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BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
Le livre qui va vous faire réfléchir sur l’industrie des diamants et sur les diamantaires

« À l'ombre du diamant » : contrairement au titre de son ouvrage, Jean-Baptiste Mayer jetait une lumière crue sur les coulisses du marché des pierres précieuses. Ce qu'on y découvrait – et ce qu'on y reniflait – tenait plus du marigot boueux que du jardin d'Eden (reprise d’un article de mai 2015 : rassurez-vous, rien n’a changé depuis !).


 JOAILLERIE

Quand vous aurez lu ce livre et que vous aurez savouré les élucubrations de ce diamantaire, vous ne pourrez plus jamais acheter une pierre précieuse ou un bijou serti...

À l’ombre du diamants – Les élucubrations d'un diamantaire – lequel diamantaire n'a pas vraiment les yeux dans l’ombre ! Contrairement au titre de son ouvrage, Jean-Baptiste Mayer jette une lumière crue sur les coulisses du marché des pierres précieuses. Ce qu'on y découvre – et ce qu'on y renifle – tient plus du marigot boueux que du jardin d'Eden...

C’est le genre de « livre » dont on ne sort pas indemne. Pourquoi des guillemets à « livre » ? Tout simplement parce que À l'ombre du diamant ne ressemble pas à un « livre » de librairie ou d'éditeur (diffusion exclusive sur le site, format e-book), bien conventionnel, bien balisé et bien formaté. Parce le signataire n'est pas un auteur qui se prend au sérieux [mais un négociant en pierres précieuses installé à Bâle] et qui entend délivrer un « message » aux larges masses ébahies : il raconte ce qu'il a vu et ce qu'il sait – ce qui est déjà beaucoup. Parce que le texte tient plus de la prise de notes, quasiment du sketch book, de l'instantané et des souvenirs au fil de la mémoire que de l'ouvrage solidement ficelé. On peut d'ailleurs regretter qu'aucun éditeur n'ait eu le courage de faire son métier face à un tel texte, véritable diamant brut dans sa gaine de rocher, qu'il aura suffi de retailler [NDLR 2020 : il existe depuis la parution de ce premier article une édition classique sur papier, mais elle est épuisée, ce qui est plutôt bon signe !]...

À l’ombre du diamant, c’est un pot-pourri [pas pourri du tout !] d'histoires, pas toujours anecdotiques, de connaissances, de pratiques et d'immoralités multiples de la joaillerie. On commence par y croiser le truculent, inquiétant et stupéfiant personnage de Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689, ci-dessus, par Largillière), chasseur de gemmes de la cour de France au XVIIe siècle, dont on repère les doigts crochus et la morale élastique autour de nombreux « diamants historiques », connus ou disparus. Tout se termine aujourd'hui dans les salles de vente aux enchères [que de manipulations et de combines !] où se battent de troublants « records du monde » qui n'en sont peut-être pas et dans les mines de diamants d'une Afrique impitoyable. Dans l'intervalle, on aura poussé une pointe vers les fabuleux gisements de diamants des souverains indiens, avec un détour par la place Vendôme, quelques incursions dans les grandes places diamantaires (Anvers, Bangkok et les autres) et des rencontres avec les grands noms des grands marchands (Harry Winston, Laurence Graff, Beny Steinmetz en Afrique). Décors variables, des ateliers indiens aux grands palaces internationaux et du lac de Genève à une Sierra Leone africaine qui relève de l'enfer de Dante. Jean-Baptiste Mayer (ci-dessous) n'épargne rien, ni personne, pas même les grandes marques dont il parle (Cartier, Bvlgari, Chopard, De Grisogono) : la chasse aux pierres précieuses est un luxe exigeant, qui réclame beaucoup de sacrifices – et beaucoup de savoir-faire marketing dès qu'il s'agit de vendre du rêve avec autant d'éclaboussures de boue. L'envers du décor n'a rien de paradisiaque : les pierres sont une passion qui exacerbent toutes les passions, surtout les pires. Pour paraphraser la série Dallas, qui est un conte de fées pour gamins de moins de trois ans à côté d'un texte comme À l'ombre du diamant, « pierre précieuse, ton univers impitoyable »...

