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PERSPECTIVES : Mais quelle fatale malédiction empêche les montres Hermès de connaître le même succès planétaire que les autres créations de la maison Hermès ?

Ce n'est pas une question de management, ni de production, ni de marketing ou de communication. Il y aura bientôt quarante ans que La Montre Hermès tente en vain d'imposer dans le village horloger une respectabilité qu'on lui refuse et une légitimité qui se dérobe... ▶▶▶ LA MONTRE HERMÈSLe grand mystère de montresaussi honnêtes …


Ce n'est pas une question de management, ni de production, ni de marketing ou de communication. Il y aura bientôt quarante ans que La Montre Hermès tente en vain d'imposer dans le village horloger une respectabilité qu'on lui refuse et une légitimité qui se dérobe...

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▶ LA MONTRE HERMÈS
Le grand mystère de montres
aussi honnêtes et bien pensées
que jamais vraiment convaincantes...
 
◉◉ ON RECONNAÎT LES VRAIES GRANDES MAISONS AU FAIT QU'ELLES SONT GRANDES dans tous les compartiments du jeu et qu'elles savent infuser leurs valeurs dans tous les métiers qu'elles pratiquent. Le sellier Hermès est sans doute – avec Chanel – le parangon des maisons de luxe françaises, avec une pratique de l'excellence dans la maroquinerie, les parfums, la mode, les soieries, la botterie, les bijoux ou les arts de la table. Dans son héritage génétique, Hermès porte le souvenir de multiples mutations. Une seule ombre au tableau : l'horlogerie – métier que Hermès pratique pourtant depuis les années 1920, soit près d'un siècle [certaines sources font même remonter au début du XXe siècle les premières « montres Hermès »]. Jusque dans les années 1960, Hermès travaillait avec les plus grandes maisons horlogères (Vacheron Constantin, Universal, Jaeger-LeCoultre, etc.) : on trouve même, dans les collections de la maison, une des premières montres Reverso connues, signée Hermès sur le cadran. Ces montres à double signature (Hermès et une manufacture horlogère) font aujourd'hui le bonheur des collectionneurs.
 
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◉◉ À LA FIN DES ANNÉES 1970, HERMÈS DÉCIDE DE VOLER DE SES PROPRES AILES au-dessus du paysage horloger. Un marasme industriel menace de s'installer sur les montres suisses et il est tentant, pour une maison de luxe responsable, de sécuriser ses approvisionnements. Ce sera donc, en 1978, la naissance de La Montres Hermès, installée à Bienne (une des métropoles horlogères suisses) par la volonté de Jean-Louis Dumas, un des héritiers de la famille fondatrice de la marque. On sent, d'emblée, une volonté de « bien faire le métier » qui ne se démentira plus et une application à maîtriser, un par un, tous les métiers de la montre. Le passage par Bienne devient une marche de l'initiation aux arcanes Hermès : ainsi, on verra plus tard Guillaume de Seynes (autre héritier des « familles » qui verrouillent le capital de la maison et futur n° 2 de la marque, chargé de veiller à tous ses métiers) diriger La Montre Hermès. À une ou deux exceptions près, les managers de l'activité horlogère n'ont pas failli et ils ont au moins fait ce qu'ils pouvaient pour arracher l'horlogerie Hermès à une ornière qui pourrait sembler congénitale : le dernier en date, Luc Perramond (aujourd'hui passé chez Ralph Lauren), a eu tout essayé, avec une honnêteté et une probité digne d'éloges, mais il n'a pas réussi à endiguer une sorte de décadence qui a empêché La Montres Hermès de progresser au même rythme que le marché horloger global, puis de décliner à un rythme supérieur à celui du marché...
 
◉◉ POURTANT, QUE D'EFFORTS CONSENTIS PAR LA DIRECTION D'HERMÈS pour arracher son horlogerie à une spirale négative qui tranche aujourd'hui sur la réussite d'Hermès dans tous ses autres métiers. Année après année, alors que la marque triomphe dans le monde entier [même en Chine, où la prudence d'une approche mesurée est aujourd'hui couronnée d'un succès qui éclipse jusqu'à Louis Vuitton, qui semblait inexpugnable], les montres Hermès se traînent et constituent une sorte de boulet au pied de la maison. Pour jouer dans la cour des grands, en 2006, Hermès a investi dans une manufacture, Vaucher, en y laissant depuis une bonne quarantaine de millions de francs suisses : ce n'était sans doute pas, à l'époque, le meilleur choix possible pour un partenariat « industriel », mais, même si les choses se sont considérablement améliorées depuis, c'était au moins la manifestation d'une volonté de sérieux. En 2012, c'était le rachat du cadranier Natébert, à La Chaux-de-Fonds. Toujours en 2012, c'était le rachat du fabricant de boîtes Joseph Erard, au Noirmont. Les investissements dans la verticalisation continuent, d'atelier en atelier, jusqu'à permettre à La Montre Hermès d'employer en Suisse près de 320 personnes (le double d'il y a sept ans) et de disposer de ses propres mouvements manufacture. Sans que la croissance très faible, sinon négative, s'en ressente : il ne manque à peu près rien dans le dispositif [sinon un aiguillier, mais est-ce indispensable ?], et pourtant La Montre Hermès se cherche toujours de vraies raisons d'exister...
 
