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RÉTRODISCRÉTION
Sans tambours ni trompettes, le groupe LVMH va relancer la marque Daniel Roth

Les vitrines sont encore dépolies, mais les futurs ateliers Daniel Roth de Meyrin sont sous pression : on y mitonne la relance d’une belle marque en hibernation depuis une décennie. La réanimation des icônes du passé est décidément très à la mode…


❑❑❑❑    À NOS LECTEURS : de violentes cyberattaques ont tenté de nous clouer au sol pour nous condamner au silence. Qui, pour qui, pourquoi ? On vous laisse deviner ! Contre qui ? C’est évident : contre le seul média horloger qui assure tant bien que mal sa fonction de poil à gratter indépendant des pressions et des intimidations économiques. En attendant, nous avons réparé ce qui pouvait l’être, mais nous avons dû provisoirement fermer notre système d’achat à l’article, que nous sommes en train de repenser. Désolé pour les lecteurs occasionnels, mais nous avons décidé, pour compenser, de ramener à 5 francs suisses [un prix proche des 4 CHF qui était celui de chaque article] le prix de l’abonnement hebdomadaire, qui vous permet de profiter de toutes les informations pendant toute une semaine. Pour les mêmes raisons d'intrusion malveillante et pour préserver la sécurité de nos échanges, nous avons également dû suspendre provisoirement l'envoi de notre newsletter quotidienne. Ce n'est que partie remise…

Dans les couloirs de la nouvelle manufacture Louis Vuitton-La Fabrique du temps de Meyrin, aux portes de Genève, tous les bureaux et tous les ateliers sont largement ouverts à la lumière. Dans tous les étages, on y travaille comme dans une vitrine, en toute transparence. Partout sauf dans un seul couloir ! Là, les vitrages sont occultés : c’est là que commence le nouveau mystère Daniel Roth (remerciements à Europa Star pour l'image ci-dessous : Daniel Roth dans son atelier). C’est là que s’élabore, dans la plus grande discrétion, la relance d’une marque qui avait été « éteinte » par la maison Bvlgari qui en était propriétaire et le groupe LVMH au début des années 2010 – une fin des opérations strictement parallèle à celle qui a mis en hibernation, à la même époque, la marque Gérald Genta, relancée voici deux ans par Bvlgari [plus pour esquiver une possible déchéance de marque que par conviction]

Vers 2010, lors du rachat du joaillier italien par le groupe LVMH, la priorité était de « sauver le soldat Bvlgari » en redonnant à cette maison une consistance et une cohérence joaillière qui ne demandait qu’à s’épanouir. Jean-Christophe Babin, qui venait de reprendre Bvlgari, avait d’autres chats à fouetter et d’autres urgences que le passage en carénage et la remise à flot de Daniel Roth et Gérard Genta, marques hétérogènes et complexes à comprendre autant qu’à piloter. On avait donc décidé de tout concentrer sur le futur « miracle Octo », qui doit beaucoup à l’esthétique Daniel Roth, en affectant au passage à Bvlgari quelques-unes des hautes complications développées par et pour Gérald Genta. Une forme d’exploitation des acquis en attendant l’hibernation…

Ce qu’un groupe débranche, il peut le rebrancher ! Le succès récent de la relance discrète et presque timide, par Bvlgari, de nouveautés « Mickey » signées Gérald Genta a perrmis au groupe LVMH de vérifier ce que tous les amateurs savaient, mais ça n’était pas encore monté au cerveau de l’état-major : cette marque avait un potentiel fantastique pourvu qu’on sache l’exploiter – et qu’on soit motivé pour le faire, ce qui n’était pas vraiment cas de Jean-Christophe Babin, qui ne voulait pas disperser les forces de Bvlgari sur des opérations périphériques. D’autant que la proximité stylistique entre la tradition des boîtiers en « double ellipse » signées Daniel Roth et certaines Octo Bvlgari aurait pu prêter à confusion…

