TECHNOMARINE : Un changement d'actionnaire comme on n'en a encore jamais vu dans l'horlogerie...
Le 21 / 07 / 2013 à 13:57 Par Le sniper de Business Montres - 2941 mots
Non officiel et non autorisé, comme d'habitude : TechnoMarine a changé de mains ce vendredi ! La marque est rachetée, mais ce ne sera ni par un fonds de private equity, ni par un groupe de luxe, ni par un investisseur chinois ! Il semblerait (merci de nous corriger) qu'une telle opération n'ait encore jamais été tentée...
▶▶▶ MERCATO HORLOGERJacques-Philippe Auriol relance la partie pour TechnoMarine... ◉◉◉◉ Encore une fois, c'est du « non officiel et non …
Non officiel et non autorisé, comme d'habitude : TechnoMarine a changé de mains ce vendredi ! La marque est rachetée, mais ce ne sera ni par un fonds de private equity, ni par un groupe de luxe, ni par un investisseur chinois ! Il semblerait (merci de nous corriger) qu'une telle opération n'ait encore jamais été tentée...
▶▶▶ MERCATO HORLOGERJacques-Philippe Auriol relance la partie pour TechnoMarine... ◉◉◉◉ Encore une fois, c'est du « non officiel et non autorisé », mais on peut s'autoriser à penser que la marque Technomarine vient d'être revendue – encore, diront certains ! La signature aurait eu lieu vendredi, après des mois de négociations avec différents repreneurs, dont le finaliste est entré le dernier dans la course. Le nouveau propriétaire de la maison ne sera donc pas, comme d'habitude, un investisseur chinois, un fonds de private equity, un financier extérieur à la communauté horlogère, un passionné de montres un peu masochiste, un groupe de luxe, un fournisseur créancier ou toute autre solution habituelle : c'est le « taulier » lui-même – le CEO depuis 2011 : Jacques-Philippe Auriol – qui a cassé sa tirelire et qui s'est associé avec un de ses cadres pour reprendre TechnoMarine et lui ouvrir les portes d'un nouvel avenir. En termes techniques, c'est un R.E.S (rachat de l'entreprise par les salariés), mais ça se prononce aussi Management Buy-Out ou M.B.O en franglais – sauf que ce n'est pas tout-à-fait ça tout en l'étant un peu : les détails de cette revente ne sont pas encore éclaircis, mais c'est – jusqu'à plus ample informé – le premier R.E.S dans l'horlogerie pour une marque de ce niveau... ◉◉◉◉ Au cours de ces dernières années, la marque TechnoMarine n'a pas été gâtée par les événements. Revendue en juin 2007 par son créateur, Franck Dubarry [qui avait eu le génie de croire, en 1997, aux diamants sur silicone et au néo-luxe en plastique polychrome], à un duo d'investisseurs venus d'ailleurs et soutenus par différents fonds (dont le Crédit Agricole, la société Copeba (Compagnie Benelux Participations) et la banque UBS) : c'était une révélation Business Montres du 29 juin 2007 (édition papier). La marque a ensuite été dirigée par l'un des deux repreneurs, Jean-Claude Yana, qui se flattait de quelques succès dans les start-ups Internet, mais qui a cédé la place à son co-associé, Gilbert Ohayon, qui venait, lui, de l'industrie du disque et qui avait fait fortune dans la musique et dans les jeans. Estimation Business Montres : TechnoMarine faisait alors 42 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour environ 65 000 montres vendues tous les ans [à peu près 1,5 million de pièces depuis la création de la marque, en 1997, avec un réseau de 2 000 points de vente et un EBITDA proche de 8 %)... ◉◉◉◉ Dix-sept mois plus tard, Christian Viros sortait du bois : il s'était jusque-là abrité des projecteurs derrière ses copains du fonds belge Cobepa, mais il lui fallait protéger son investissement, un peu chahuté par le management des deux investisseurs « officiels », qui avait découvert, mais un peu tard, qu'on ne gérait pas une manufacture de montres comme un bac de disquaire. Les ventes chutaient, les profits aussi ! D'où une opération « chaises musicales » qui était une révélation Business Montres du 29 mars 2009 : Christian Viros reprenait la main et le fauteuil de CEO, à titre provisoire. Un mois plus tard, nouvelle révélation Business Montres (10 juin 2009) : Vincent Perriard – en rupture de Concord, où il venait tout juste de prévenir Efraim Grinberg de son départ – devenait le quatrième CEO de TechnoMarine en dix-huit mois. Sans vraiment convaincre, ni relancer les ventes, ni surtout produire les profits escomptés, puisque Christian Viros se séparait de lui en novembre 2010 (une autre révélation Business Montres) et reprenait pour quelques mois l'intérim de la présidence jusqu'à la nomination de Jacques-Philippe Auriol (Business Montres du 10 janvier 2011), qui aura donc été le sixième CEO de TechnoMarine en quatre ans (ci-dessous)... ▶▶▶ FORCES ET FAIBLESSES Un repositionnement stratégique compliqué pour une marque indépendante de taille moyenne...