> 

BUSINESS MONTRES x WATCH AROUND
(accès libre) Le mythe Kickstarter face à sa propre obsolescence

Quel nouveau créateur de montres ne rêve pas de s’imposer comme le « Daniel Wellington » de demain ? Le problème est qu’on décalque trop le modèle, sans audace disruptive. Les couleurs du sociofinancement se fanent plus vite que prévu. Reprise d'un article de Grégory Pons dans l'édition de septembre de l'excellente gazette horlogère « Watch Around »...


Le temps des records sur Kickstarter semble bien révolu. Créée en 2009 aux États-Unis (2015 en Europe), cette plateforme de sociofinancement par souscription publique a permis à de nombreuses jeunes marques de faire leur premier galop d’essai : en 2012, Pebble y avait trouvé plus de 10 millions de dollars pour une montre connectée aujourd’hui bien oubliée. Les records horlogers restent ceux de Filippo Loreti (4 millions de dollars en 2017) et d’Alpina côté Swiss Made (1,5 millions de dollars en 2018). Les campagnes récentes restent tendanciellement orientées à la baisse : des résultats à six chiffres relèvent désormais de l’exception et ils sont imprévisibles. La créativité semble elle aussi en berne : 80 % des nouvelles offres sont plus ou moins décalquées d’un style scandinavo-minimaliste à la Daniel Wellington, le restant jouant dans le registre archi-rebattu de la montre de plongée ou de la montre « militaire », avec une poussée récente des concepts de montres « personnalisables ».

Vecteur de biodiversité, Kickstarter s’est mué en facteur de biomimétisme, dans un écosystème de « caméléons » horlogers qui ne savent plus que se fondre dans le décor et se contenter de menue monnaie – ceci, bien sûr, à quelques exceptions près, comme Code41 ou Ikepod. L’idée n’est plus d’être rupturiste, mais « accessible » en proposant sensiblement le même produit que les créateurs précédents, mais un peu moins cher, un peu plus coloré ou avec un storytelling plus ou moins original – à défaut d’être sincère et crédible...

Loin d’être la rampe de lancement de ses origines, Kickstarter est devenu une simple plateforme d’accompagnement marketing : c’est une galerie commerciale, une sorte d’agora sympathique et générationnelle où les start-ups horlogères viennent nouer le dialogue avec leur communauté, préalablement chauffée à blanc pour rendre plus spectaculaire le démarrage de la campagne. On y travaille dans une logique de présentation plus que de disruption, avec une posture horizontale et non plus verticale. C’est cette capacité conversationnelle que recherchent les marques « installées » qui font à présent leur apparition sur Kickstarter : le succès d’Alpina, dont la montre AlpinerX avait déjà été lancée à Baselworld, n’avait pas d’autre justification.

Il ne s’agit donc plus d’être trop disruptif ou trop compliqué à comprendre : plus minimaliste que moi, tu meurs ! Le néo-mainstream favorise d’autant plus le bioconformisme que les algorithmes ont changé par rapport aux premières campagnes « millionnaires » : le « piratage » des bases de données imprudemment livrées par les concurrents ne sont plus de mise tellement l’outil Kickstarter s’est professionnalisé. Le savoir-faire des agences marketing spécialisées dans le sociofinancement encourage l’aversion à la prise de risque : normal, elles sont payées au rendement ! On teste et on reteste avec prudence, on analyse avec réalisme et on triche avec pudeur : de nouveaux outils d’analyse des campagnes comme Kicktraq permettent de détecter les auto-souscriptions bidonnées et les croissances artificielles.

Kickstarter n’est plus ce qu’il était. Il va devenir urgent d’inventer autre chose pour exprimer les nouvelles offres qui répondent aux nouvelles demandes des nouvelles générations. On attend maintenant la prochaine ubérisation de Kickstarter : 2009-2019, une obsolescence programmée ?

Grégory Pons, 

Éditeur de Business Montres & Joaillerie

••• TEXTE ORIGINAL (édition française) : Watch Around n° 3, septembre 2018.


Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter