GPHG 2024 #5 (accès libre)
Des réformes à mener d’urgence avant un inéluctable « accident industriel »
Au vu des réactions de la communauté horlogère, le GPHG semble s’être surpassé cette année en médiocrité, en absurdité et en contrariété. D’où les questions de nos lecteurs sur ce qu’il faudrait entreprendre pour sauver un événement dont l’horlogerie a besoin, quelles que soient les insatisfactions et les exaspérations : et si on tentait une nouvelle Horlovision sur le modèle de l’Eurovision ?
Quand on voit les médias du système liés au GPHG être obligés de faire le « service après-vente » de l’Aiguille d’or 2024, c’est bien le signe que personne n’a compris comment une montre comme le calendrier éternel d’IWC, conceptuellement intéressante sur le plan mécanique, mais sacrément banale sur le plan esthétique, a pu l’emporter comme « montre de l’année 2024 », alors qu’on disposait en finale de pièces autrement plus fortes, plus créatives et plus dignes d’éloges, à tous les niveaux de prix et de notoriété. Pour le plaisir des yeux, relisez la justification de cette Aiguille d’or par Worldtempus, média partenaire du GPHG : « Pourquoi IWC a mérité l'Aiguille d'Or pour son calendrier éternel Portugieser ». En effet, il valait mieux le préciser en insistant ! Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y avait pas consensus sur cette Aiguille d’or, ni dans la salle, ni dans la communauté horlogère [ni d’ailleurs chez les jurés, qui ne se souvenaient pas d’avoir fait preuve d’un vrai enthousiasme au sujet de cette montre lorsqu'il avait confié leur vote secret à l’huissier de service]…
En revanche, il y avait un vrai consensus pour se moquer du choix du GPHG concernant la malheureuse Carole Bouquet, qui avait tout fait pour se mettre en forme et qui a fait preuve d’une euphorie parfois chancelante et balbutiante : comme nous l’avons raconté à l’issue de la cérémonie de remise des prix, c’était pour la bonne cause ! Il fallait sauver cette soirée de l’incommensurable tristesse et de l’insondable ennui où elle s’enlisait : la pétulante Carole, aussi égarée qu'une lionne dans un alpage parmi les moutons, a tout osé pour arracher l’assistance suisse à sa torpeur, gaffes répétées à l’appui. Il est vrai que, au cours de son histoire, le GPHG n’a jamais eu la main très heureuse pour trouver de bons animateurs…
Sachant que Business Montres a déjà longuement commenté la présélection de ce GPHG 2024, dans son principe (Business Montres du 4 novembre) avant d’en connaître les résultats (Business Montres du 6 novembre et Business Montres du 8 novembre) comme immédiatement après la proclamation de ce palmarès (Business Montres du 13 novembre), nous n’allons pas nous répéter. En revanche, au-delà de nos critiques, trop de lecteurs nous demandent nos « solutions » pour que ce facteur ne soit pas justement… critique ! Tentons une synthèse des cinq grandes réformes à entreprendre, sans tarder, pour tout changer afin que rien ne change dans la magie espérée de ce rendez-vous annuel, dont nous ne répéterons jamais assez que, s’il n’existait pas, il faudrait non plus l’inventer, mais surtout le réinventer…
▶▶▶ 1) Refondre la liste des prix
Il s’agit de faire coller les catégories à la situation réelle de la concurrence sur le marché et de la compréhension qu'en ont les clients, ceci en dédoublant, voire en triplant certaines catégories officielles en fonction de leur prix public (Challenge, Petite aiguille, Homme, Femme, Joaillerie, Métiers d’art, etc.), en fonction de leur caratage, en fonction de leur complexité mécanique ou en fonction d'autres critères plus pertinents que homme/femme, compliqué/pas compliqué, sport/joaillerie ou calendrier/chronographe. Certaines cohabitations de la finale 2024 étaient absurdes, sinon scandaleuses dans le mélange des torchons et des serviettes ! Il est tout aussi indispensable d’« inventer » des catégories de prix qui ne soient pas liés à la montre elle-même, mais à son design [pourquoi a-t-on supprimé le prix Design ?], à sa finalité [par exemple, les montres « hommage à »], à son style [imaginons un prix de la Montre à secret] ou même à son concept [pourquoi pas un prix de l’Élégance, de l’Humour ou de l’Insolence horlogère?]. On peut aussi imaginer des super-prix à décerner entre marques déjà primées : une Aiguille de diamant pour les marques déjà Aiguille d’or ? À quand le retour du prix du Public, pudiquement escamoté tellement il était truqué ? Les prix décernés à des personnes – designers, artisans, spécialistes des métiers d’art et autres virtuoses des mécaniques horlogères – permettent de varier les plaisirs en honorant les « petites mains » de l’amont industriel et artistique. L’imagination au pouvoir ! Avec pas loin d’un millier d’académiciens et de marques à interroger par sondage, on devrait très vite dégager une liste de trente à trente-cinq prix qui auraient du sens [nous verrons plus loin comment cette multiplication des prix, aujourd’hui interdite par les absurdités d'un cérémonial compassé, permettrait au contraire d’animer et de dynamiser le spectacle]…
