LE SNIPER DU VENDREDI (accès libre)
Vous imaginez le drame, si ce Jean-Daniel Pasche était président de la FH suisse ?
Notre « édredon exterminateur » a encore frappé ! Dans la foulée de son « très bon d’année » pronostiqué en février et de son « début de baisse marqué » anticipé en mars, il nous rassure à présent sur les atouts de l’horlogerie suisse. S’il n’existait pas, il faudrait inventer ce Jean-Daniel Pasche…
HEUREUSEMENT QUE
CE JEAN-DANIEL PASCHE
N’EST PAS LE PRÉSIDENT
DE LA FH SUISSE ! (éditorial)
C’est un des plus grands humoristes suisses, et on ne comprend pas pourquoi le festival de Montreux le boude avec une telle obstination, alors que c’est un boute-en-train capable de créer une ambiance enivrante. Le secret de Jean-Daniel Pasche : un verbe lénifiant, une intelligence assagie par l’usage immodéré des tisanes de camomille [c’est bien plus efficace que le Prozac], un art on ne peut plus puissant et discret dans la maîtrise des chiffres et dans la distillation des informations qui rassurent, une vision stratégique imperturbablement optimiste, une allergie inoxydable à toute parole qui ne serait pas émoussée et lissée par une urgente modération, une merveilleux talent dans le maniement de la langue de coton et de la pâte à polir les évidences tout en servant les intérêts des grandes puissance de l’horlogerie. Ce qui fait beaucoup pour un seul homme, mais c’est ce qui le rend si précieux dans les périodes de crise : il sait mieux que personne nous persuader de ne rien voir et de ne s’inquiéter de rien, ce qui ne manque pas de rassurer les ravis de la crèche dont il mène le troupeau avec une exquise diligence et une politesse impossible à prendre en défaut…
Si ce Jean-Daniel Pasche n’existait pas, il faudrait l’inventer. Si, si, absolument ! La preuve : ce matin, dans L’Agéfi, bulletin économique qui n’a rien d’un brûlot extrémiste, il avait ces paroles d’une profondeur inouie : « L’horlogerie suisse conservera ses atouts » ! Les 450 membres de son association faîtière (90 % des entreprises de la branche horlogère) sont restés babas devant une telle audace. D’autant que cet « édredon exterminateur » – c’est le sobriquet sympathique dont on l’affuble dans les coulisses du show-business horloger – a martelé, ensuite, avec toute la force de sa conviction : « En 2019, le repli des exportations vers Hong Kong (mesuré en francs suisses) s’est élevé à 11 %. Concernant la pandémie, la valeur des exportations s’est contractée de 9,2 % en février 2020. Par contre, nos marques horlogères ne nous ont pas signalé de sérieux problèmes d’approvisionnement, notamment de Chine ». Propos vigoureusement iconoclastes : oser réaffirmer que le repli horloger ne se situe qu’entre 9 % et 11 %, c’est faire preuve d’un courage intellectuel presque surhumain, alors que toutes les marques ont vu leurs ventes sur le terrain s’effondrer de 50 %, 60 %, 70 %, voire 90 %. Et alors que les marchés européens sont confinés, boutiques fermées, de même que les marchés nord et sud-américains. Heureusement que de fiers guerriers se dressent, tels Guillaume Tell et tel Jean-Daniel Pasche, pour crier d’aussi éclatantes vérités à la face des prophètes de la chronapocalypse !
Comme il y avait l’esquisse de l’ombre de la nuance d’un semblant de doute – et peut-être même de suspicion – dans son allusion aux approvisionnements sans problèmes en provenant de Chine, notre grand humoriste ajoute immédiatement : « Je ne veux pas dire qu’il n’y en a pas [de problèmes d’approvisionnement] et j’en profite pour relever que l’industrie suisse est en mesure de fabriquer tous les composants de la montre ». Avis martial à ceux qui se seraient permis de douter de l’intégrité morale du Swiss Made ! Le reste de cette interview à L’Agéfi relève d’une incroyable performance dans l’exactitude d l’eau tiède qu’ils nous sert (au demi-degré près) : avec un bon client comme Jean-Daniel Pasche, on est sûr d’avoir des informations percutantes, qui redonnent le moral aux bisounours déboussolés par la crise. D’autant que cette interview s’est doublée, hier, d’une magistrale déclaration solennelle du toujours désopilant Jean-Daniel Pasche. En date du 26 mars, alors que la chronapocalypse exerce ses ravages depuis dix semaines [pendant lesquelles il devait ronger son frein et piétiner d’impatience], il vient nous expliquer avec le calme transcendant des vieilles troupes : « Qui l'eût imaginé ? Qui eût imaginé il y a quelques mois, à fin 2019, alors qu'on apprenait qu'il se « tramait » quelque chose en Chine, que la Suisse ferait face aujourd'hui à une vague déferlante d'une telle ampleur ? Souvenons-nous du SRAS en 2003, lorsque des exposants asiatiques s'étaient vus interdire l'ouverture de leur stand à Baselworld (site de Zurich), nous avions l'impression d'avoir tout vécu. Or, rien de comparable avec ce qui se passe aujourd'hui : la réalité dépasse véritablement la fiction. Quelle leçon d'humilité face aux événements « naturels » qui nous dépassent ! » C’est là qu’on découvre que notre humoriste, déguisé en édredon exterminateur, cachait une âme de poète élégiaque et une sensibilité d’agneau pascal. Quelle émotion dans ce « Qui l’eut imaginé ? » ! Quelle sensibilité à fleur de peau dans la péroraison de cette déclaration de guerre à l’adversité : « J'espère vivement que nos entreprises vont passer cette période problématique sans être trop affectées dans leur substance pour redevenir pleinement opérationnelles lorsque les jours seront redevenus meilleurs : l'horlogerie suisse sera bel et bien présente lorsque les gens pourront à nouveau ressentir des émotions positives et auront envie de se faire plaisir »…
