ARCHIVES # 14 : Les liens aussi subtils que coûteux entre montres et cinéma (2)
Les montres et cinéma vivent une très ancienne et très tumultueuse histoire d'amour... Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage non publié... Il s'agit donc d'un chapitre [non d'un article], mais on peut le relire à part, comme une découverte des liens étroits qui unissent le cinéma et l'horlogerie... Steve McQueen en combinaison Heuer, mais avec une Rolex Submariner au poignet... Suite du premier volet de cette séquence...(
Les montres et cinéma vivent une très ancienne et très tumultueuse histoire d'amour...
Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage non publié... Il s'agit donc d'un chapitre [non d'un article], mais on peut le relire à part, comme une découverte des liens étroits qui unissent le cinéma et l'horlogerie...
Steve McQueen en combinaison Heuer, mais avec une Rolex Submariner au poignet...
(...)▷▷▷ Une des figures d’Hollywood les plus passionnées de montresest, à la fin des années soixante, Steve McQueen. A Gstaad, Jack Heuer m’a parlé de lui. Leur histoire commune commence peu avant l’été 1970, sur le circuit des célèbres Vingt-quatre Heures du Mans (France). Il faut la lire comme la création d’un mythe contemporain.[private]▷▷▷ Les machinistes s’affairent et les accessoiristes déballent leurs containers. Du côté des mécaniciens, on s’affaire sur les moteurs des vingt-cinq voitures de course mobilisées par la production : trois Gulf Team Porsche 917, quatre Ferrari 512 LM, une Porsche 908, une Lola, une Corvette, une Matra. Les mêmes que dans l’édition 1970 des Vingt-quatre Heures du Mans, dont beaucoup de scènes tournées en temps réel se retrouveront au montage du film, qui sera tout simplement baptisé Le Mans (1971). Le réalisateur Lee H. Katzin jette un dernier regard sur le scénario d’Harry Kleiner : il a obtenu de pouvoir tourner son film Le Mans sur le circuit même de la célèbre course, mais chaque minute est comptée puisqu’il n’a que trois mois d’autorisation pour mener à bien son projet. Steve McQueen ne lui facilite pas la vie : il n’a pas tourné depuis deux ans et il aime trop la compétition automobile pour ne pas se comporter en enfant capricieux lâché dans un magasin de jouets. Pour s’entraîner, le comédien a participé au mois de mars 1970 que Douze Heures de Sebring (Etats-Unis), au volant d’une Porsche 908. Il a convoqué sur le plateau sa bande de copains pilotes, comme Dereck Bell, Jackie Ickx et surtout Jo Siffert, le champion originaire de Fribourg, en Suisse (1). Quand on lui demande à qui il veut ressembler dans ce film, Steve Mc Queen se contentera de répondre : « Je veux être comme Jo Siffert ». C’est d’ailleurs au pilote suisse qu’il a confié le soin de trouver les voitures de course rassemblées pour le film, dans lequel « Seppi » fera d’ailleurs une brève apparition. ▷▷▷ Dès que les caméras s’arrêtent, Steve McQueen et Jo Siffert n’en font qu’à leur tête. Le comédien et le champion sont tous deux d’origine modeste. C’est en grande partie ce qui les a rapproché, tout comme le sentiment d’urgence qu’ils ont : « Aller vite et mourir jeune » pourrait être leur devise secrète (ce sera le titre du film suisse qui sera plus tard consacré à Jo Siffert). Quand ils s’ennuient entre les prises, les deux copains prennent le volant et « font des tours » au volant des différentes voitures de l’écurie : ils se poursuivent, ils se poussent, ils se défient sur les treize kilomètres et demi du circuit. Les assurances ont refusé de prendre en charge Steve McQueen s’il prenait le volant des « vraies » Vingt-quatre heures. Elles ont même voulu interdire au comédien de conduire lui-même pendant les scènes du film (2). Peine perdue ! Steve McQueen veut que Le Mans soit « son » film. Il va en faire ce qui est peut-être le plus beau film de course automobile de l’histoire du cinéma, avec, pour la première fois, des caméras embarquées à bord des voitures et des scènes de courses authentiques montées sans raccord visible au milieu des scènes de fiction. On hésite en permanence entre le reportage et le film de fiction. Steve McQueen s’y comporte plus en fanatique de vitesse qu’en comédien : on ressent sa passion personnelle dans chaque plan.
