MÉMOIRE : Adieux à Patrick Heiniger
Monaco, ce cimetière friqué où vont mourir les éléphants de l'horlogerie : Patrick Heiniger nous y a quittés, solitaire, à 62 ans, avec le souvenir amer de tout ce que l'horlogerie suisse ne veut plus jamais vivre. Retour rapide sur les années Heiniger, leurs fastes et leurs dérives, si symboliques d'une horlogerie casino... ▶ PATRICK HEINIGER L'homme qui s'était pris pour le roi... ◉◉◉ "Les mots pour le dire, les mots pour le pire" : en révélant le départ de …
Monaco, ce cimetière friqué où vont mourir les éléphants de l'horlogerie : Patrick Heiniger nous y a quittés, solitaire, à 62 ans, avec le souvenir amer de tout ce que l'horlogerie suisse ne veut plus jamais vivre.
Retour rapide sur les années Heiniger, leurs fastes et leurs dérives, si symboliques d'une horlogerie casino...
▶ PATRICK HEINIGER L'homme qui s'était pris pour le roi... ◉◉◉ "Les mots pour le dire, les mots pour le pire" : en révélant le départ de Patrick Heiniger, inscrit sur ce qui était alors la "liste de Muller, Business Montres (17 décembre 2008 et les jours suivants, notamment le 19 décembre) émettait un jugement fort sur la gestion des années Heiniger chez Rolex (1992-2008). Nous n'y reviendrons pas au moment de sa disparition, solitaire, à 62 ans, dans son Saint-Hélène friqué, ce Monaco qui est le cimetière où les éléphants de l'horlogerie vont se cacher pour mourir... ◉◉◉ Fort de sa seule légitimité chromosomique [il était le fils d'André Heiniger, qui avait hérité l'entreprise de Hans Wilsdorf], André Heiniger avait hérité du pouvoir pour en apprendre les arcanes, mais en tant que "maire du Palais". Le poids de l'institution et la dévotion de son équipe rapprochée allait rapidement faire de lui le monarque sous la fameuse couronne, en lui laissant oublier l'axiome des ressources humaines chez Rolex : "Tu es là pour polir la couronne, pas pour la porter"... ◉◉◉ La suite montrera que la dérive a été sévère quand le "maire du Palais" s'est pris pour le roi, même... fainéant. À tel point que "PH" symbolisera, pour la postérité, les années folles de la décennie 2000 dans l'horlogerie. Ce qui lui aura permis d'accrocher sur son veston – les Français apprécieront – la Légion d'honneur et la médaille des Arts et lettres, distinctions plaisantes pour l'homme qui avait inventé la slavo-relaxation sur le lieu de travail, le double avion récréatif pour exécutifs de haut vol, le penthouse familial de fonction à New York ou les investissements de trésorerie dans l'économie-casino des banques américaines de l'époque [on a parlé d'un milliard de dollars partis en fumée, mais on ne prête qu'aux riches]. Le fait que Patrick Heiniger ait été remplacé, dans l'urgence, par un banquier depuis remercié (Bruno Meier) prouve en tout cas à quel point il y avait le feu dans la maison coté trésorerie... ◉◉◉ Hormis ce parfum de scandale qui mériterait un Saint-Simon, que restera-t-il des années Heiniger ? Sous son règne, Rolex aura été remis en ordre de bataille pour les trente ans à venir : peut-on en créditer sa direction de la marque quand on se souvient des faibles connaissances de "PH" sur le sujet ? On admettra que ce qui fait les grandes marques, ce sont les grandes équipes qu'elle peut se permettre de rassembler. En revanche, cette vision industrielle réussie se double de fautes stratégiques multiples et aggravées sur le terrain commercial : sous Patrick Heiniger, Rolex a manqué le virage de l'immense marché chinois et n'a pas anticipé la mutation de la distribution et l'explosion des boutique monomarques, tout en laissant se consolider des baronnies inexpugnables sur les marchés locaux. La re-création permanente de nouvelles icônes est restée en panne, faute d'impulsions au plus haut niveau : "PH" regnante, c'était le calme plat ! C'est beaucoup pour un seul homme, mais il y a pire... ◉◉◉ L'impact des années Heiniger sur le culture Rolex mettra des années à s'effacer : avant la révolution de palais qui l'a congédié pour "développer des projets personnels", phrase rituelle d'une cruauté terrible pour désigner l'hiver d'une vie à Monaco, Patrick Heiniger avait fossilisé l'étiquette de la vie quotidienne aux Acacias, le siège de Rolex. Sa timidité naturelle l'avait rendu hautain, au point de ne plus pouvoir prendre le même ascenseur que son personnel. Surprotégé dans sa tour d'ivoire, on se coupe du monde et on s'atrophie intellectuellement. Les excès d'absolutisme rendent arrogant [et la marque Rolex l'est devenue], ils poussent au mutisme [et la marque Rolex l'est devenue, au lieu de parler au monde] et ils dégénèrent en autisme [et Rolex l'est devenu], sécrétant un éco-système qui finissait par ne plus sélectionner que des arrogants, des mutiques et des autistes. Rolex doit assumer là un héritage difficile, en ne pouvant plus procéder – pour ne pas casser le jouet – qu'à des changements progressifs. ◉◉◉ L'histoire économique est faite d'exemples positifs d'héritiers qui ont su transvaluer leur héritage et repousser les limites naturelles de leur patrimoine. Patrick Heiniger n'inscrira pas son nom dans ce chapitre de l'histoire de Rolex. La partition avait été écrite par Hans Wilsdorf et par André Heiniger. Véritable Tony Montana des CEO horlogers, le troisième "patron" de Rolex au XXe siècle a pu progresser sur leur erre avant de révéler ses insuffisances. Paix à son âme, puisque sa mémoire n'impose pas le moindre hommage [on aura remarqué le communiqué officiel de Rolex au sujet de sa disparition ne parle pudiquement que de la relance industrielle de la marque – dont on sait qu'il n'a été que l'inaugurateur d'usines, pas le concepteur, ni le stratège]...G.P.
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