MONTRES LIP (accès libre) : Il y a 40 ans, un conflit social dans l'horlogerie, qui trouve des échos dans l'actualité récente des montres...
« Lip, des héros ordinaires » : préfacée par Jean-Luc Mélenchon, une nouvelle bande dessinée nous remet en mémoire l'affaire Lip. C'était il y a tout juste quarante ans, à Besançon, capitale horlogère de la France : des horlogers découvraient qu'ils n'étaient pas des ouvriers comme les autres... ▶▶▶ UN TRÉSOR DE GUERRE DE 25 000 MONTRESLa révolte inspirante d'une
« Lip, des héros ordinaires » : préfacée par Jean-Luc Mélenchon, une nouvelle bande dessinée nous remet en mémoire l'affaire Lip. C'était il y a tout juste quarante ans, à Besançon, capitale horlogère de la France : des horlogers découvraient qu'ils n'étaient pas des ouvriers comme les autres...
▶▶▶ UN TRÉSOR DE GUERRE DE 25 000 MONTRESLa révolte inspirante d'une aristocratie ouvrière... 
◉◉◉◉ L'HORLOGERIE SUISSE SE REPLACE DOUCEMENT à l'heure des licenciements, avec une différence majeure par rapport à la crise de 2008-2009, qui avait vu l'activité horlogère plonger d'environ 25 % et un peu moins de 4 500 emplois horlogers se volatiliser, avant que la situation ne se redresse grâce au gonflement miraculeux de la bulle horlogère en Chine. Cette fois, nous entrons lentement dans une pente fatale de décroissance progressive, sans « moteur » chinois [ou russe, ou brésilien, ou autre] pour prendre le relais d'une croissance durablement en panne sur les marchés européen et américain. Situation rendue encore plus inquiétante par les désordres monétaires internationaux [ceux qui renchérissent le franc suisse] et l'offensive inévitable des montres connectées. Les dégraissages ont commencé, honteusement tellement tout le monde a mauvaise conscience de ne considérer le personnel que comme une variable d'ajustement du compte d'exploitation (Business Montres du 28 mai). Il faut donc s'attendre d'une part à de nouvelles vagues de licenciements, avec toutes les injustices et les drames qu'ils impliquent, et, d'autre part [pourquoi pas ?], à des mouvements sociaux pas forcément amortis par le fameux édredon de la traditionnelle et consensuelle modération suisse... 
◉◉◉◉ RAISON DE PLUS POUR RELIRE, EN PRIORITÉ, la bande dessinée de Laurent Galardon et Damien Vidal, Lip, des héros ordinaires, qui vient de paraître chez Dargaud. Une bande dessinée au format livre à reliure cartonnée (et non album), dont la première originalité est d'annoncer une préface de Jean-Luc Mélenchon [oui, oui, « le » Mélenchon de la télé française, celui du Front de gauche], dont on découvre au passage qu'il a travaillé, dans les années 1970, comme agent d'entretien pour une entreprise horlogère de Besançon. Ses souvenirs des « Lip » – c'est ainsi qu'on nommait les ouvriers de la manufacture pendant le long conflit social qui a marqué l'histoire – sont donc personnels et précis : « L'audace des Lip semblait sans borne. Alors l'onde de choc de ce qu'ils ont osé ne s'est pas encore dissipée, selon moi. Produire par soi-même, vendre, se payer. Sans patron ! ». Il souligne lui-même à quel point cette « coopérative insurrectionnelle » – qui avait séquestré sa direction, puis caché 25 000 montres revendues comme « trésor de guerre », puis reprise la production pour la vendre sans intermédiaires – est un exemple qui peut encore inspirer les conflits sociaux d'aujourd'hui... 
◉◉◉◉ MAIS QU'AVAIENT-ILS DONC DE SI SPÉCIAUX, et qu'avaient-ils accompli de si mémorable, ces Lip dont cette bande dessinée raconte l'histoire, sans prétention historique, au ras du quotidien, avec les ateliers horlogers de Palente et les rues de Besançon pour décor ? Un rapide retour sur le passé est nécessaire pour le comprendre. Besançon, d'abord : une métropole régionale, capitale française de l'horlogerie, qui ne vit que par et pour ses montres. C'est là que Lip, la plus importante manufacture française (500 000 montres par an, avec une production qui n'a pas à rougir de la production suisse), riche de sa solide tradition d'innovation [en 1952, on y a expérimenté les premières montres électroniques du monde], de ses designers, de ses ateliers mécaniques et du génie communicant de son actionnaire familial, Fred Lipmann, héritier d'une lignée d'industriels de la montre. 
