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LE MARDI, C’EST PERMIS (accès libre)
Quel savoureux « Restez chez vous ! » on vient de nous servir : et si on prenait cette injonction au sérieux ?

Ce confinement qui ne veut pas dire son nom a des connotations un peu surprenantes et très différentes du « Éclatez-vous ! » ou du « Jouissez sans entraves ! » qui prévalaient jusqu’ici dans la morale ordinaire des boomers, des bobos, des hipsters et des milléniaux. Le vieux monde est en train de s’effondrer : on va pouvoir passer aux choses sérieuses…


❑❑❑❑ À NOS LECTEURS 

Nul ne sait combien de temps dureront les mesures autoritaires ou volontaires d’isolement imposée aux pays européens, mais une chose est certaine : Business Montres évitera tout confinement ! Nous ne resterons pas confinés parce que notre place est aux avant-postes : pas question de déserter le front médiatique à l’approche de l’effondrement qui se précise ; pas question d’abandonner nos lecteurs alors que les oligarques de la montre courent aux abris ; pas question de renoncer à informer la communauté horlogère sur ce qui se passe et sur ce qui va se passer. Au contraire, nous profiterons de cette situation extraordinaire pour prendre de nouvelles initiatives éditoriales, proposer davantage de pages en accès libres et multiplier les entretiens avec toutes les grandes voix de l’horlogerie. Avec des dessins pour ne pas se prendre au sérieux, et même des chansons. Alors que les manufactures sont à l’arrêt, nous allons plutôt tenter d’accélérer. Parce que, c’est évident, un nouveau paysage se dessine dans la lumière au bout du tunnel. Tenez bon, on est là !

❑❑❑❑ BIEN ÉVIDEMMENT, ÇA MARCHE DANS LES DEUX SENS : dans cette tourmente qui n’était pas si inattendue qu’on le dit [nos lecteurs avaient été depuis de longs mois sensibilisés à cet état de crise], nous avons besoin de vous, de vos lumières, de vos informations et de vos commentaires sur ce qui se passe dans l’horlogerie…

LA CONDAMNATION 

DE TOUS LES VIEUX SCHÉMAS 

ET DES CERTITUDES MOISIES 

(éditorial)

L’ordre a claqué dans toute l’Europe – « Restez chez vous ! » – dans un contexte de mobilisation civique et sanitaire qui se teintait parfois d’injonctions militaires capables d’évoquer des instants pénibles des différentes histoires nationales. Un son de cloche un peu surprenant et très différent du « Éclatez-vous ! » ou du « Jouissez sans entraves ! » qui prévalaient jusqu’ici dans la morale ordinaire des boomers, des bobos, des hipsters et des milléniaux [rayez les mentions inutiles]. Ce basculement dans la discipline annonce une nouvelle normalité et la révision – souvent déchirante – de l’échelle des valeurs socio-culturelles de la société de consommation telle qu’elle a pu s’épanouir dans le monde depuis un demi-siècle…

• « Restez chez vous ! » : c’est la négation même des principes de vie de l’hyperclasse dominante et de cette oligarchie qui s’est emparée des commandes de la société, en imposant sa conception du monde, ses codes éthiques, ses marottes idéologiques et ses habitudes de consommation.

• « Restez chez vous ! » : c’est le réflexe spontané des urbains hagards qui quittent les grandes métropoles pour se réfugier à la campagne, avec l’illusion stupide qu’ils y échapperont à la pandémie. Les grandes villes semblent beaucoup anxiogènes que les urbains le prétendaient ! Ne parlons pas de la situation dramatique des « quartiers » et des banlieues populaires, qui échappent déjà à l’ordre républicain et qui vont concentrer d’inquiétants foyers épidémiques.  C’est la fuite apeurée des Parisiens loin du métro, des miasmes urbains et des patrouilles militaires dans les rues. On ne pensait plus voir un tel « exode » après avoir tant ri des routes embouteillées de mai-juin 1940, mais il aura suffi d’un virus pour qu’on reparle de « guerre » et que la campagne prenne sa revanche sur la ville – voire pour que la France périphérique assiste à la piteuse défaite des « villes de grande solitude » dont elle était exclue…

• « Restez chez vous ! » : c’est l’abolition brutale d’une société du spectacle tout juste capable de produire des distractions factices pour cet Homo festivus festivus dont parlait Philippe Muray. Plus de shopping, plus de salles de fitness, plus de cinémas, plus de Disneyland ni de concerts : le silence de cette séquence sans « loisirs » s’annonce angoissant. On peut espérer que les médias perroquets [ceux de l’horlogerie, mais surtout ceux des réseaux d’information continu] apparaîtront enfin pour ce qu’ils sont vraiment (des moulins à prière psittacistes incapables de penser le monde) et que les loisirs forcés dans une face-à-face ravageur avec Netflix nous guériront de cette numérisation obsidionale de notre quotidien. On peut croire que les urbains se mettront à réfléchir par eux-mêmes. On peut toujours rêver…