▶▶▶ 2) Réviser le règlement intérieur
Il faut le purger de ses contradictions et de ses ambiguïtés, en précisant mieux les frontières de chaque prix [surtout les nouvelles catégories] et en durcissant les critères d’admission et de sélection lors de l’inscription des montres par les marques. Il faut notamment renforcer les contrôles sur les montres qui ne sont pas vraiment nouvelles, ni vraiment de l’année. Il faudrait interdire plus de deux prix pour la même marque dans une même édition. Il faut que le GPHG admette de décerner un, deux ou trois prix à des marques non inscrites dont les montres auraient été instamment sélectionnées par les académiciens, avec un quota de voix à prévoir. Il faut permettre à la communauté des académiciens de peser comme majorité des voix [et non comme minorité] sur le palmarès final, toutes catégories de prix confondues – le jury physique [devenu minoritaire et plus spectaculaire que décisionnaire] se réservant le droit d’« inventer » des prix hors catégories officielles pour les montres qui le justifieraient. Il existe un problème de gouvernance et de transparence : il faudrait également que les jurés soient informés en direct du résultat de leur vote, ce qui limiterait les soupçons qui entachent un palmarès dont l’élaboration finale reste des plus opaques…
▶▶▶ 3) Repenser le modèle économique
Le GPHG vit aujourd’hui principalement de l’inscription des montres [tarif correct pour le premier tour, mais totalement dissuasif pour le second tour : songez que le groupe LVMH a dépensé plus de 93 000 francs pour ses seules montres en finale !], mais aussi du racket sur le dîner qui suit le GPHG et qui ne satisfait que l’égo des CEO qui invitent leurs commensaux [valeur ajoutée pour la communauté horlogère : zéro !]. Complément de budget : la subvention de la ville de Genève, d’autant plus aléatoire qu’un bureaucrate local va finir par s’apercevoir que le GPHG profite quatre fois plus à des marques non genevoises qu’à des marques du canton [valeur ajoutée pour l’économie du canton : zéro, les quatre principales marques horlogères du canton – celles qui réalisent 98 % de son chiffre d'affaires horloger – étant aux abonnés absents]. Davantage de catégories officielles, c’est mécaniquement davantage d’inscriptions, donc de rentrées financières. Il faut également se demander si les expositions itinérantes – horriblement coûteuses en assurances et en frais de transport – ont une vraie utilité, puisqu’elles ne font que consolider l’entre-soi mondain d’une communauté déjà trop portée sur l’exclusivisme et le nombrilisme : on ne gagne dans ces pince-fesses ni nouveaux suffrages [les jeux sont déjà faits], ni nouveaux clients. Le prochain modèle économique du GPHG devra inclure des prix proposés par des marques, évidemment de facto hors compétition : à titre d’exemple, pourquoi pas, pour les seuls artisans spécialisés, un prix Métiers d’art présenté par Vacheron Constantin [la marque en assurant le financement avec le GPHG] ? Toujours à titre d’exemple, pourquoi pas un prix du Tourbillon décerné par La Joux-Perret ? Compte tenu du rôle moteur de l’industrie des montres dans les industries du luxe, il est aberrant que le GPHG n’ait pas prospecté à 360° autour de l’horlogerie pour trouver des parrainages plus ou moins prestigieux, en Suisse comme à l’étranger. Détail qu'il n’est pas inutile à préciser pour professionnaliser le GPHG et le mettre enfin au service de toute la communauté des montres : encore faudrait-il doter le GPHG d’une équipe de managers un tant soit peu familiers de ce qu’est une entreprise, une stratégie d'entreprise et un projet d'entreprise – et le GPHG doit devenir une sorte d'entreprise au service d'une communauté de travail…
▶▶▶ 4) Retravailler la communication