Le même raisonnement semble avoir conduit à la décision de relancer aussi Daniel Roth, moins sous la pression d’équipes extérieures qui auraient voulu récupérer la marque [une épée de Damoclès toujours très efficace] que pour enrichir d’un atelier horloger supplémentaire le portefeuille horloger du groupe : il suffisait de suivre la cote des montres Daniel Roth d’ancienne génération aux enchères pour comprendre qu’on pouvait à nouveau emballer la machine pour une marque dont l’image auprès des amateurs n’a en rien pâti de sa déconfiture commerciale. Pendant longtemps, dans les catalogues des maisons d’enchères, les chronographes, quantièmes perpétuels, les répétitions minutes et les tourbillons Daniel Roth sont restés une des meilleures affaires du moment, dans la catégorie hautes complications à prix imbattables. Maintenant qu’on a compris que la relance de la marque était imminente, on peut d’ailleurs se demander si quelques petits malins n’ont pas profité d’un léger délit d’initiés pour effectuer un habile « ramassage » des meilleures pièces sur le marché – ce qui n’a pu que pousser à l’enchérissement de la cote des montres Daniel Roth qui passaient sous le marteau…

Une envolée sous le marteau qui n’a pas dû échapper à l’œil de Jean Arnault, vrai amateur et grand collectionneur de petites merveilles mécaniques. D’autant qu’il avait sous la main l’équipe de La Fabrique du temps (ci-dessus et ci-dessous) pilotée par Michel Navas et Enrico Barbasini. Il suffisait de remettre quelques horlogers sur l’établi pour faire avancer le projet, sans déperdition d’énergie ni investissements démesurés, avec 2023 comme objectif et l’ambition de réinsérer Daniel Roth dans le paysage de la haute horlogerie – on ne peut même pas exclure une apparition non officielle de Daniel Roth au prochain Watches & Wonders, discrètement, montre en poche comme il se doit. Le seul risque d’une telle relance, c’est à présent de voir revenir dans les ateliers du SAV Louis Vuitton des montres d’un âge respectable, qu’il faudra réparer ne serait-ce que parce qu’elles portent le nom de la marque et au nom de cette image de marque…

Comme il s’agit forcément d’une marque de niche et de « montres de garage » (comme les vins du même nom), destinées à une poignée de riches amateurs qu’on sait cependant très exigeants sur la qualité de leur investissement, personne ne s’encombrera de considérations stratégiques pour le marketing, la distribution ou la communication : small is beautiful ! Le tout sera sans doute de créer un nouveau narratif autour de Daniel Roth, l’ancien ayant tendance à se perdre dans les obscurités de l’histoire horlogère comme un oued dans les sables sahariens. Il faut se souvenir que la marque appartenait à l’origine à la famille Tay (Hour Glass, Singapour), qui avait donné au maître-horloger Daniel Roth [tout comme d’ailleurs à Gérald Genta lui-même] les moyens d’exprimer une certaine idée de la haute horlogerie européenne. 

À l’origine, tout s’est joué entre « combiers » de la vallée de Joux : Daniel Roth, qui habite toujours au Sentier, avait été chercher ses premiers mouvements de base et surtout ses complications à la Nouvelle Lémania, de L’Orient, puis de L’Abbaye, sur les rives du lac de Joux, manufacture qui fournissait à l’époque aussi bien Patek Philippe que Vacheron Constantin, Breguet, Ulysse Nardin ou Ebel. Il semblerait même que l’emblématique boîtier en « double ellipse » qui a longtemps porté l’identité de Daniel Roth ait été récupéré par Daniel Roth dans les projets de la Nouvelle Lémania. Tout ceci s’était arrêté lors de la reprise conjointe de la Nouvelle Lémania de Breguet, qui faisaient route ensemble, par le Swatch Group (1999). Les maisons Daniel Roth et Gérald Genta, qui disposaient de leurs propres ateliers au Sentier (toujours en vallée de Joux), devaient être ensuite rachetées à The Hour Glass par Bvlgari en 2000, avant d’intégrer le groupe LVMH en même temps que Bvlgari…

Une histoire compliquée à démêler pour le futur storytelling de la troisième génération des futures montres Daniel Roth x Louis Vuitton, mais on peut faire confiance à Jean Arnault et au marketing-communication Louis Vuitton pour être à la hauteur de cette histoire mouvementée. Une certitude : les mécaniques seront aussi créatives qu’elles pouvaient l’être et qu’elles le sont restées. La suite au prochain numéro…

 

Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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