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◉◉ POUR PARACHEVER SON EXPERTISE, LA MONTRE HERMÈS a fait appel à des génies méchaniciens suisses comme Jean-Marc Wiederrecht, qui a conçu des montres comme la série du Temps suspendu, sans que le succès de ces collections impactent sensiblement l'ensemble d'une production qui dépasse les 100 000 montres sans impressionner le marché. On a essayé le tourbillon volant (2013) comme on avait essayé le quantième perpétuel ou le chronographe, sans davantage convaincre. Ce n'est donc pas, en soi, une question de mouvements. Serait-ce alors une question de décoration ? Les collections 2015 (quelques illustrations de cette page) ont prouvé qu'Hermès maîtrisait parfaitement – et même mieux que d'autres – sa filière métiers d'art, en parvenant à marier intelligemment ceux de l'Europe et ceux de l'Orient. Dans ce cas, peut-on incriminer le design ou le marketing produit ? Ce serait absurde : la collection Slim (ci-dessus et ci-dessous) 2015 prouve que La Montre Hermès peut penser, réaliser et mettre sur le marché des collections à la fois pertinentes et consistantes – jugement qui ne sera pas forcément ratifié par le marché, ni par les détaillants de la marque... 
 
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◉◉ IL FALLAIT ÊTRE À BASELWORLD POUR FAIRE BONNE FIGURE ? Hermès a immédiatement dépensé une trentaine de millions pour s'offrir le plus beau stand du salon, architecturé avec un goût parfait et réalisé sans la moindre faute – sauf que les montres y semblaient du coup un peu déphasées par rapport aux promesses esthétiques de cet espace. Il fallait une vraie manufacture à Brügg, aux portes de Bienne : là encore, la réponse architecturale était à la hauteur des ambitions. L'état-major parisien est prêt à tout pour préserver l'identité statutaire de son horlogerie, mais ce n'est pas apparemment suffisant : on peut même se demander si cet état-major se s'est pas auto-intoxiqué avec les grands mythes qui mobilisent les énergies en Suisse. La Montre Hermès paiera longtemps au prix fort son ivresse manufacturière et sa soumission à l'idéologie verticalisante de l'intégration mécanique : quelle est la légitimité d'un mouvement Hermès in-house si cela doit doubler le prix de la montre ? Les clients d'une montre Hermès sont-ils vraiment des amateurs de rouages cliquetants ou des amoureux d'une légende Hermès qu'ils espèrent capter au poignet à travers un design et une signature ? Il faudra écrire un jour l'histoire de ce fétichisme mécaniciste qui a vampirisé tant d'élans créatifs et tant de ressources dans la Suisse horlogère des quinze premières années du XXIe siècle...
 
◉◉ SERAIT-CE ALORS UNE QUESTION DE COMMUNICATION ? Certes, il n'est pas facile pour une maison multi-spécialiste de communiquer avec la même vigueur sur les métiers moins performants que sur les métiers triomphants, mais on ne relève pas de faute majeure dans la stratégie médias de la maison. Les campagnes sont très honnêtement faites, quoique sans créativité exacerbée. C'est la force de la marque qui tire les montres, sans parvenir à cet effet supplémentaire d'entraînement qu'a pu constituer la J12 de Chanel pour la maison de couture ou la The Britain de Burberry pour la marque de mode britannique. Si ces montres n'étaient pas signées Hermès et si elles n'étaient pas épaulées par la dynamique de croissance d'une maison qui a dépassé les 4,1 milliards d'euros d'activité en 2014 (+ 10 % par rapport à 2013), on les négligerait : La Montre Hermès ne représente que 3 % de ce chiffre d'affaires et c'est le plus faible département face aux cuirs (45 %), à la mode (23 %) ou à la soie (12 %), voire aux parfums (5 %). Au premier trimestre 2015, l'horlogerie était à nouveau en recul de 3 % – depuis des années, c'est la glissade en pente douce...
 