Ceci dit, une fois cette séquence lacrymale passée et une fois qu’on a rangé les mouchoirs, il faut bien passer aux choses sérieuses. L’humour délicat de notre « édredon exterminateur » est un plaisir de gourmet, mais la gravissime situation de détresse dans laquelle l’effondrement horloger a plongé toute la communauté des montres réclame à présent une mobilisation de toutes les énergies : le temps des clowneries est passé, voici venu le temps des décisions viriles, le temps de dissiper les enfumages, le temps d’affronter les réalités droit dans les yeux. On n’est plus là pour rigoler : heureusement que ce sympathique Jean-Daniel Pasche n’est pas le président de la FH suisse, surtout à ce moment tragique de son histoire et alors que des dizaines de milliers d’emplois sont menacés par la chronapocalypse…
Oui, ah bon, comment vous dites, ce Jean-Daniel Pasche est président de la FH suisse ? Réellement président ? Pour de vrai ? Vous êtes certain que ce n'est pas un imposteur ? J’ai du mal à y croire : il faudra qu’on en reparle lors de la prochaine assemblée générale, quand il sera question de la réélire. En tout cas, si vous vous ennuyez en confinement et si vos enfants commencent à vous taper sur les nerfs, appelez la FH suisse, Bienne (+41 32 328 08 28) et réservez une tranche horaire à passer avec ce Jean-Daniel Pasche : il est excellent pour amuser les enfants, calmer les parents et endormir les angoisses. On vous laisse réfléchir là-dessus…
LES BONNES, MOINS BONNES
ET AUTRES NOUVELLES DU JOUR,
EN VRAC, EN BREF ET EN TOUTE LIBERTÉ
❑❑❑❑ LA BANDE-SON DU JOUR : histoire de ne pas prendre trop au sérieux ce confinement face aux périls sanitaires qui nous assaillent, voici Je ne suis pas bien portant (Gaston Ouvrard, 1932), une des chansons qui ont fait l’histoire des années 1930 et en disaient beaucoup sur les angoisses de cette époque de profonde crise économique. « J’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit, j’ai le ventre qui se rentre », etc. Rappelons que Business Montres a décidé de créer une play-list optimiste et nostalgique pour aider tout le monde à se déconfiner mentalement…
❑❑❑❑ LES ABSENTS DU JOUR : tiens, au fait, ils sont passés où les influenceurs adulés par les marques de montres ? Ils sont font rares dans l’actualité horlogère ! Ils sont où, ces blogueurs qui débordaient d’amour pour les montres [et surtout pour les budgets qui allaient avec] ? Et ces blogueuses dorées sur tranche, imbibées de champagne et gavées de macarons Ladurée ? On le retrouve où, ces key opinion leaders (KOL) qui étaient l’alpha et l’oméga de l’horlogerie d’avant la crise ? Et ces égéries contractuelles, ces ambassadeurs mercenaires, ces « amis de la marque » qui ne voyageaient qu’en first et qui ne descendaient que dans des palaces ? Et ces journalistes sans lecteurs, saturés de miles gratuits et cartes accréditives qui paradaient dans les lounges d’aéroport ? Et tous ces faisans malfaisants, trafiquants de fauxllowers bidouillés, ils sont rentrés à la niche ? Les nouveaux héros de la chronapocalypse sont les infirmières confrontées sans masque au virus, les livreurs à domicile et les caissières de supermarché, bref les gens de rien, pas les stars habituellement prisées par la nomenklatura horlogère : comme on le chante dans L’Internationale, « le monde va changer de base »…
❑❑❑❑ LE DESSIN DU JOUR : « Jean-Christophe Babin ne reculait devant aucun sacrifice pour assurer le succès de ses Geneva Watch Days » (séquence « Sérieux, s’abstenir » : Business Montres du 25 mars). Après avoir réussi sa démonstration de force à Dubaï, le patron de Bvlgari a été le premier à flairer le danger à Baselworld, puis à proposer une alternative genevoise à Watches & Wonders. Rattrapé pour l’actualité sanitaire, il n’a pas déclaré forfait, mais repositionné cette alternative à la fin août, date on ne peut plus stratégique (Business Montres du 24 mars). Si tout se passe bien, il y aura une cinquantaine de marques présentes dans le centre de Genève à ce rendez-vous de rentrée. Si la pandémie persiste, il sera toujours temps de repositionner les Geneva Watch Days en novembre, à la date du Grand Prix d’horlogerie de Genève (Business Montres du 26 mars)…
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