Se reposer sur une poignée de médias partenaires [mais néanmoins concurrents entre eux] reste le meilleur moyen de confiner le GPHG dans son fatal entre-soi, en le plaçant à la merci des multiples coteries qui tentent de le cartelliser en monnayant par d’occultes transactions la répartition des trophées. Tout le monde l’a compris et tout le monde le sait : Business Montres en a déjà parlé, inutile d'insister (voir le dessin en haut de la page). La meilleure promotion du GPHG et de son palmarès n’est dans les échos des médias perroquets qui chantent ses louanges, mais dans les plans de communication des marques qui se font l’écho de leur propre réussite, au premier comme au second ou au troisième tour (finale) et qui en prolongent les effets de leur prix par des logos dans les vitrines des détaillants. Cette mise en valeur collective du GPHG est à promouvoir par la sensibilisation du grand public des amateurs et des collectionneurs : c’est le logo officiel, et la petite main pour les lauréats, qui sont les meilleures références et les meilleurs vecteurs de la communication du GPHG. Il faut privatiser la renommée du GPHG, et non la cantonaliser avec l'administration locale. Ceci avec l’aide, nous allons le voir, d’un vrai spectacle international de qualité qui reste à mettre en place. Ce sera la mission de l’Horlovision, sur le modèle de cette Eurovision qui réussit si bien à la Suisse…
▶▶▶ 5) Réimaginer le « spectacle »
Cette soirée de remise des prix est aussi coûteuse (surtout en temps et en énergie) que profondément soporifique, parce que lente, très conformiste et très iinconfortable, convenue [même avec un électron libre comme Carole Bouquet], prévisible et parfaitement dispensable. Les plus malins ont tout compris en la visionnant sur écran [les plans sont meilleurs] plutôt que dans les sièges de la salle. Là encore, il faut tout changer pour que rien ne change et mettre en scène un vrai spectacle vidéo, une Horlovision de 90 minutes [entièrement sous-titrée dans un florilège de langues, dont le français !], sur la base de présentations rapides des montres finalistes, d’explications non ampoulées sur les montres récompensées et de remerciements pré-enregistrés des lauréats [passons pour mémoire les trois ou quatre phrases de rigueur chez les politiques]. Le tout avec un montage contemporain, haletant dans la mise en scène, cadencé par le suspense avant les prix majeurs et rythmé par des intermèdes musicaux moins gnangnan que le jazz ringard de 2024 – ce sera toujours mieux que les bévues d’une star titubante. Avec la maitrise absolue du temps, en éliminant les temps morts de la salle vers la scène et retour, sans discours, ni présentations foireuses, on peut largement décerner trente à trente-cinq prix en 90 minutes, tout en garantissant un effet de surprise du début à la fin. La diffusion internationale de cette Horlovision ne saurait être qu’infiniment plus large que celle d’une cérémonie officielle qui générait même de l’accablement lors du visionnage vidéo de sa retransmission [on vous laisse imaginer ce que c’était dans le confinement de la salle]. Ajoutons que le coût de la mise en scène de cette Horlovision est compatible avec le budget du GPHG, sachant qu’il n’est pas interdit d’y glisser quelques messages publicitaires ad hoc : trente prix, trente panneaux payants « Présenté par... », ça rapporte plus que le bénéfice réel d'un dîner ! Entre un spectacle de majorettes plus ou moins bricolé et une ambiance à la Netflix, il n’y a pas à hésiter…
Donc, cinq principes de base pour retravailler le sujet, faute de quoi vont se multiplier, à la périphérie du GPHG, un cloud d’initiatives plus ou moins sauvages, mais directement concurrentes par la multiplication des prix, des récompenses, des awards et des oscars qu’elles vont provoquer. Au lieu de s’enkyster dans la décadence en pente douce où il s’enfonce lentement, mais sûrement d’année en année [toujours moins de grandes marques boudeuses, toujours plus de petites marques frustrées], le GPHG doit renverser l’échiquier et recalibrer la totalité de sa proposition, au besoin en retrouvant une indépendance perdue lors de sa récupération par les pouvoirs publics de Genève, qui maintiennent cette initiative purement privée dans un bureaucratisme indolent de style soviétique. L’avenir du GPHG est international, pas genevo-genevois : le concept d’Horlovision lui rend cette dimension en le décantonalisant et en y faisant souffler l’air du grand large, celui des grandes audaces et des grandes ambitions. Est-ce vraiment trop demander de tout changer pour que rien ne change et que tout se remette à fonctionner efficacement dans cette distribution des prix ? On vous laisse réfléchir là-dessus…
COORDINATION ÉDITORIALE : JACQUES PONS