• « Restez chez vous ! » : c’est la condamnation explicite des « gagnants de la mondialisation », de ces executive et de ces winners qui parcouraient le monde avec leurs cartes accréditives gavées de miles gratuits et qui habitaient plus souvent à l’hôtel que chez eux. C’est la revanche du train sur l’avion [quand il y a encore des trains]. Ces « gens de partout » – donc de nulle part – semblent terrorisés face aux « gens d’ici » qui ont toujours les pieds dans la glaise de leurs vallées. La vanité artificielle de leur emprise planétaire apparaît au grand jour et disqualifie durablement une globalisation irraisonnée qui semble à présent relever plus sûrement de la fuite en avant que du parcours de santé. Le mythe du offshore positif s’est muée en menace inquiétante [les virus viennent d’ailleurs]. L’exotisme à tout va sent le fagot ! On va vite passer de la promotion de la diversité lointaine à l’éloge de la proximité mammifère…

• « Restez chez vous ! » : c’est le retour inattendu des frontières dans notre univers mental, le rétablissement par la France du permis de circuler [de quoi rappeler fâcheusement le temps du « Ausweis, bitte ? » de sinistre mémoire] et le choix de la communauté proche plutôt que de l’humanité lointaine. C’est aussi le signal d’une nouvelle relocalisation, ici et maintenant. Nos lecteurs ne seront pas surpris de trouver là un écho de nos analyses sur la nécessité pour l’horlogerie de repenser ses priorités, de recadrer sa stratégie et de se recentrer sur ses marchés traditionnels de référence (l’Europe, les Amériques) : revoici le temps des espaces économiques autocentrés !

• « Restez chez vous ! » : c’est l’échec annoncé du turbo-capitalisme prédateur, dont les profiteurs ont été les meilleurs clients de la « bulle horlogère » du XXIe siècle. Quand un simple virus peut mettre à bas un modèle économique planétaire, quand les États redécouvrent leurs prérogatives d’États et quand renaissent des réflexes protectionnistes on ne peut plus naturels, il est temps pour les marques et les entreprises de changer leur logiciel de travail, de déglobaliser leur approche des marchés et de retrouver le goût des montres plus modestes conçues pour des amateurs moins spéculateurs et vendues à des prix plus accessibles…

On vient donc de voir s’effondrer des pans entiers du vieux monde horloger, dans un fracas de certitudes obsolètes et de croyances moisies. Une page se tourne : elle va se révéler passionnante à écrire, dès lors qu’on ne confiera pas la plume, le stylo ou le clavier à tous ceux qui nous ont conduit dans le mur en klaxonnant. C’est ceux-là qu’il faut confiner d’urgence, parce qu’ils sont les porteurs malsains de nos anciennes pathologies. On vous laisse réfléchir là-dessus…

LES BONNES, MOINS BONNES

ET AUTRES NOUVELLES DU JOUR,

EN VRAC, EN BREF ET EN TOUTE LIBERTÉ

❑❑❑❑ LA BANDE-SON DU JOUR : puisque notre éditorial sur une musique de Joe Dassin semble vous avoir plu (Business Montres du 16 mars), nous essayerons d’oublier en chansons les contraintes de ce confinement horloger. Il était assez évident qu’on devait commencer cette bande-son – qui sera la play-list de l’isolement – par Gloria Gaynor et son inoubliable I will survive (1978). C’est parti : ne vous privez pas de nous faire des suggestions pour cette bande-son…

❑❑❑❑ L’EFFONDREMENT DU JOUR (1) : passons rapidement sur l’actuelle dégringolade boursière des titres horlogers, qui tient autant à la mauvaise humeur des analystes qu’aux algorithmes qui déclenchent automatiquement les achats et les ventes avec plus ou moins d’intelligence artificielle. Reste ce constat : ça ne va pas fort pour les « maîtres du temps » ! Richemont reste sous la barre des 50 CHF avec une baisse de plus de 25 % sur les dix derniers jours et de plus de 33 % pour le dernier mois -44 % depuis mai 2018). Le Swatch Group confirme son impressionnante déconfiture boursière aux alentours des 160 CHF, avec 27 % de baisse pour les dix derniers jours et plus de 35 % au cours du mois écoulé – 65 % de chute depuis juin 2018, ce qui ramène pour l’instant le titre à ce qu’il était au printemps 2009, lors de la crise des subprimes [le plancher de la chute actuelle reste les 125 CHF frôlés en janvier 2009]. Quelle fantastique destruction de valeur…

❑❑❑❑ L’EFFONDREMENT DU JOUR (2) : il semble évident à tout le monde que le niveau très élevé des échanges (un million d’actions par jour en moyenne pour les cinq dernières séances, contre une moyenne de 260 000 pour les trois dernières années) ne peut que favoriser le « ramassage » par un investisseur pas forcément amical, attiré par la sous-capitalisation boursière évidente de ce groupe, qui ne vaut plus qu’un peu plus de 8 milliards (contre 12 en début d’année) et qui n’est donc valorisé qu’à hauteur de son chiffre d’affaires annuel. On attend avec impatience les commentaires de Nick Hayek lors de sa présentation aux analystes des comptes annuels du groupe, jeudi prochain

