’est le pire !] de la croissance de leur chiffre d’affaires dans leurs boutiques ukrainiennes, aux premiers jours du conflit, alors que les riches profiteurs kiéviens préféraient se remplir les poches de montres et de bijoux avant de se réfugier en Pologne : la common decency n’est visiblement pas enseignée dans les grandes écoles commerciales ! C’est toujours ça de pris, penseront quelques cyniques, qui commencent à comprendre qu’un trou noir abyssal vient de se creuser entre la Pologne et la Sibérie, où se mijote une crise économique capable de tout emporter sur son passage. On va forcément en reparler dans les jours qui viennent…
Eh oui, c’est ainsi, on aurait espéré beaucoup plus et beaucoup mieux de la communauté horlogère, de son établissement, de ses élites et de ses représentants. Il aura fallu attendre que Business Montres ose prendre la parole pour que les autres médias horlogers [perroquets financés par les marques ou publi-rédactionnement dépendants] y aillent de leurs commentaires ! Pas un mot de la FH, comme nous l’avons dit, sans même le regretter tellement cet état comateux devient la règle pour une Fédération horlogère qui ne fédère plus que du vent et de l’insignifiance ! Pas une prise de position des marques, nous l’avons également souligné, à de très rares exceptions près ! Pas un geste de tous ces réseaux qui font des fortunes sur le marché secondaire des belles montres : les auctioneers sont aux abonnés absents, les spéculateurs regardent ailleurs et les trafiquants s’inquiètent pour leurs investissements précédents. Pas joli, joli, tout ça, et en tout cas très décevant [sauf pour ceux qui ont sauvé l’honneur d’une profession], alors que les Russes et les Ukrainiens, peuples de haute culture horlogère, figuraient parmi nos meilleurs clients passés – passons pudiquement sur les reptations serviles de toutes les marques et de toutes les élites qui n'ont cessé, au courrs de ces dernières années, de se traîner aux pieds du tsar Poutine dans les salons d'honneur du Kremlin…
Heureusement, nous allons très prochainement reparler ici même de quelques initiatives concrètes et de ceux qui n’ont pas attendu, ni tergiversé pour marquer leur solidarité avec le peuple ukrainien avec beaucoup d’efficacité. On vous promet un grand récit pour le début de la semaine prochaine. Comme les moutons de Panurge d'un troupeau ahuri, vous pouvez toujours stocker des pastilles d’iode contre les radiations nucléaires, mais c’est bien plus intelligent et bien plus enrichissant personnellement de pratiquer une vraie acupuncture du bien, ici et maintenant, en aidant et en donnant effectivement ici et en soutenant solidairement et moralement là…