L’avantage du e-book d’amateur (au meilleur sens du terme), c'est, d'une part, la disponibilité immédiate de l'ouvrage (un ou deux clics) et son accessibilité (en termes de prix et de lecture électronique), mais aussi la spontanéité sans filtre du texte proposé par l'auteur : pas la moindre censure extérieure, pas la moindre auto-censure et pas le moindre repentir – juste le plaisir de raconter et de dire les faits tels qu'on les connaît ou tels qu'on les ressent. C'est un gage de fraîcheur, à défaut d'être une garantie de haute tenu littéraire : on est plus ici dans le vin de soif que dans le grand cru millésimé, mais que c'est rafraîchissant ! Et que c'est bon de découvrir quelques explications globales qui donnent un sens à des informations éparses qu'on ne comprenait pas forcément auparavant. Surtout, un tel texte aide à décoder les messages des marques et à ne pas être victime de leurs paillettes et de leurs légendes joaillières. S'il dépoétise le commerce des pierres, il n'en efface pas du tout l'éternelle magie et la fascination à travers les siècles. On peut même estimer qu'il réenchante le diamant, qui était la parure ordinaire des gens extraordinaires, mais qui devient ou tend à devenir la parure extraordinaire des gens ordinaires...

L’univers des pierres précieuses est un monde à part. Ce livre nous aide à en percer quelques secrets, histoire de ne pas « mourir idiot », victime des affiches et du marketing. La fascination dont nous venons de parler concerne les plus belles pierres du monde, celles qu'on ne découvre qu'une ou deux fois par siècle comme celles qui nous ont été léguées par les mines aujourd'hui fermées du passé. Que les montres semblent les parents pauvres de cette activité diamantaire, que les pierres précieuses qui y sont serties semblent tristes, médiocrement taillées et faiblement scintillantes – quels que soient les certificats élogieux dont elles disposent pour nous épater ! Que de parures qui n'ont rien d'ultimes, alors qu'elles le prétendent et qu'elles ne sont que les fruits d'astucieuses combinaisons commerciales : on lira avec profit les typologies nationales de clientèles de ces pierres précieuses, histoire de mieux comprendre pourquoi les joyaux qui se vendent à Paris n'ont pas de succès en Allemagne. On découvre là à quel point la valeur supposée de ces pierres est d'abord hautement « culturelle » et « vernaculaire » avant d'être simplement « précieuse ».

On découvrira également comment le commerce de ces pierres est un enfer pavé de très mauvaises intentions et peuplé de gens très méchants, très délinquants et très malfaisants, généralement protégés par les pouvoirs politico-militaires qui terrorisent leur population (en haut de la page : un clin d’œil à Tintin en Amérique). À commencer par ce scandale international que reste le commerce des pierres précieuses africaines, qui inondent le marché international en dépit de leur illégalité certifiée légale par les régimes politiques les plus corrompus de cette planète. Honte aux marques de joaillerie qui s'en accommodent et qui abusent de ces « diamants de sang » tout en nous faisant croire à l'éthique de leurs achats de pierres. Business Montres avait déjà présenté, sur sa chaîne images Business Montres Vision, un reportage saisissant – et très apprécié par tout le monde – qui présentait une mine de diamants en Angola. Avec Jean-Baptiste Mayer, on se promène aussi dans l'Afrique des « fourmis » aux valises bourrées de cash qui ramassent l'or et les diamants destinés à être transformés en bijoux de marque dans des ateliers indiens ou asiatiques : ne vous demandez plus pourquoi la petite joaillerie des marques italiennes est aussi bon marché – l'auteur vous en indique la recette...

Bien entendu, les « professionnels de la profession » vous diront que l'auteur raconte n'importe quoi, par aigreur ou par esprit de vengeance. Ceux qui vont sur le terrain vous avoueront, au contraire, qu'il a le courage d'écrire en clair ce que tout le monde murmure dans l'ombre. Question de courage – une valeur que Business Montres a toujours apprécié. Question aussi de respect de soi et d'appréciation de celui qu'on regarde dans sa glace, le matin, quand on se rase. Jean-Baptiste Mayer sera-t-il cloué au pilori, pendu par ses pairs ou brûlé par les talibans d'une haute joaillerie virginale ? On peut parier que les tenants d'une respectabilité joaillière habituée à repousser la poussière sous le tapis ne prendront pas le risque d'ouvrir le dialogue avec lui. Ils ont tort, évidemment : la passion et la fascination pour les diamants est immémoriale, alors que les vices et la corruption qui les salissent est parfaitement mémorisable [NDLR 2020 : on peut même se demander si l’actuelle vogue des diamants de culture ne s’explique par ce discrédit éthique des diamants naturels]. L'erreur, face à des situations scandaleuses qui ne peuvent plus être occultés, c'est l'omerta, qui discrédite la pierre autant que celui qui la commercialise et celui qui la met en scène. La faute, c'est de faire semblant de n'avoir pas entendu et de dénigrer le doigt quand ce doigt montre l'éclat du diamant et les soleils noirs qui gravitent autour de lui...

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL  : Quand vous aurez lu ce livre et que vous aurez savouré les élucubrations de ce diamantaire, vous ne pourrez plus jamais acheter une pierre précieuse ou un bijou serti (Business Montres du 5 mai 2015)


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