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◉◉ ON VA ALORS SE DEMANDER SI CE N'EST PAS UN PROBLÈME DE DISTRIBUTION : avec 340 boutiques Hermès dans le monde, les montres disposent d'une vitrine idéale sur le marché des multiples clientèles du luxe international (excellent équilibre entre France, où ne se réalise que 16 % des ventes, l'Europe à 19 %, l'Amérique à 17 %, le Japon à 12 % et le reste de l'Asie à 34 %). On peut y ajouter le réseau wholesale de 600 détaillants multimarques, un peu lourd pour être vraiment sélectif, mais une marque aussi globalisée doit rester accessible dans le monde entier. L'inquiétude viendrait putôt des pratiques de ce réseau wholesale, gavé jusqu'à la gueule de montres qui se vendent mal en boutique, mais qui s'écoulent gentiment et discrètement sur tous les marchés parallèles des quatre continents : un stock planétaire, engraissé année après année, qui peut représenter une année de production d'avance. Le chic français de la maison Hermès perd tout rapport avec la logique productiviste de sa branche horlogère suisse : on a trop produit et sans doute pas à des bons prix de marché. Les montres Hermès, aussi bien pensées soient-elles, se sont banalisées : elles ont perdu tout lustre dans l'exclusivité et la désirabilité qui siéraient à un leader international du luxe. Clairement et globalement [sans argumenter sur telle ou telle collection], elles ne sont pas (ou plus, ou pas encore) à la hauteur de la marque qu'elles portent... 
 
◉◉ PARCE QU'IL Y A, AUSSI, ET EN PLUS, UN VRAI PROBLÈME DE PRIX ! Qui pose, fondamentalement, un double problème d'accessibilité des montres et de décalage entre la perception du produit et celle de la marque. Au cours de ces dix dernières années, du fait des investissement dans la verticalisation et de l'amélioration des produits, de plus en plus mécaniques, le prix moyen des montres Hermès a été multiplié par près de 3 : il est aujourd'hui proche des 4 000 euros – c'est-à-dire dans une zone d'inconfort où les montres Hermès se trouvent directement confrontées aux montres des marques purement horlogères. Dangereux et très risqué sans une légitimité qui ne peut s'obtenir que dans la très longue durée, et certainement pas avec les changements de cap incessants depuis une décennie. Prix multipliés par 3, ventes réelles divisées par 3 (on parle du sell-in dans le réseau officiel) ? N'exagérons pas, on n'en est pas encore là, mais il faudrait pouvoir vérifier l'élasticité de cette corrélation, tendanciellement pas si fausse. De par leur prix, les montres Hermès sont devenues inaccessibles aux clientèles traditionnelles de la marque, sans convaincre de nouvelles catégories de consommateurs [les Asiatiques n'ont pas encore tout compris !]...
 
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◉◉ IL EST VRAI QUE L'HORLOGERIE SUISSE NE PARDONNE RIEN à ces nombreux « étrangers » qui prétendent venir s'ébattre dans son bac à sable. On a vu comment Ralph Lauren s'est écrasé sur ce mur invisible – il est vrai avec des collections mal conçues, mal positionnées et mal lancées. On a également vu comment Louis Vuitton n'a enthousiasmé personne, en dépit d'un parcours d'excellence qui visait à cocher toutes les bonnes cases, comme Hermès, sans guère plus emporter la conviction. Burberry reste encore sur le fil du rasoir, mais la marque a eu la sagesse de choisir un positionnement plus modeste et un lancement moins fracassant. Reste le cas Chanel, l'exception qui confirme la règle, à la fois en termes de légitimité et de profitabilité, non sans quelques errements dans l'apprentissage du métier. On pourrait aussi trouver d'autres exceptions de déclinaisons horlogères réussies dans des gammes inférieures (Michael Kors, Lacoste, etc.), mais la comparaison avec Hermès s'arrête là. Il n'en demeure pas moins vrai que les pure players de l'horlogerie s'en tirent toujours mieux que les non-spécialistes venus d'autres univers, qui ne trouvent généralement pas dans les montres le succès engrangé dans leur métier de référence.
 
◉◉ N'AYONS PAS LA CRUAUTÉ DE COMPARER LES DÉCLARATIONS des différents patrons de la montre Hermès, au fil des ans, aux coptes officiellement publiés par la marque. Un seul exemple : début 2014, Luc Perramond évoque dans Le Temps des croissances pharamineuses pour son activité un peu partout dans le monde, et même une évolution « formidable » pour 2014. Le rapport financier 2014 de Hermès expédie l'horlogerie en trois-quarts de ligne : « Moins 11 % à 148 millions d'euros ». Moralité : ne pas croire les message lénifiants selon lesquels « Tout va très bien, Madame la Marquise ». Les faits sont têtus : La Montre Hermès a un problème de modèle économique, qui lui fait produire trop de montres trop chères et trop mal distribuées. Ce n'est pas un problème de produit, mais ces montres n'en plombent pas moins une marque dont on peut penser qu'elles usurpent l'identité – en n'étant pas positionnées là où elles devraient être pour les clients qu'elles devraient avoir. Comme cette maison déborde d'immenses talents qui finiront par se poser les bonnes questions sur l'actuel modèle économique de l'horlogerie Hermès, il ne reste plus qu'à espérer dans une illumination qui répandra la lumière dans les esprits : par ces temps de Pentecôte (ci-dessous) et d'Ascension, on peut rêver d'un vol du Saint-Esprit sur le Faubourg Saint-Honoré...
 
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