❑❑❑❑ L’EFFONDREMENT DU JOUR (3) : dans la perspective probable d’une annulation « sanitaire » de l’assemblée générale des actionnaires à la mi-mai prochain, il est possible qu’on procède à une AG purement numérique, avec une votation électronique des actionnaires. Alors que les « zinzins » (investisseurs institutionnels) qui détiennent quelques substantiels pourcentages du capital rechignent généralement à se mettre publiquement en avant dans une assemblée générale, on ne peut pas exclure une fronde numérique lors de cette AG virtuelle, les actionnaires institutionnels (UBS, la Banque cantonale de Zurich, le fonds souverain Norges Bank, Gardner Russo & Gardner, le groupe Vanguard, le fonds BlackRock, etc.) tentant de sanctionner discrètement l’actuelle direction du groupe…

❑❑❑❑ LA QUESTION DU JOUR (1) : alors, on annule officiellement les Geneva Watch Days, agendés pour la fin avril ? Personne ne veut perdre la face en étant le premier à déclarer forfait, mais on ne voit pas trop comment les « invités » non suisses pourraient répondre à l’appel des marques, alors que les transports publics européens (avion, rail) sont au point mort pour de longues semaines et que les voyages individuels à titre professionnel relèvent du risque sanitaire majeur. De toute façon, découvrir des nouveautés en étant masqué, ganté et place à un bon mètre de son interlocuteur n’est pas très confortable, ni très persuasif…

❑❑❑❑ LA QUESTION DU JOUR (2) : et les ventes de Genève à la mi-mai ? L’échéance est un peu plus lointaine, mais les mêmes questions – quels participants venus d’où et avec quel moral ? – suscitent les mêmes réponses. Si les catalogues sont prêts [et même déjà imprimés !] et si les espaces sont évidemment déjà réservés dans les hôtels, tout est débranchable à tout moment : on ne voit pas bien comment la situation pourrait s’améliorer substantiellement dans les semaines à venir…

❑❑❑❑ LA CHRONAPOCALYPSE DU JOUR (1) : partout, des fermetures d’ateliers, voire de manufactures en grand complet (Rolex pour dix jours, jusqu’au 27 mars : voir ci-dessous) et des carnets de commande qui se désemplissent, avec d’importantes demandes de chômage technique un peu partout et des plans de licenciements que les autorités locales ne parviennent plus à contenir. La chronapocalypse dont nous parlons depuis la dernière quinzaine de janvier est bien au rendez-vous, avec des ventes qui seront très largement inférieures au premier trimestre 2020 à ce qu’elles étaient au premier trimestre 1940, à la veille de l’occupation allemande en Europe ! Même si on décèle quelques frémissements commerciaux en Chine [pas forcément pour des achats de montres], le second trimestre 2020 ne s’annonce pas meilleur, si bien que tous les espoirs se reportent à présent sur la rentrée 2020 : après un premier semestre « sabbatique », une année « sabbatique » qui se terminerait à la moitié du chiffre d’affaires de 2019 ?

❑❑❑❑ LA CHRONAPOCALYPSE DU JOUR (2) : pour que tout le monde ait les idées claires et parce que ça résume parfaitement la situation et la conduite à tenir, voici la lettre que vient d’adresser Jean-Frédéric Dufour à son personnel (ci-dessous).

❑❑❑❑ LA CHRONAPOCALYPSE DU JOUR (3) : présentation de nouveautés ou report à une date ultérieure ? Les chefs produits étaient dans les starting-blocks pour lancer leurs collections 2020, mais la tendance est clairement de ne pas « griller » par une présentation numérique [toujours un peu impersonnelle et pas vraiment émotionnelle] des bonnes idées créatives prévues pour ce printemps. D’autant que plus personne n’a la moindre certitude sur les dates possibles de fabrication [trop d’ateliers sont à l’arrêt dans l’amont industriel] et de livraisons sur les marchés. C’est ce qui rend un peu décalés, voire même parfois surréalistes, les annonces de lancement « comme avant », comme s’il ne s’était rien passé : le confinement dans l’effondrement, c’est le renouvellement, pas l’absence de changement…

❑❑❑❑ LE DESSIN DU JOUR : « On s’ennuyait ferme dans les ateliers du Swatch Group, qui avaient ralenti au maximum la production des mouvements et des composants » (séquence « Sérieux, s’abstenir » : Business Montres du 14 mars). Chacun aura reconnu Les joueurs de carte de Cézanne et comprendre l’allusion aux usines du Swatch Group, aujourd’hui à l’arrêt dans l’attente de nouvelles dispositions concernant le chômage partiel et les réductions d’effectifs…


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