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TIFFANY & CO : Le rêve d'un retour dans la grande horlogerie, mais par la petite porte et avec une modestie surprenante de la part d'un leader mondial de la joaillerie...

Pas si facile de re-devenir un vrai horloger quand on a été à ce point chahuté par l'histoire récente. Louable ambition, mais c'est encore plus compliqué quand on est Américain, coté en bourse et riche d'un long parcours dans la montre... ▶▶▶ EN AVANT COMME AVANTSur les traces de la « New York Minute », selon les canons classiques du Swiss Made, …


Pas si facile de re-devenir un vrai horloger quand on a été à ce point chahuté par l'histoire récente. Louable ambition, mais c'est encore plus compliqué quand on est Américain, coté en bourse et riche d'un long parcours dans la montre...

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▶ EN AVANT COMME AVANT
Sur les traces de la « New York Minute »,
selon les canons classiques du Swiss Made,
mais avec l'idée de encore faire mieux qu'avant...
 
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◉◉ C'EST POUR AFFIRMER CETTE NOUVELLE AMBITION HORLOGÈRE que Tiffany & Co ouvre aujourd'hui à Genève une nouvelle boutique, majoritairement joaillière, mais la moitié du rez-de-chaussée sera dédiée aux nouvelles collections de montres de la marque. Un espace horloger dont la décoration tranche subtilement sur les salles joaillières, qui donnent sur le lac (ci-dessus) : moins de lumières très blanches et de tons bleutés – le fameux « Bleu Tiffany & Co » – pour l'horlogerie, des matériaux plus virils et un comptoir de vente plus anglé, sans les rondeurs qui enveloppent les vitrines de bijoux. Comme les nouvelles collections de montres de Tiffany & Co ne seront vendues que dans les 297 boutiques de la marque [ce qui fait déjà un superbe réseau !], l'idée est de capter une clientèle « captive » pour lui faire découvrir ce comptoir horloger à l'occasion d'un achat de bijoux – une vigoureuse campagne de communication multi-canaux, à 360°, venant s'ajouter à ce trafic naturel pour appuyer la nouvelle offre...
 
◉◉ NE REVENONS PAS SUR LES DÉMÊLÉS ENTRE TIFFANY & CO et le Swatch Group : les tribunaux bataves s'en occupent et des myriades d'avocats sont sur la brèche des deux côtés de l'Atlantique. Tant mieux pour eux ! La vérité, c'est que Tiffany & Co, qui comptait sur le Swatch Group pour épauler sa percée dans les montres, se retrouve sans allié pour opérer ce retour dans l'horlogerie, avec l'obligation de ne pouvoir compter que sur ses propres forces, face à des concurrents pure players pas vraiment décidés à laisser une nouvelle marque, aussi puissante dans la joaillerie, venir piétiner leurs plate-bandes. Voler de ses propres ailes est un exercice périlleux dans l'horlogerie. Pour l'état-major de Tiffany & Co à New York, il ne s'agissait donc de ne pas refaire les erreurs initiales de Ralph Lauren lors de son entrée sur le marché de la montre [une arrogance extrême doublée d'une singulière prétention à la légitimité], ni celles de Louis Vuitton [une verticalisation brouillonne doublée d'un marketing aléatoire passé les premiers succès], ni même celles d'Hermès [des investissements hasardeux dévoyés par l'absence de toute stratégie commerciale cohérente : analyse Business Montres du 7 mai dernier– pour ne parler que des « grandes marques » internationales. Il s'agissait aussi de faire oublier le passé récent – l'aberrant mariage et le douloureux divorce avec le Swatch Group – sans oblitérer les splendeurs horlogères d'un passé plus ancien [voir en bas de la page : document téléchargeable ICI]...
 