▷▷▷ Arrive cependant le moment de tourner les scènes de pilotage. Quand l’accessoiriste a demandé à Steve McQueen quelle tenue il préférait, le comédien a montré Jo Siffert du doigt et il a répété : « Comme Jo Siffert ». Lequel porte une combinaison blanche, avec une bande verticale bleue et rouge, brodée de l’écu « Heuer chronographs », puisqu’il bénéficie du soutien de la marque. C’est d’ailleurs Jo Siffert qui a demandé à son ami Jack Heuer de fournir à la production tout un lot de compteurs de bord et de chronographes indispensables pour les scènes de chronométrage (3). Le tout a été emballé dans une grande caisse, qu’un cadre d’Heuer – Gerd Lang, le futur créateur de la marque Chronoswiss – est venu livrer lui-même sur le lieu du tournage, au Mans. Une fois les compteurs de bord distribués aux mécaniciens qui devaient les monter, une fois les chronographes répartis sur les différents décors du film, il restait sur le plateau une montre, un chronographe Monaco dont le design inhabituel attire Steve McQueen, grand passionné de montres, qui considérait celles-ci comme des vrais « jouets de garçon ». Jo Siffert porte lui aussi cette Monaco, ainsi que plusieurs responsables de la production : c’est une idée de Jack Heuer pour renforcer l’image de ce modèle, premier chronographe automatique de l’histoire horlogère. Steve McQueen veut la sienne. Il ne va plus la quitter (4). 
- Le même Steve McQueen, cette fois avec une TAG Heuer Monaco au poignet (rectification pubicitaire)...
▷▷▷ Le temps de surmonter sa crise de l’électronique bon marché, le marché suisse se rétablissait au milieu des années quatre-vingt. Surtout, une nouvelle génération se décidait à pratiquer plus activement les beaux-arts du marketing, notamment celui du « product placement » au cinéma. Alors qu’on ne remarquait guère que des Rolex dans les films des années soixante-dix et quatre-vingt, d’autres marques font leur percée sur grand écran : Silvester Stallone portera ainsi une TAG Heuer dans Cobra et dans de nombreux autres films, tout comme Michael Douglas, Steven Seagall et beaucoup d’autres comédiens ; Omega s’ouvre à d’autres références que James Bond, ainsi que Breitling, Hamilton ou Cartier, mais aussi Pulsar ou Seiko. En fait, les placements qu’on remarque jusqu’au milieu des années quatre-vingt reflètent la force des marques sur le marché américain : leur impact à l’écran dépend de l’accessoiriste plus que d’une volonté de la production. Il arrive encore que la marque soit effacée : dans L’affaire Thomas Crown (1999), Pierce Brosnan porte manifestement une Jaeger-LeCoultre Reverso, mais son cadran est anonyme. Pour les marques, c’est un bonus, pas encore un business (7). ▷▷▷ Une nouvelle étape du parcours commun des montres et du cinéma intervient à l’aube du IIIe millénaire, alors que les principales maisons horlogères ont été soit rachetées par des groupes de luxe, soit inspirées par les méthodes de gestion de ces groupes. La marque devient un des actifs de l’entreprise et il faut la promouvoir par tous les moyens, si possible hors d’un cadre publicitaire qui laisse les consommateurs de plus en plus indifférents. Des agences spécialisées dans le placement au cinéma apparaissent à Hollywood et démarchent les marques, pour les montres comme pour les voitures, les parfums, les hôtels ou les gadgets électroniques. Les marques elles-mêmes se dotent de responsables de ce placement, en les chargeant de suivre, dans le monde entier, les contrats, les objets prêtés et le respect de l’image de marque. Chaque nouvelle aventure cinématographique de James Bond fait l’objet de nombreuses transactions sur l’apparition à l’écran du moindre produit de marque, au point de transformer le film en un long tunnel publicitaire entrecoupés de scènes d’action. C’est la « course au people » : les groupes traquent la moindre célébrité pour la « mettre sous contrat ». Des « écuries » se forment, le grand public étant convié à faire confiance à ses vedettes préférées pour le choix de ses montres : selon la surface financière du contrat (toujours tenu secret), la vedette peut apparaître dans les publicités de la marque ou se contenter de porter la montre dans le film, même fugitivement. Chaque seconde d’apparition à l’écran et chaque plan de cette apparition (rapproché ou plus général) se négocie âprement, tout comme la citation dans les dialogues ou – c’est la solution optimale en termes de promotion – l’intégration de la montre dans l’intrigue et dans le déroulement du scénario (8). L’absurdité est parfois au rendez-vous : il arrive que, sur l’affiche du film, la montre portée par la star ne soit pas celle qu’il porte dans le film, le contrat n’ayant pas prévu cette exploitation ! Il se peut aussi que la vedette, sous contrat permanent avec une marque, porte ostensiblement en public – contrat d’« ambassadeur » oblige – une montre tout-à-fait différente de celle qu’il portait dans le film dont il fait la promotion (ci-dessous). 
- Pierce Brosnan et sa Jaeger-LeCoultre, alors qu'il était encore sous contrat avec Omega...
••• [1] Jo Siffert est mort au volant de sa BRM, à l’automne 1971, à l’âge de 34 ans, sur le circuit de Brands Hatch (Royaume-Uni). Véritable légende de son vivant, il avait avalé sans compter la vie et les victoires en Grand Prix. L’enterrement de « Seppi », jeune mécanicien d’origine modeste, a été suivi par 50 000 personnes dans les rues de Fribourg, sa ville natale : un record d’affluence encore jamais égalé en Suisse, où ‘ancien champion est devenu une sorte d’icône nationale. En tête du cortège de ses obsèques , une Porsche prototype, crêpée de noir, roulait au pas…
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