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L.LEROY : Le retour aux réalités, avec une prochaine échappée dans l'échappement à la française

Après avoir rêvé d'incarner la renaissance de la haute horlogerie française, la marque L. Leroy est rapatriée dans cette vallée de Joux où elle se fournissait en mouvements « manufacture ». La légende et les paillettes y perdent ce que la réalité de l'aventure y gagne, mais l'avenir se redessine dans une nouvelle légitimité horlogère... ▶▶▶ STORYTELLINGLe rêve lancinant d'une haute horlogerie « à la française »... ◉◉◉◉ Pour les mauvaises langues, le double L de la …


Après avoir rêvé d'incarner la renaissance de la haute horlogerie française, la marque L. Leroy est rapatriée dans cette vallée de Joux où elle se fournissait en mouvements « manufacture ». La légende et les paillettes y perdent ce que la réalité de l'aventure y gagne, mais l'avenir se redessine dans une nouvelle légitimité horlogère...

 STORYTELLING
Le rêve lancinant d'une haute horlogerie « à la française »...
◉◉ Pour les mauvaises langues, le double L de la marque L.Leroy traduisait un certain bégaiement dans le début d'une histoire éternellement recommencée depuis 1785. Pour les initiés, ce double L se déduisait d'un certain embarras dans les aléas d'une histoire de marque ponctuée de césures ravaudées par de miraculeuses homonymies : il y a, au sens propre du terme, de sérieuses solutions de continuité. Peu importe puisque la marque avait connu une première renaissance dans les anciens ateliers de THA de sainte-Croix [structure aujourd'hui rachetée par Carl F. Bucherer], du temps où ces ateliers étaient la grande matrice haute horlogère, avec des François-Paul Journe ou des Vianney Halter aussi bien que les futurs équipiers fondateurs de la manufacture De Bethune (c'était dans les années 1990-2000). Après sa revente à un satellite du groupe espagnol Festina, L.Leroy avait entamé un parcours de requalification sur le thème tricolore, haute horlogerie française et renaissance d'une tradition. Pourquoi pas, et Guillaume Tripet, le nouveau CEO a mis beaucoup d'énergie dans la crédibilité de ce récit, mais les mouvements et la décoration des montres se faisaient tout de même dans la vallée de Joux, chez MHVJ (Manufacture Horlogère Vallée de Joux, au Sentier), une autre société du conglomérat industriel Festina. Situé en face de l'Observatoire de Besançon, l'atelier bisontin de L.Leroy tenait plus du prétexte marketing que de la hot shop créative.
 
 
◉◉ La réorganisation en cours du groupe Festina et sa restructuration industrielle sous la houlette d'un Gérald Roden décidé à aller très vite (chaises musicales Business Montres du 20 février 2013) condamnaient, à terme, ces petits arrangements entre amis français. D'autant que cet atelier bisontin était menacé de fermeture par le départ en retraite de l'opérateur auquel il avait été sous-traité. Après des années de storytelling franco-comtois pur et dur, et l'année même de l'obtention d'un premier prix de précision au Concours international de chronométrie [même si c'était pour une montre montée et réglée en vallée de Joux], l'annonce maladroite de la fermeture de cet atelier – ou plutôt sa non-annonce, repérée par Business Montres dès le 9 décembre dernier – a commotionné la communauté des amis de la haute horlogerie française, alors qu'il ne s'agit que d'un transfert technique et d'un « retour au bercail ». Le contexte électoral tendu pour les prochaines municipales à) Besançon n'a sans doute pas arrangé la situation. L.Leroy n'en conservera pas moins un atelier dédié au SAV et aux opérations françaises à Besançon, dans d'autres locaux du groupe [qui installe également le SAV européen de Perrelet à Besançon]. On peut d'ailleurs douter de la pertinence de ce maintien en France-Comté : il aurait sans doute été plus légitime de créer un atelier de SAV sur Paris, où sont les principaux clients, voire même d'aller radicalement jusqu'au bout de la fiction « haute horlogerie française » en installant un mini-maison Leroy [quand renoncera-t-on à ce ridicule L.Leroy, qui ne veut plus rien dire ?] à Paris, pourquoi pas quai de l'Horloge, dans un quartier aujourd'hui commercialement mort mais qui était celui des ateliers d'Abraham Louis Breguet, à la grande époque. Les montres seront toujours certifiées chronomètre à l'Observatoire de Besançon.
 