TIFFANY&CO-nicolaandreatta-Businessmontres◉◉ UNE STRATÉGIE A DONC ÉTÉ ARRÊTÉE POUR REPOSITIONNER Tiffany & Co à un niveau honorable, avec les égards dûs à son rang, mais sans prétention, ni ostentation, avec la prudence qui sied à une société cotée dont le chiffre d'affaires approche les 4,2 milliards de dollars et, surtout, avec une modestie qui tranche avec les traditionnelles envolées lyriques et bullshitologiques des marques qui « se la pètent grave » dans l'horlogerie. Si la marque est ontologiquement américaine, par son histoire comme par ses marqueurs génétiques, les montres Tiffany & Co ne pouvaient être que suisses et, plus largement européennes. Suisses par l'approvisionnement en composants mécaniques (mouvements issus des meilleures manufactures qui ne relèvent évidemment pas du Swatch Group, dont Dubois Dépraz, Sellita et Lajoux Perret) ou en éléments d'habillage, sertissages compris, le tout garantissant un Swiss Made plutôt inattaquable, quoique le choix de s'implanter dans le Tessin soit questionnable : admettons qu'il s'agissait de faire des économies pour implanter à Chiasso, près de Lugano, l'état-major horloger de Tiffany & Co Swiss Watches (sa direction, son bureau technique, son équipe de design, son contrôle qualité, son atelier d'assemblage, son SAV et son centre logistique international). La marque a donc deux hémisphères dans son « cerveau », pour cause de double identité : l'hémisphère joaillier à New York, l'hémisphère horloger en Suisse. Les compétences européennes tiennent à l'équipe, tous des anciens de l'horlogerie suisse ou européenne, à commencer par Nicola Andreatta, le directeur général horloger (ci-dessus), que nous avons connu quand ce Milanais avait fondé la marque NOA (Italie) en 2003 et dont nous savons qu'il est le représentant de la troisième génération d'une famille d'horlogers italiens. 
 
◉◉ TRADUCTION TACTIQUE DE CETTE PRUDENCE MODESTIE, qui entend créer un parcours horloger étalé sur plusieurs années, mais suivi pas à pas : une gamme relativement courte, avec deux collections masculines (CT 60, le cheval de bataille, et East West), un embryon de collection féminine (une superbe montre de cocktail Tiffany Diamond, dont l'ovale n'est pas révolutionnaire – beaucoup de concurrents ont déjà labouré ce sillon – mais le sertissage en diamants de couleurs très gourmand : ci-dessus, sous le titre – son ovale est impossible à manquer), plus les reliquats des collections précédentes (notamment Atlas, qui date de 1983). Le tout à des tarifs relativement raisonnables, avec un prix moyen entre 6 000 et 8 000 CHF – mais quelques bonnes surprises comme la East West à moins de 4 000 CHF. Il est vrai que cette montre East West est très originale en même temps que très réussie (ci-dessous et en haut de la page) : c'est une montre à quartz (Ronda). Un choix qui s'explique à la fois par l'envie de créer un produit d'appel accessible et – on l'espère – par la perception des exigences du nouveau luxe générationnel, qui ne mesure pas la connotation statutaire au montant du chèque, mais à la force intérieure et à la différence exprimée par le produit. 
 
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◉◉ POURQUOI CE SIGLE CT 60 ? CT pour Charles Lewis Tiffany, héros de la dynastie, qui a inventé la « New York Minute », laquelle justifie le chiffre 60 (pour « 60 secondes de pure possibilité »). Explication officielle : « M. Tiffany présenta son plus grand symbole en 1853, lorsqu'il inaugura l'horloge Atlas, haute de presque trois mètres, en haut de sa boutique — la même horloge qui, aujourd'hui, surplombe l'entrée de la boutique phare de la Maison sur la Cinquième Avenue. Les habitants de la ville se fiaient à cette horloge publique, unique en son genre, pour être à l'heure. Avec l'adoption de l'heure légale universelle en 1883, Tiffany & Co. commença le réglage hebdomadaire de plus de 400 horloges appartenant à ses clients. M. Tiffany était désormais un joaillier et horloger de renom, dont l'horloge Atlas représentait non seulement une réputation d'excellence, mais également l’esprit d’innovation de la ville de New York. » La montre CT 60 (ci-dessous) ne révolutionnera probablement pas le design horloger : boîtier rond de 40 mm en or ou en acier et bracelet cuir ou métal, le tout en huit références. En revanche, le cadran à deux étages est remarquablement soigné : guillochage circulaire du tour des minutes, qui sont imprimées en chiffres bleus comme du temps de l'âge d'or des montres mécaniques, grands chiffres à l'ancienne, surlignés et éclairés de l'intérieur par une poudre d'argent, finition soleillée. On sent la même volonté néo-classique dans le style des cornes et dans la relative minceur du boîtier, dont la lunette a été affinée pour « élargir » visuellement le cadran [à moins que ce ne soit pour grignoter un peu d'or, ce qui serait étonnant au vu des quantités produites]. Les mouvements sont automatiques, sans peur et sans reproche. En revanche, on peut estimer que le choix de la couleur des cadrans soleillés (blanc cassé, bleu, havane, gris) est d'une désolante banalité : une maison comme Tiffany & Co avait le devoir de s'inventer une teinte identitaire. De même, la couronne est perfectible [on n'était pas obligé de l'acheter sur étagère, avec une décoration hâtive], le fond saphir ne s'imposait pas pour dévoiler un mouvement industriel [à la limite de l'indigence pour la décoration du rotor] et la largeur des aiguilles mériterait d'être imperceptiblement corrigée à la hausse – il est vrai que cette finesse de l'aiguillage semble être devenue la maladie chronique des joailliers qui basculent dans l'horlogerie. Une version chronographe, deux compteurs à l'ancienne et poussoirs champignon, avec mouvement automatique Dubois Dépraz (huit références), vient compléter le paysage de cette vague de CT 60, dont le rapport qualité-prix étonnera pour une maison du prestige de Tiffany & Co.
 