◉◉◉◉ POURTANT, DANS LES ANNÉES SOIXANTE, LA SITUATION S'EST DÉGRADÉE, faute de réponses intelligentes aux défis des montres bon marché américaines et asiatiques. L'entreprise Lip est revendue aux Suisses d'Ebauches SA (filiale d'ASUAG, pilier du futur Swatch Group de Nicolas Hayek), qui finisse par se séparer de Frd Lip (1970) et par vouloir jeter l'éponge face à l'horlogerie à quartz japonaise et américaine, qui ont pris de l'avance dans ce domaine pour Lip. Désespérant de pouvoir faire et soucieux de reconcentrer ses forces sur ses entreprises suisses elles-mêmes chancelantes, l'actionnaire suisse dépose le bilan en 1973. Ce qui déclenche un conflit social de haute intensité, qui va durer plusieurs années. La bande dessinée commence en avril 1973, au moment des premiers licenciements. L'épisode suivant sera burlesque : on séquestre les cadres chargés d'orchestrer des licenciements présentés comme purement ponctuels, mais on trouve dans le cartable de ces cadres un plan de licenciements massifs. La lutte s'intensifie, les ateliers sont occupés, d'abord par les ouvriers, puis par les CRS, une partie de la production (25 000 montres finies) étant déménagées pour être ensuite revendues comme « trésor de guerre » pour financer la « lutte » (ci-dessus). Pendant ce temps, les Lip ont spontanément repris le travail pour produire eux-mêmes [ils savent faire] et vendre eux-mêmes leur production pour se payer un salaire : le tout sans patron, ce qui fera fantasmer tous les adeptes gauchistes de l'autogestion, alors que le gouvernement de Georges Pompidou ne sait plus comment enrayer la fièvre Lip qui enflamme toute la France... 
◉◉◉◉ LA BANDE DESSINÉE FAIT REVIVRE, avec de nécessaires accents romanesques [dommage que ni le trait du dessinateur, ni le découpage du scénario n'aient la précision chirurgicale des ouvriers quand ils montaient leurs montres], les différentes séquences de la première du conflit, jusqu'à l'arrivée d'un « patron de gauche » qui soulèvera d'illusoires espoirs de relance sans pouvoir enrayer l'issue fatale, la liquidation de l'entreprise étant actée en septembre 1977. Les ouvriers les plus combatifs avaient alors créé différentes coopératives, dont Les Industries de Palente [on aura reconnu les initiales : LIP], certaines d'entre elles étant encore actives dans les nouvelles technologies micro-mécaniques. Passons sur le sort navrant de la marque Lip, qui se survit aujourd'hui accommodée à une sauce chinoise que ses traditions d'horlogerie tricolore ne méritaient pas... 
◉◉◉◉ C'EST PRÉCISÉMENT PARCE QUE L'EXEMPLE DES LIP menaçait d'inspirer une flambée sociale en France que le gouvernement de l'époque n'a rien fait pour encourager une entreprise d'autogestion sympathique et généreuse, que son hyper-politisation initiale condamnait implicitement à l'échec. Dommage, la tentative était romantique et elle n'avait de chances de réussir que parce qu'elle émanait d'une entreprise horlogère, creuset d'une nouvelle aristocratie ouvrière. la bande dessinée met bien en valeur cette « qualité d'âme » des Lip, qui n'ont pu tenir aussi longtemps qu'en raison des qualités morales de leurs leaders naturels auto-désignés au fil des luttes (ci-dessous : le fameux Charles Piaget et René Puertolas). Si ces ouvriers (hommes et femmes) enracinés dans leur terroir naturel, fiers de leur métier et de leur savoir-faire, conscients d'en savoir autant sinon plus que leurs managers, ont à peu près disparu du paysage industriel, c'est encore dans les entreprise horlogères – désormais essentiellement en Suisse ou dans la frange frontalière de la France-Comté – qu'on en trouve les derniers représentants, ceux qui sont encore capables de générosité inter-personnelle, de dévouement à un atelier, de compréhension de l'environnement culturel et humain d'une entreprise et de respect pour des traditions qu'on ne peut jamais remplacer quand elles sont perdues... 
◉◉◉◉ C'EST POURQUOI L'EXEMPLE DES LIP EST À MÉDITER, ici et maintenant, alors que les ventes mauvais d'une nouvelle crise qui fait déjà grincer les girouettes rouillées de l'égoïsme patronal et de l'indifférence d'actionnaires qui ont oublié qu'il y avait des hommes, des familles, des villages et des régions derrière les postes de travail qu'on supprime. La révolte des Lip a pu sembler égoïste alors que la France sortait du plein-emploi des Trente Glorieuses : elle n'était peut-être que prémonitoire de l'exigence d'une nouvelle dignité, d'autant plus urgente que l'horlogerie a, depuis, presque tout sacrifié sur l'autel de l'argent, de la rémunération de son capital, des taux de profit annuel à deux chiffres et d'une hyper-croissance qui ressemblait à une fuite en avant. Il y a encore beaucoup de « Lip » dans les vallées et ils sauraient, eux aussi, faire des montres et les vendre pour simplement gagner leur vie... 
D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...