◉◉ Le premier bilan des dix ans de la marque L.Leroy sous contrôle Festina est contrasté. Côté positif, la marque existe toujours et elle est respectée par la nano-minorité de collectionneurs qui la connaissent et qui l'apprécient : son récent Prix de chronométrie témoigne du sérieux de la démarche et du savoir-faire des équipes de sa manufacture « déléguée ». Côté négatif, la marque n'a toujours pas réussi sa percée internationale sur le plan commercial [c'est le principal échec] et son positionnement est loin d'être limpide sur un marché néo-classique animé par des marques plus jeunes, qui ont largement dépassé L.Leroy sans en avoir la légitimité initiale (Laurent Ferrier, H. Moser & Cie, etc.). Le design des montres, tout comme celui des mouvements, ne sont en rien générateurs d'émotions : ils témoignent surtout d'une touchante absence de vision sur ce que peut et doit devenir la marque dans les années à venir. On peut se demander où sont passés les trente-cinq millions, voire plus, de francs suisses investis par Festina : on espère que ce n'est pas dans l'achat de couvertures mégalomanes dans des magazines mercenaires comme ci-contre et on découvre que les fastes d'un stand lui aussi légèrement mégalomaniaque à Baselworld ne sont pas un indice encourageant de réalisme marketing.
 
◉◉ La prétention à incarner la « haute horlogerie française » [c'est décidément une maladie endémique en France-Comté : voir les avanies vécues par Péquignet] s'appuyait sur des éléments trop fragiles pour être réellement convaincants : en dépit d'un travail intensif de recherche dans les archives et de l'application de Guillaume Tripet dans ce domaine documentaire, les « trous » historiques du storytelling restent trop évidents pour ne pas être gênants. Ce rêve lancinant de faire renaître de ses cendres un quelconque phénix françajs en devient incapacitant tellement il repose sur une perception statique de la tradition horlogère française : ce mythe ne saurait en aucun cas constituer le pilier d'une noouvelle dynamique de marque. L'insistance sur les éléments complémentaires de la légende (la montre ultra-compliquée Leroy 01 du Musée du temps (ci-dessous et en cartouche dans le haut de la page), toujours pas restaurée sans doute parce que c'est une mission impossible, l'atelier « Potemkine »  de Besançon, etc.) en devenait presque gênant. Une page est en train de se tourner. Il était temps...
 
 
 
 DUUMVIRAT
Les fondations d'une nouvelle refondation...
◉◉ Leroy saison 6 : parés pour la manoeuvre ? Tout dépendra des circonstances et des épisodes précédents, mais il y a déjà eu au moins cinq séquences avant la nouvelle tentative du groupe Festina, qui récupère donc au Sentier l'atelier de Besançon et qui remplace Guillaume Tripet par un centurion au cuir tanné par le soleil des grandes batailles horlogères. Passé par l'école Chopard et par l'école Omega, avec quelques détours chez les fournisseurs, Olivier Müller s'est distingué en tombant le premier pendant la crise de 2008 [il avait inauguré la fameuse « Liste de Müller » en tirant la prise chez Villemont, dès novembre 2008], puis en créant, à partir de rien, la nouvelle marque Laurent Ferrier et en lui donnant une évidente consistance dès les premiers mois de son existence, non sans mériter un premier prix masculin, dès la première année de son existence, au Grand Prix d'Horlogerie de Genève. Limogé sans ménagements cet été, pendant ses vacances (chaises musicales Business Montres du 29 juillet dernier), il rebondit en reprenant en mains le destin de L.Leroy, sans la gonflette marketing bisontine, mais avec le soutien des équipes de MHVJ, renforcée pour l'occasion par un autre vétéran des beaux-arts de la mécanique horlogère, Karsten Frassdorf. On avait repéré ce Frison (longtemps spécialisé dans la restauration des trésors du passé horloger) lors de sa première apparition au salon parisien Belles Montres : sa manufacture Fabrication de montres normandes avait scotché tout le monde alors que le marché néo-classique n'existait pas encore. Victime de clients pas très délicats [contre lesquels il gagne ses procès les plus après les autres], Karsten Frassdorf s'était replié en Suisse pour lancer Heritage Watch Manufactory, tentative de manufacture mécanique de très haut niveau malheureusement torpillée par l'incompétence criante de ses bailleurs de fonds [sans être enterrée, l'idée n'en est pas moins morte et sans doute définitivement en chambre froide]. Avec le tandem Müller-Frassdorf, culturellement compatible sur une base germanique (Olivier Müller a des racines alémaniques) et horlogèrement affûtée sur le plan mécanique (qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, Karsten Frassdorf fait l'unanimité sur son savoir-faire), on peut délivrer une bulletin de sortie optimiste à la nouvelle nouvelle marque Leroy...
 