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◉◉ C'EST QU'IL S'AGIT D'AVANCER AVEC CIRCONSPECTION sur ce marché horloger où Tiffany & Co a récemment connu tant d'avanies, alors que son passé s'écrivait dans le sillage de Patek Philippe, avec une immense manufacture bâtie dans le coeur de Genève. Manufacture dont on retrouvera la gravure au dos de la CT 60 lancée en édition limitée pour l'inauguration de la boutique de Genève : les 60 pièces de cette montre en or à double calendrier (jour, date, mois : ci-dessus), superbe avec son cadran en argent opalin, sont déjà souscrites ! Deux éditions spéciales de la Cocktail Watch ovale (diamants roses, en haut de la page, ou diamants jaunes, pour rappeler le fameux diamant Tiffany) marquent également l'ouverture de la boutique genevoise. Ce n'est évidemment pas un hasard si Tiffany & Co Swiss Watches a choisi de mettre d'abord l'accent sur son offre masculine : autant Tiffany & Co peut régner dans le coeur des femmes, autant la marque a jusqu'ici ignoré l'autre moitié de l'humanité. La montre sera le Cheval de Troie du joaillier pour pénétrer dans la citadelle des hommes et, par la suite, équilibrer la perception de son image.
 
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◉◉ L'IDÉE FONDAMENTALE RESTE DE CHANGER LES MENTALITÉS et transformer en légitimité horlogère la notoriété dont Tiffany & Co dispose sur le terrain joaillier. Il s'agit de prouver qu'une maison célèbre pour ses bijoux a quelque chose de fort et de crédible à dire avec ses montres : d'où la nécessité de prouver un authentique savoir-faire suisse et un vrai enracinement dans le terreau horloger suisse. Le storytelling Tiffany & Co fera le reste, avec des arguments historiques qui ne sont pas minces et beaucoup de belles histoires à raconter. Les objectifs sont modestes : au cours de ces prochaines années, l'horlogerie ne devrait pas représenter plus de quelques unités de pourcentage du chiffre d'affaires « milliardaire » de Tiffany & Co. Un objectif de 10 % du bilan au bout de dix ans (soit 420 millions de dollars) reste raisonnable, quoiqu'ambitieux [d'ici là, où en sera le marché horloger ?] pour une marque dont le chiffre d'affaires progresse régulièrement, mais dont la moitié de l'activité reste concentrée sur les Etats-Unis [on peut aussi voir cette faiblesse extra-américaine comme une fantastique réserve de croissance]. Avec les années, des petites complications « utiles » (celles qui « facilitent la vie ») devraient intégrer les collections, mais personne à Chiasso ne semble hanté par le mythe du tourbillon ou de la répétition minutes, même si la marque a pu en faire dans le passé...
 
◉◉ AVEC UNE APPROCHE AUSSI PEU ARROGANTE (compte tenu du statut prestigieux de la marque) et avec un rapport qualité/prix que n'importe quel Américain décodera comme « big value for money » en le comparant à celui d'autres montres suisses, la nouvelle horlogerie Tiffany & Co a mis de son côté d'excellents atouts. Si de menus détails restent perfectibles, l'essentiel s'annonce crédible et consistant, sinon pertinent compte tenu des nouveaux comportements « sélectifs » des consommateurs. Les concurrents ne feront aucun cadeau au joaillier en quête d'une nouvelle légitimité, mais la force de son propre réseau retail est une arme de reconstruction massive. On vous en reparlera...
 
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