◉◉◉◉ En 2012, Christian Viros ayant entretemps repris ses billes, les associés du fonds Cobepa – devenus seuls actionnaires de TechnoMarine, à quelques menus pourcentages près – se posaient la question de leur sortie : ils doutaiennt de jamais pouvoir arriver à rentrer dans leur investissement. Si Jacques-Philippe Auriol menait à bien sa restructuration interne et son « nettoyage » de l'entreprise, il n'en avait pas moins besoin d'apports de fonds permanents pour tenir le coup. Appels de trésorerie qui ont le don d'agacer les investisseurs, surtout quand ils ne comprennent pas grand-chose au métier horloger. Ayant pris la décision de se retirer, ces investisseurs devaient forcément trouver un repreneur et tenter de désintéresser les banques créancières : c'est ce qu'on appelle « tirer la prise » ou « fermer le robinet », voire « éteindre une ligne de crédit » en jargon bancaire – en considérant que les fonds ainsi épargnés produiraient davantage de profits dans un autre secteur. C'est là que Cobepa a tenté de revendre l'entreprise à son fondateur, Franck Dubarry, qui était partant, mais en « rinçant » totalement les banques créancières des fonds avancés. D'autres repreneurs possibles semblent avoir été approchés à Hong Kong. Les négociations ont traîné en longueur... ◉◉◉◉ Ce n'est pas que TechnoMarine aille mal, même si TechnoMarine ne va pas bien, comme la plupart des marques indépendantes de taille moyenne [estimation Business Montres : 21 millions de chiffre d'affaires 2012, pour moins de 45 000 montres vendues et un résultat négatif de quelques millions]. Passé par le groupe Richemont [Cartier, puis Baume & Mercier, dont il a été CEO], puis par le groupe Gucci, Jacques-Philippe Auriol a été à bonne école : il a rationalisé l'offre – rendue plus rock'n'roll – tout en lançant une campagne de communication remarquée (image en cartouche, en haut de la page) et en concentrant le réseau commercial. En fait, TechnoMarine flotte un peu dans son positionnement, les fesses entre deux chaises, la marque semblant encore sonnée par la valse de ses équipes dirigeantes. Une fois élagué et moralisé tout ce qui devait (pouvait) l'être dans TechnoMarine, il fallait trouver un nouveau souffle pour la marque, donc – logiquement – un nouvel actionnaire et de nouveaux fonds. Les investisseurs pressentis ont tous compris son atout principal : une image de marque restée très honorable, forte et mémorisée, sur le marché, avec une forte notoriété pour des collections relativement bien typées, une bonne communication segmentante et un réseau commercial relativement efficace, même s'il est trop focalisé sur le marché américain et le sud-est asiatique (zone Pacifique). On peut même considérer que son prix moyen (600 à 1000 dollars prix public) est devenu stratégique, alors que l'hyper-luxe reflue et qu'il faut reconquérir les marchés forts (BRICS, Europe, Etats-Unis) avec une offre nettement plus accessible... ◉◉◉◉ Les handicaps n'en sont pas moins évident : aussi bonne soit-elle, l'image de la marque n'en reste pas moins brouillée. L'offre produits est à réenchanter par des talking pieces capables de tirer la demande. Les investissements à consentir pour consolider le réseau commercial – TechnoMarine a déjà quelques boutiques propres en Asie du Sud-Est – ou pour retrouver un certain rang dans les médias grand public ne sont pas minces. Bref, le besoin de fonds de roulement était d'autant plus critique que les actionnaires avaient annoncé leur volonté de tout débrancher, au risque d'y perdre les billes investies. Les 60 salaires mensuels pèsent sur les comptes. Tout ceci sans parler de l'endettement bancaire [20 à 23 millions selon la communauté financière genevoise et hongkongaise] et de quelques créances béantes chez les fournisseurs de plus en plus nerveux, en Suisse comme en Asie : on sait que les banques sont actuellement terrorisées – et elles ont raison de l'être – par la perspective de devoir demain s'asseoir sur toutes les avances de trésorerie – des montagnes d'argent frais – imprudemment consenties aux marques horlogères lorsque tout leur souriait du fait de l'emballement de la demande chinoise... ◉◉◉◉ Donc, sur le papier, l'aventure était tentante, mais les repreneurs potentiels préféraient prendre le temps d'une due diligence très approfondie avant de faire des offres consistantes. Tant du côté asiatique que du côté lémanique, la méfiance était de mise. Une des solutions qui avait le plus de sens était celle de Franck Dubarry, qui s'est apparemment un peu lassé de la pratique du polo comme style de vie et qui, n'ayant pas toujours fait de judicieux investissements, aurait bien « repiqué » au grand cirque horloger : quand on a fait gagner tellement d'argent à son réseau de distribution, à la grande époque de la marque, on y compte toujours quelques copains assez reconnaissants pour renvoyer l'ascenseur et recréer très vite les conditions d'une dynamique commerciale entraînante... ▶▶▶ RETOUR À MEILLEURE FORTUNEChacun y a mis du sien pour ne pas perdre la face...