 
◉◉ D'autant que le nouveau duumvirat est bien décidé à ne pas renoncer au référent « haute horlogerie française », mais à l'exprimer autrement, avec la mise en place d'un nouveau calibre mécanique purement Leroy, avec un « échappement à la française » puisé dans la mémoire de la marque autant que dans la base de données neuronique personnelle de Karsten Frassdorf. Pour avoir à peu près tout restaurer, ce méchanicien d'élite sait à peu près tout de ce qui peut ou non fonctionner, et de ce qui est ou non réellement innovant sur le marché. Les concurrents de la nouvelle option prise par Leroy ne manquent, tant du côté des marques de niche à vocation globale comme Laurent Ferrier ou H. Moser & Cie que du côté des ateliers indépendants comme celui de Kari Voutilainen ou même de Philippe Dufour, dont l'atelier n'est plus qu'à une portée de fusil du nouveau espace Leroy au Sentier et qui ferait un excellent parrain pour cette relance. Vous avez dit « échappement à la française » ? En savoir plus est un peu prématuré, mais les développements sont en cours : reste à savoir ce que peut bien signifier, aujourd'hui, le concept d'« école horlogère française ». On se repose ici la question de ce qui pose l'identité nationale d'une marque ? Débat sans réponse, déjà esquissé par Business Montres le 9 décembre : où placer le curseur ? Si c'est l'actionnaire qui définit cette identité, Leroy est une marque espagnole. Si c'est le savoir-faire technique, Leroy devient suisse. Si c'est l'histoire [et, on espère pour les prochaines années, le style], la marque Leroy s'annonce indéniablement française. Si c'est la personnalité des animateurs, il va falloir trouver un passeport alémanico-allemand. Pas simple...
 
 
◉◉ Le débat est de toute façon faussé à la base : même si Leroy maintenait et développait son atelier de Besançon [Guillaume Tripet avait imprudemment annoncé 50 emplois aux autorités de la ville], il n'y a pas sur place les compétences horlogères nécessaires à une start-up un peu ambitieuse dans le domaine de création indépendante. Où sont les horlogers constructeurs autochtones ? Où sont les régleurs indigènes capables de travailler en finesse ? Où sont, dans le bassin bisontin, les graveurs, les angleurs, les squeletteurs, les guillocheurs, les décorateurs et tous les métiers capables de donner corps à une ambition haute horlogère ? Il faut avoir le réalisme d'admettre que le rêve d'une renaissance des belles montres en France relève toujours du voeu pieux et que les circonstances historiques ne sont pas encore réunies : la masse critique – le nombre de marques concernées et la « matière première » – n'est pas suffisante pour enclencher une réaction en chaîne. Cessons de rêver et admettons que l'humus des vallées suisses reste le plus fécond pour faire (re)naître des marques qui s'appuient sur des traditions mécaniques cinq fois séculaires. L'aventure Leroy est, depuis quatre siècles, un éternel et perpétuel recommencement : place donc aux nouveaux acteurs d'une nouvelle refondation...
 
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