◉◉◉◉ Un peu pressés d'en finir au plus vite [était-ce donc si urgent ou avaient-ils des consignes de leurs propres actionnaires ?], les décideurs de Cobepa ont finalement choisi de prendre un raccourci en proposant l'affaire à celui qui n'avait pas besoin d'une due diligence approfondie pour connaître la situation réelle de l'entreprise : son propre CEO, qui sait lire un compte d'exploitation et qui en possède la vision du court et du moyen terme [il semblerait qu'on soit au-dessous des 20 millions d'activité prévisionnelle pour 2013]. Il lui suffisait de casser sa tirelire pour faire, avec un cadre associé, une offre minimale capable de rassurer les banquiers sur le court terme, les actionnaires ayant une dernière fois consenti à « remettre au pot » pour assurer à TechoMarine un viatique d'autonomie provisoire. Pourquoi ce dernier geste un peu inattendu de Cobepa ? C'est tout sauf de la générosité ! Quand on est un fonds d'investissement à vocation européenne, autant bien gérer son image et autant se donner et conserver une bonne réputation sur le principal marché financier européen, la place de Genève, dont les banquiers avaient des angoisses à propos du dossier TechnoMarine, dont on pouvait craindre le possible dépôt de bilan. Avec le rachat par Jacques-Philippe Auriol – une solution managériale qui en vaut une autre – et le dernier « solde de tout compte » laissé par Cobepa dans la trésorerie de l'entreprise, tout le monde a gagné du temps, chacun y ayant mis du sien ! On espère seulement – sans en être certains – que ce rachat par M.B.O ne va pas effrayer les gros distributeurs de la marque, qui semblaient très nerveux ces dernières semaines (notamment le plus important d'entre eux)... ◉◉◉◉ On verra bien dans un ou deux ans : il semblerait qu'une des clauses de cession concerne une rétribution des banques sur les profits d'une revente éventuelle de la marque, dans quelques années : selon nos informations, 8 millions de dettes senior auraient été acceptées par le nouveau repreneur et elles restent donc à solder... un jour ! Faute de pouvoir tondre un oeuf aujourd'hui, on a toujours une chance de se refaire sur la vente du poussin ou sur les oeufs d la future poule : ceux qui ont de la mémoire se souviendront ici de la fable sur Perrette et le Pot au lait de ce bon M. de La Fontaine. On verra bien, demain, si le plan d'action de Jacques-Philippe Auriol, nouveau propriétaire, tient le coup. On verra bien si le retour à meilleur fortune a eu lieu : les banquiers de Genève ont le défaut de croire ce que leur racontent les marques horlogères, restées très optimistes pour 2013 et encore plus pour 2014. On sait que Business Montres – qui avait annoncé le retour de la crise il y a tout juste un an, quand tous les indicateurs étaient au beau fixe – est d'un avis contraire, mais que pèse l'analyse d'un journaliste qui tente de garder sa lucidité face à la formidable machine à désinformer des grands groupes et au flot écoeurant des médias perroquets ? ◉◉◉◉ Jusqu'à plus ample informé, formule prudente mais consacrée, le M.B.O de Jacques-Philippe Auriol est une première horlogère pour une marque indépendante de cette taille. La belle histoire de cette reprise – aussi impérieuse qu'acrobatique – ne doit cependant pas masquer la situation parfois dramatique des marques de taille moyenne restées hors de portée des grands groupes qui les laminent. Même quand elles sont équilibrées en exploitation [TechnoMarine ne l'est pas], ces marques rament et elles s'endettent pour maintenir leur statut et défendre leurs positions, sans pouvoir toujours investir dans les développements et dans les innovations qui restent la clé de leurs performances. D'autant que la géostratégie horlogère internationale va très vite leur imposer des choix radicaux, notamment celui d'une option rapide vers le Swiss Made [TechnoMarine n'y est pas encore] : quand les marques chinoises vont mettre le turbo sur leur conquêtes des marchés internationaux, ce Swiss Made sera la seule arme des horlogers réputés « européens », le Made in China ayant toutes les chances de devenir intenable sur le plan de la communication et de la commercialisation – surtout si on tient compte de la montée du patriotisme industriel dans toute l'Europe. Les consommateurs avancés auront besoin de produits loyaux et clairement positionnés. Ce qui ne va pas faciliter la renaissance de TechnoMarine, qui devra rapidement, dans les mois à venir, entamer sa migration vers le Swiss Made, renforcer sa communication [sans renoncer à son actuel décalage], recréer des icônes capables de faire le buzz et radicaliser sa focalisation sur les marchés-clés. Combien ça coûte tout ça, quand on n'a pas beaucoup de sous ?
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